Le célèbre commentateur Yogi Berra nous a offert le conseil suivant : Si tu arrives à la croisée des chemins, n’hésite pas à changer de voie. Ce conseil plutôt cocasse, qui semblait impossible à suivre, a été sans suite. Or, nous nous trouvons aujourd’hui dans une situation semblable – cette fois bien réelle. En réponse aux multiples vagues de la pandémie, nous avons choisi les confinements, dont l’efficacité s’est cependant révélée passagère. Ils nous ont donné le temps nécessaire pour mettre au point de vaccins et ainsi regagner l’activité perdue, mais la reprise n’est pas encore complète. Le nombre de cas d’infections repart désormais à la hausse; pourtant, l’économie garde le cap alors même que se poursuit la course vers l’immunité collective. Nous sommes à la croisée des chemins. Qu’est-ce que cela signifie pour l’économie mondiale?

La croissance résiste. Dans le monde développé, le moral des consommateurs est au beau fixe, tout comme celui des entreprises. Et pour cause : partout sur le globe, l’activité commerciale est dynamique. Les ventes au détail à l’ensemble du continent européen sont de 6 % supérieures aux niveaux d’avant la pandémie; ce taux atteint 8 % au Canada et, tenez-vous bien, 17 % aux États-Unis. Les exportations mondiales se sont aussi entièrement rétablies. Elles sont de 1 % au-dessus des niveaux prépandémie dans les économies avancées, et de 21 % dans les économies émergentes, ce qui porte ce taux à 7 % pour l’économie mondiale durant cet intervalle. En ajoutant à ce tableau les formidables mesures de relance publiques, l’accès facile aux liquidités et la tenue de l’investissement commercial, le retour à la normalité ne serait pas si loin...

Les chiffres de l’inflation le confirmeraient sans doute. Les coûts en amont des entreprises grimpent en flèche : aux États-Unis, ils sont passés de moins de 1 % à plus de 8 % en glissement annuel entre décembre et août; pendant cette même période, le Canada a commencé à peu près au même point et la progression a atteint plus de 15 % en juillet. Naturellement, ces coûts sont répercutés aux consommateurs. Si ces coûts sont annonciateurs de la conjoncture à venir, les récents chiffres de l’indice des prix à la consommation aux États-Unis (5,2 %) et au Canada (un peu moins de 4 %) dépassent largement le taux cible de 2 % et pourraient perdurer. Cette envolée des prix inquiète, mais elle constitue l'un des signes les plus sûrs de la vigueur de la croissance.

Cet élan se maintiendra-t-il? C’est une excellente question. La plupart des économies du monde développé possédaient un fort potentiel de croissance au début de la pandémie. Les années de croissance timide ayant précédé la crise sanitaire ont contribué à la formation d'une importante demande comprimée. Comme on le sait, les confinements ont considérablement limité les achats si bien les nombreuses personnes ayant conservé leur emploi – et par le fait même leur source de revenus – ont épargné et disposent depuis de comptes bancaires bien garnis. Les liquidités excédentaires disponibles au Canada représentent environ 13 % du produit intérieur brut (PIB); ce taux dépasse les 17 % aux États-Unis et est sensiblement du même ordre en Europe occidentale. Ce pactole, pour environ 50 % du PIB mondial, pourrait du jour au lendemain être injecté dans l’économie advenant une conjoncture favorable. Ces immenses réserves exercent en soi une pression, qui s’ajoute à la demande comprimée déjà présente.


En tenant compte de ce contexte, Exportation et développement Canada (EDC) prévoit, dans son édition de l’automne 2021 des Perspectives économiques mondiales, que la croissance de l’économie mondiale s’établira à 6 % cette année, puis à 5,5 % en 2022. Quant aux marchés émergents, collectivement, leur croissance devrait gagner 6,3% durant la reprise de cette année, puis 6,4 % l’an prochain. Chez les économies avancées, la croissance surpassera la tendance collective à long terme : la croissance se fixera donc à 5,5 % en 2021 et à 4,2 % en 2022. Après avoir enregistré une croissance de 4,9 % cette année, le Canada se maintiendra au-dessus de la moyenne prévue pour les économies avancées, qui est de 4,4 % en 2022.

Les accrocs aux chaînes d’approvisionnement et les pénuries dans le secteur du transport, qui font tous deux les grands titres de l’actualité économique, sont des difficultés de nature frictionnelle et non structurelle. Autrement dit, les capacités existent, mais il faut les acheminer au bon endroit. Voilà pourquoi nous nous attendons à une plus grande fluidité du mouvement des biens et des services en 2022, ce qui devrait modérer les prix. Par conséquent, nous tablons sur une modération des cours pétroliers et gaziers durant les deux prochaines années. Le cours du cuivre devrait rester plutôt élevé, mais inférieur à la moyenne de 2021. Nous nous attendons à un scénario semblable pour les cours des produits du bois, en net recul par rapport aux sommets atteints, mais plus élevés que la moyenne.

Les discussions au sujet de l’inflation ont alimenté les spéculations quant à un éventuel resserrement monétaire par les banques centrales. La Banque du Canada a été la première à annoncer le retrait progressif immédiat de son programme d’achat d’obligations, et la Banque centrale européenne (BCE) a fait une annonce semblable dans les semaines qui ont suivi. La Réserve fédérale américaine fait preuve d’une plus grande réserve à cet égard, et pourrait attendre à la fin de l’année. Les prochaines mesures viseront les taux d’intérêt. La Banque du Canada devrait procéder à un modeste resserrement des taux à la fin de 2022. La Fed attendra jusqu’en 2023 pour le faire, et la BCE jusqu’en 2024.

Nos perspectives sont exposées à plusieurs risques. L’incapacité à maîtriser de façon concluante la pandémie pourrait donner lieu à de nouveaux confinements à l’échelle régionale ou – et j’en serais profondément désolé – à l’échelle mondiale; pareille situation pourrait radicalement changer nos projections pour l’an prochain. L’inflation pourrait inciter les banques centrales à opérer un resserrement trop sévère pour l’économie, ce qui mettrait un frein à la croissance. L’augmentation importante de la dette publique pourrait aussi être problématique. Il existe toujours la possibilité que la croissance s’emballe de manière excessive – ce qui serait de prime abord une bonne nouvelle –, mais au vu des contraintes actuelles, des contrecoups seraient à prévoir.

Conclusion?

Devant une route qui se divise en deux, la plupart d’entre nous s’arrêtent pour réfléchir à la voie à suivre. La vivacité de la concurrence mondiale et l’activité perdue en raison de la pandémie nous disent que l’heure n’est pas à l’hésitation. S’engager sur la voie de la croissance et développer des stratégies viables pour composer avec les effets de la pandémie : voilà une approche doublement gagnante pour renouer avec une économie pleinement fonctionnelle. Alors, trêve d’hésitation : en avant toute!

 

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