C’est une évolution marquante, qui pourrait être le sujet le plus percutant de tous ceux que j’ai couverts – et il y en a eu beaucoup – depuis dix ans. Vous ne serez pas étonné d’apprendre que je parle ici de la Chine. On croyait avoir usé de tous les superlatifs pour décrire la situation de la Chine, mais en voici un nouveau. L’économie chinoise a 1,3 milliard de bouches à nourrir. Satisfaire cet appétit formidable et grandissant sera l’un des plus imposants défis – pour la Chine, mais aussi pour l’économie mondiale – au cours des prochaines décennies. Le Canada y jouera-t-il un rôle?

Tout d’abord, quelques précisions s’imposent. En Chine, l’accroissement de la richesse est ce qui dynamise en ce moment la demande alimentaire. D’après les estimations de McKinsey, d’ici 2022 un peu plus des trois quarts de la population urbaine de la Chine feront partie de la classe moyenne, et une confortable majorité accédera à la tranche supérieure de ce groupe. Selon d’autres estimations, la croissance annuelle de la classe moyenne chinoise avoisine celle de la population du Canada. Voilà qui est stupéfiant. Les études révèlent que ces nouveaux consommateurs mieux nantis s’intéressent à des catégories supérieures de produit – comme les aliments. Et fait intéressant, ces consommateurs sont friands d’aliments importés. Pourquoi? Parce que la chaîne d’approvisionnement chinoise a un problème de confiance. Mais quand les produits viennent d’un pays où la gouvernance alimentaire est plus robuste – comme le Canada –, leur intérêt monte en flèche.

Si cela est vrai, le Canada obtient-il sa part du gâteau? Répondre par l’affirmative serait un énorme euphémisme. En 2000, les expéditions du secteur alimentaire canadien vers la Chine représentaient à peine 3 % de nos exportations totales : la Chine occupait le troisième rang, loin derrière le Japon. Depuis, cette part est passée à 11 %, ce qui a permis à la Chine de ravir la deuxième place et de prendre une nette avance sur le Japon. Depuis 16 ans, l’essor annuel de nos exportations alimentaires à destination de la Chine s’est établi en moyenne à plus de 15 %, soit trois fois plus que le taux de croissance vers le marché américain. Mieux encore, cette croissance s’accélère. Depuis 2008, la croissance annuelle vers le marché chinois s’est fixée en moyenne à 18 %, alors que celle vers le marché américain n’a pas bougé. Autre fait d’intérêt : depuis 2000, la Chine est à l’origine de 17 % de la croissance totale de nos exportations alimentaires vers l’étranger. Or, depuis huit ans, cette part a dépassé les 25 % du total. Seuls les États-Unis présentent un taux semblable. Si cette tendance se maintient, la Chine ravira la première place aux États-Unis d’ici 2033.

Au fait, qu’est-ce que le Canada exporte en Chine? La contribution des secteurs est inégale. La majorité de nos exportations agroalimentaires vers la Chine (soit 74 %) se trouvent dans le segment des céréales et oléagineux crus et transformés, où la croissance s’apparente à celle observée dans les statistiques générales. Si vous trouvez qu’il n’y a pas là matière à optimisme, considérez alors ceci : l’augmentation de la richesse signifiera que les produits à forte valeur ajoutée auront la cote. Les données le confirment-elles? Jetons un coup d’œil au segment des produits de la viande, le second de la liste. Ce segment enregistre une croissance annuelle au-dessus de la moyenne, en hausse de 17 %. Mais les choses sont en train de changer : depuis huit ans, ce taux a grimpé à 27 %, portant la part de ces exportations à 13 % du total.

Le sous-secteur des poissons et des produits de poisson suit de près, et son dynamisme se trouve du côté des produits bruts. En effet, le segment des poissons pêchés en mer affiche une croissance annuelle de 24 %; quant à l’aquaculture, qui en est à ses débuts dans le monde de l’exportation, son essor est fulgurant. La croissance du segment des produits préparés atteint les deux chiffres. Elle est inférieure à la moyenne générale, mais cela ne devrait sans doute pas durer. D’autres catégories présentent une croissance très impressionnante. Si la tendance se maintient, d’autres segments seront sans doute appelés à faire partie d’un secteur dont l’activité devrait probablement s’intensifier au fil du temps.

Comment le savons-nous? Selon l’Organisation pour l’alimentation et l’agriculture, les besoins alimentaires de la Chine dépasseront sa production dans certaines filières clés, notamment la filière porcine. Les taux de croissance liés à cette nette dépendance sont saisissants : des taux annuels dans les deux chiffres jusqu’à 2030 et au-delà. C’est ce qui vous attend simplement en étant présent en Chine; en augmentant vos parts de marché, les possibilités deviennent alors illimitées!

Ce tableau est inspirant de multiples façons, car l’essor du Canada ne fait que commencer. Notre incursion dans la chaîne alimentaire chinoise reste plutôt concentrée; pourtant, nous disposons d’abondantes capacités pour faire mieux. Pour tirer parti des occasions, nous devons offrir des produits répondant à des normes de qualité supérieures et étant adaptés à ce marché. Maintenir cette activité commerciale exige de la fiabilité – ce qui nécessitera sans doute des investissements substantiels.

Conclusion?

Les perspectives pour les ventes du secteur canadien de l’agroalimentaire sont prometteuses. Nous possédons les ressources, le savoir-faire et les infrastructures de soutien. Il s’agit de l’un des rares secteurs possédant l’envergure nécessaire pour satisfaire aux immenses besoins de la Chine. Toutefois, ces attributs seront peu utiles sans une vision ambitieuse. Avons-nous cette vision?