Nul doute que les entreprises canadiennes suivent de près les négociations sur l’Accord de libre-échange nord-américain ALENA). Certains rounds clés de négociation ont fait exploser les recherches en ligne sur l’ALENA (voir l’illustration). Il est fort possible qu’une nouvelle flambée de recherches se produise alors que les négociateurs retournent à Washington pour poursuivre les plus récentes discussions de haut niveau. Il faut espérer qu’après tous ces mois d’échanges, les négociateurs arriveront à un accord de principe.

L’urgence se fait maintenant sentir. Pour qu’un nouvel accord de l’ALENA soit conclu en 2018, il faut qu’il se produise bientôt. Si ce n’est pas le cas, plusieurs complications peuvent faire changer les positions de négociation et causer des retards supplémentaires :

  • Si l’ALENA n’est pas conclu avec le 1er mai, l’exemption du Canada et du Mexique quant aux taxes sur l’acier et l’aluminium des États-Unis pourrait prendre fin.
  • Le 1er juillet est l’élection générale au Mexique.
  • Le 1er juillet est aussi l’expiration, si elle n’est pas renouvelée, de la Trade Promotion Authority (TPA) des États-Unis. Sans elle, les États-Unis n’auront plus de mandat de négociation légal. (La TPA fournit au président des directives du Congrès quant aux priorités en matière de politique commerciale et aux objectifs de négociation).
  • En novembre, les élections de mi-mandat auront lieu aux États-Unis.

Les parties négociatrices savent ce qui se profile à l’horizon et elles travaillent à conclure les discussions rapidement avant que la situation ne se complique davantage.

Google search activity in Canada for Nafta

Source : Google Trends
Remarque : Cet indice désigne l’intérêt de recherche pour le terme « ALENA » au Canada par rapport à son point le plus élevé au cours de cette période, où le chiffre 100 indique le sommet de sa popularité et 50 en représente la moitié.

Enjeux clés à surveiller : deux chemins pour réussir la négociation de l’ALENA

Plus de 30 tables et sections de négociation différentes sont au cœur des discussions. Toutefois, concrètement, il y a deux chemins et deux vitesses relativement à ces pourparlers.

Chemin 1 : le plan de modernisation de l’Amérique du Nord

Il s’agit du chemin le plus rapide pour les enjeux à l’égard desquels les trois pays s’entendent sur la nécessité de mettre à jour les règles commerciales nord-américaines. Certains sujets existent sous l’ALENA 1.0, datant des années 90, tels que les normes de salubrité des aliments et les procédures douanières.

Certains ajouts découlent des changements technologiques et de la mondialisation accrue, comme le commerce en ligne et la cohérence avec le cadre réglementaire international. D’autres modifications sont des efforts conscients visant à rendre la politique commerciale ouverte à tous, par exemple des clauses pour augmenter la participation des petites et moyennes entreprises dans le commerce mondial.

L’accomplissement de ces objectifs de modernisation passe par des mesures d’ordre technique. Mais en général, ces sujets ne sont pas controversés. En fait, il y a un précédent. Les négociations du Partenariat transpacifique original, dont les États-Unis faisaient partie en 2016, sont une tentative récente des pays d’Amérique du Nord de mettre à jour ces mêmes règles commerciales. Le travail préparatoire fourni par le Partenariat transpacifique ouvre le chemin à des discussions plus simples sur les bases d’un ensemble d’hypothèques et d’objectifs.

Après sept rounds de négociations sur l’ALENA, les six chapitres achevés concernent tous les questions de la modernisation. Bien que ces enjeux représentent des occasions où tous en sortent gagnants, ils ne soulèvent pas les foules.

Chemin 2 : le plan de rééquilibrage américain

Un second train de négociation circule sur une voie ferrée différente. Il a été retardé au moment de son départ de la gare et il se déplace lentement. Tout le monde a les yeux rivés sur ce train. Tant qu’il n’atteindra pas la gare d’arrivée, les pourparlers continueront, car aucun accord de principe sur l’ALENA 2.0 ne sera conclu tant qu’un compromis ne sera pas trouvé au sujet du plan de rééquilibrage américain.

Ce plan comprend des enjeux controversés où l’administration américaine estime que les règles actuelles de l’ALENA ne sont pas à son avantage. L’équipe de négociation américaine cherche à « rééquilibrer » les secteurs suivants de façon à avantager les États-Unis, ce qui pourrait toutefois défavoriser le Canada et le Mexique :

1.  Procédures de règlement des différends

Cet enjeu comprend notamment la façon de résoudre les différends portant sur l’utilisation de recours commerciaux, ces derniers s’étant accrus sous l’administration Trump. Les mesures visant à contrer le dumping et les subventions s’inscrivent dans cette catégorie.

2.  Règles concernant la provenance du contenu dans le secteur automobile

Les États-Unis souhaitent faire augmenter le pourcentage minimal de contenu américain aux fins des réductions tarifaires en vertu de l’ALENA.

3.  Marchés publics

Les États-Unis souhaiteraient restreindre l’accès au marché aux « montants équivalents en dollars », peu importe la taille du marché de chaque pays.

4.  Agriculture

Certains intervenants aux États-Unis souhaitent que le Canada mette fin à son régime actuel de gestion de l’offre pour les produits laitiers, la volaille et les œufs.

5. Ajout d’une disposition de temporisation

Une telle disposition ferait en sorte que l’ALENA expirerait automatiquement, à moins que les trois pays signataires le renouvellent périodiquement.

En plus de ces préoccupations, les États-Unis ont affirmé avoir pour objectif de réduire leur déficit commercial auprès des pays signataires de l’ALENA.

Malgré des comptes rendus encourageants publiés dans les médias qui font état de progrès dans la renégociation, d’importants écarts semblent persister. Aucune boule de cristal ne permet de prévoir de quelle façon les négociations se solderont. Pour les personnes qui observent le processus de l’extérieur, comme moi, plusieurs scénarios sont envisageables, allant d’une résolution rapide et efficace à des négociations interminables... On pourrait également assister au retrait de l’une des parties.

EDC Économie prévoit toujours qu’un ALENA 2.0 sera conclu. La grande question est de savoir à quel moment et sous quelle forme.

Étant donné les questions importantes qui doivent encore être résolues, parvenir à un compromis rapidement ne sera pas une tâche facile. Les observateurs canadiens en matière commerciale semblent s’entendre sur le fait qu’un accord finira par être conclu, mais qu’il le sera probablement en 2019 plutôt qu’en 2018. 

Des manchettes à la réalité – renforcer la croissance économique mondiale

Entre-temps, il est important de prendre du recul par rapport aux manchettes sensationnalistes concernant l’ALENA afin d’obtenir un portrait complet de la situation. Au cours des deux dernières années, la croissance économique mondiale s’est renforcée, s’est étendue à de nouveaux pays et a dépassé les prévisions. Cette croissance est survenue malgré les risques d’accentuation du protectionnisme commercial aux États-Unis.

Dans le document Perspectives économiques mondiales qui vient tout juste d’être publié, EDC a revu ses prévisions à la hausse, principalement en raison des améliorations observées aux États-Unis et en Europe. Les marchés du travail se resserrent. La capacité excédentaire est utilisée. Une normalisation des taux d’intérêt s’est amorcée dans plusieurs pays. La croissance du commerce mondial s’est accentuée et les indicateurs de production prospectifs sont encourageants, malgré les préoccupations suscitées par l’escalade des représailles tarifaires entre les États-Unis et la Chine.

Plus près de chez nous, le plus récent Indice de confiance commerciale d’EDC donne à penser que les exportateurs canadiens ne s’affolent pas à propos de l’ALENA. Certaines entreprises se disent préoccupées, mais la majorité ne l’est pas. Dans l’ensemble, les entreprises demeurent optimistes quant à la solidité et à la durabilité de la reprise mondiale en cours.

Contrairement à ce que la couverture médiatique peut laisser croire, la majorité de la population nord-américaine, dans les trois pays, soutient le commerce en général, et particulièrement l’ALENA. Une enquête menée récemment indique que 81 % des Ontariens soutiennent la négociation de nouveaux accords commerciaux par la Canada, et que le niveau d’appui général à l’égard d’accords commerciaux est plus élevé aujourd’hui qu’il ne l’était en 2001.

Outre cet appui populaire, la majorité des communautés d’affaires d’Amérique du Nord, y compris celles des États-Unis, s’opposent aux politiques protectionnistes américaines. Malgré ce qu’indiquent certains gazouillis et certaines manchettes, un commerce transfrontalier robuste à l’échelle du continent et des relations d’investissement solides semblent faire l’objet d’un appui généralisé dans tous les pays signataires.

Alors que la pression commence à s’accentuer pour que le nouvel ALENA soit conclu rapidement, on peut prévoir que les manchettes sensationnalistes se multiplieront prochainement et que l’intérêt du public s’accentuera. Jusqu’à présent, le renforcement du protectionnisme américain prend l’allure de montagnes russes. Malgré les manchettes alarmistes, l’économie mondiale s’est renforcée ces derniers temps. Éventuellement, une fois que tous les ajustements auront été négociés – si des compromis sont possibles dans le cadre du projet de rééquilibrage des États-Unis –, nous pourrions bien arriver à destination avec une nouvelle entente.