Image de personnes travaillant dans un entrepôt

Chaînes d’approvisionnement, travail forcé et travail des enfants

À compter de janvier 2024, beaucoup d’entreprises canadiennes devront rendre compte par écrit des mesures qu’elles ont mises en œuvre durant l’exercice précédent pour prévenir ou limiter le travail forcé et le travail des enfants dans leurs chaînes d’approvisionnement.

Cette obligation découle du projet de loi S‑211, Obligation de faire rapport sur le travail forcé dans les chaînes d’approvisionnement, adopté par le Parlement en mai 2023.

Selon l’Organisation internationale du Travail (OIT), en 2021, près de 28 millions de personnes, dont des enfants, étaient en situation de travail forcé. C’est une augmentation de 2,7 millions de personnes par rapport aux estimations mondiales de 2016.

Le travail forcé s’entend de « tout travail ou service exigé d’un individu sous la menace d’une peine quelconque et pour lequel ledit individu ne s’est pas offert de plein gré ».

Ce type d’exploitation existe dans pratiquement tous les pays du monde, y compris au Canada, et ne connaît pas de frontière ethnique, culturelle, ni religieuse.

Le travail forcé dans les chaînes d’approvisionnement mondiales

Le travail forcé est présent dans tous les maillons des chaînes d’approvisionnement mondiales. Des hommes, des femmes et des enfants sont parfois forcés de travailler dans les champs pour récolter les ingrédients qui composent des produits alimentaires; d’extraire des matières premières comme les minéraux utilisés dans la fabrication d’appareils électroniques; de travailler dans des usines de textile ou des fabriques de vêtements; de livrer ou d’expédier des marchandises. Les grandes marques comme celles qui sont moins connues sont concernées.  

Au titre de cette loi, les entreprises de toute taille ont l’occasion et l’obligation de s’attaquer au travail forcé. De plus en plus, les gouvernements et les entreprises considèrent cette lutte comme une priorité.

En quoi consistent ces nouvelles obligations?

Cette loi, qui doit entrer en vigueur le 1er janvier 2024, comporte deux grandes exigences :

1. Les entreprises qui atteignent certains seuils (voir plus loindoivent déposer un rapport annuel détaillé sur les mesures qu’elles ont prises durant le dernier exercice pour prévenir et atténuer le risque relatif au recours au travail forcé ou au travail des enfants par leur entreprise ou leurs chaînes d’approvisionnement. Vous devez déposer votre premier rapport au plus tard le 31 mai 2024.

« Commencez tout de suite à penser aux points que vous allez aborder dans ce rapport », suggère Awovi Komassi, responsable des Services consultatifs de croissance ESG (facteurs environnementaux, sociaux et de gouvernance) à Exportation et développement Canada (EDC).

2. Les tarifs des douanes seront modifiés de manière à interdire l’importation de marchandises extraites, fabriquées ou produites, en tout ou en partie, en ayant recours au travail forcé ou au travail des enfants tel que défini par la loi. Ceci comprend même les petits composants d’un produit.

Que doit comprendre mon rapport?

Votre rapport doit décrire en détail les mesures que vous avez prises en 2023 (et toutes les années subséquentes) pour prévenir et atténuer le risque relatif au recours au travail forcé ou au travail des enfants à l’une ou l’autre des étapes de la production de vos marchandises, que ce soit au Canada ou à l’étranger. Vous devez aussi fournir les renseignements suivants sur votre entreprise :

  • sa structure, ses activités commerciales et ses chaînes d’approvisionnement;
  • ses politiques et ses processus de contrôle préalable relatifs au travail forcé et au travail des enfants;
  • les parties de ses chaînes commerciales et de ses chaînes d’approvisionnement qui comportent un risque de recours au travail forcé ou au travail des enfants, et les mesures prises pour évaluer et gérer ce risque;
  • l’ensemble des mesures prises pour remédier à tout recours au travail forcé et au travail des enfants;
  • l’ensemble des mesures prises pour remédier aux pertes de revenus des familles les plus vulnérables engendrées par les mesures visant à éliminer le travail forcé et le travail des enfants;
  • la formation offerte aux employés sur le travail forcé et le travail des enfants;
  • la manière dont votre entreprise évalue l’efficacité de ses mesures pour s’assurer que le travail forcé ou le travail des enfants n’est pas utilisé dans le cadre de ses activités ni dans ses chaînes d’approvisionnement.

Si vous êtes le fournisseur de grandes sociétés, le fait de pouvoir montrer que vous avez des politiques sur les droits de la personne, des processus de contrôle préalable et des chaînes d’approvisionnement transparentes peut vous procurer un avantage concurrentiel.

Awovi Komassi  —  responsable, Services consultatifs de croissance ESG à EDC

Qui doit déposer un rapport?

L’obligation prévue au Projet de loi S-211 vise toutes les entreprises cotées en bourse au Canada ou qui, en 2023, répondaient à deux des critères suivants :

  • possédaient des actifs d’une valeur d’au moins 20 M$;
  • ont généré des revenus d’au moins 40 M$;
  • comptaient au moins 250 employés.

Mais selon Awovi Komassi, responsable des Services consultatifs de croissance ESG à EDC, toutes les entreprises doivent s’attendre à ce qu’il y ait des répercussions sur leurs affaires.

« On pourrait penser que cette nouvelle loi ne s’applique qu’aux grandes sociétés, mais il y aura un effet de ruissellement à mesure que les entreprises directement visées commenceront à réexaminer leurs chaînes d’approvisionnement et à envisager la mise en place de processus de contrôle préalable », explique-t-elle.

« Si vous êtes le fournisseur de grandes sociétés, le fait de pouvoir montrer que vous avez des politiques sur les droits de la personne, des processus de contrôle préalable et des chaînes d’approvisionnement transparentes peut vous procurer un avantage concurrentiel. »

Autres lois touchant les entreprises canadiennes

« Certains marchés, comme le Royaume-Uni et l’Australie par exemple, ont adopté il y a un certain temps déjà des lois pour obliger les entreprises à faire rapport, et de plus en plus, on voit une tendance vers les lois plus normatives en matière de contrôle préalable et d’interdiction d’importation », explique Ashley McIntyre, conseillère principale en matière de politiques (droits de la personne et chaînes d’approvisionnement), Équipe des politiques et de la recherche ESG à EDC.

« Certains projets de loi s’appliquent aux entreprises qui font des affaires dans ces marchés, qu’importe leur pays d’origine », ajoute-t-elle.

En mettant en œuvre un bon système de gestion de la chaîne d’approvisionnement, vous serez bien placé pour répondre aux exigences législatives à venir, ce qui pourrait ouvrir d’autres marchés à votre produit – un avantage concurrentiel de plus.

Ashley McIntyre  —  conseillère principale en matière de politiques (droits de la personne et chaînes d’approvisionnement), Équipe des politiques et de la recherche ESG à EDC

À titre d’exemple, songeons à la Directive sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité de l’Union européenne (UE). Si elle est adoptée officiellement, elle obligera les entreprises en lien avec l’UE à faire preuve de vigilance dans leurs activités et leur gouvernance pour s’assurer du respect des droits de la personne et de la protection de l’environnement. Ces nouvelles règles s’appliqueraient aussi aux chaînes de valeurs de l’entreprise – tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de l’Europe.

On peut aussi penser au projet de règlement proposé (en anglais seulement) par la Commission européenne en 2022 pour interdire dans les marchés de l’UE les produits fabriqués en ayant recours au travail forcé. Ce règlement interdirait en UE tous les produits issus du travail forcé ou du travail des enfants, qu’ils soient destinés à la consommation intérieure ou qu’il s’agisse de marchandises d’exportation et d’importation.

Plus près de chez nous, notre plus grand partenaire commercial, les États-Unis, a adopté la Trade Facilitation and Trade Enforcement Act (TFTEA) et plus récemment, la Uyghur Forced Labor Prevention (UFLPA) Act. Ces deux lois interdisent l’importation aux États-Unis de produits fabriqués en ayant recours au travail forcé, et permettent la saisie de marchandises dont on soupçonne qu’elles l’aient été, à moins que l’entreprise puisse prouver au moyen du contrôle préalable de sa chaîne d’approvisionnement que les marchandises en question n’ont pas été fabriquées en ayant recours au travail forcé.

« L’obligation qu’ont les entreprises d’exercer un contrôle préalable pour s’assurer du respect des droits de la personne à l’échelle de leurs chaînes d’approvisionnement ne fera que s’intensifier, affirme Mme McIntyre. En mettant en œuvre un bon système de gestion des chaînes d’approvisionnement, vous serez bien placé pour répondre aux exigences législatives à venir, ce qui pourrait ouvrir d’autres marchés à votre produit – un avantage concurrentiel de plus. »

Pour en savoir plus, consultez Travail forcé dans les chaînes d’approvisionnement canadiennes : conduite responsable des entreprises à l’étranger.

Contrôle préalable des chaînes d’approvisionnement

« Même si votre entreprise n’atteint pas les seuils obligeant à faire rapport, le projet de loi S-211 est l’occasion parfaite pour commencer à revoir vos plans et vos pratiques en matière de droit de la personne, fait valoir Mme Komassi. Il va sans dire que lutter contre le travail forcé et le travail des enfants est tout simplement la bonne chose à faire, mais ça vous procure aussi beaucoup d’avantages concurrentiels. »

Par exemple : 

1. Les consommateurs votent avec leur portefeuille et ils veulent savoir que les produits qu’ils achètent sont fabriqués de façon responsable. Ainsi, vous pouvez accroître vos ventes et améliorer votre marque tout en tirant de la fierté de la façon dont votre entreprise mène ses activités.

2. À l’heure où les exigences relatives à la lutte contre le travail forcé et le travail des enfants s’intensifient partout dans le monde, le fait de mettre en œuvre votre propre stratégie rendra votre entreprise plus concurrentielle que celles qui ne le font pas, et vous serez mieux en mesure de répondre aux questions des acheteurs sur vos chaînes d’approvisionnement.

3. Les entreprises qui accordent une grande importance aux bonnes pratiques ESG sont souvent plus résilientes et moins susceptibles de connaître de graves perturbations, justement parce qu’elles se sont préparées à atténuer et à gérer les risques ESG et leurs répercussions. « On l’a vu pendant la pandémie, rappelle Mme McIntyre. Les entreprises qui avaient déjà mis en place de bons régimes de santé et de sécurité étaient mieux outillées pour assurer la continuité de leurs activités. »

4. La conformité peut vous rendre plus attrayant aux yeux des investisseurs. En effet, ils sont de plus en plus nombreux à examiner les pratiques ESG des entreprises avant de décider s’ils investissent ou non.

5. Accéder à des capitaux. EDC et les institutions financières doivent effectuer leurs propres vérifications quant aux principes ESG. Ainsi, le fait de mettre en place des mesures pour atténuer les risques d’atteinte aux droits de la personne pourrait augmenter vos chances d’obtenir du crédit. 

Par où commencer

« Vous pouvez commencer par examiner votre chaîne d’approvisionnement et mener une évaluation du risque pour ensuite mettre en œuvre les stratégies recommandées, propose Mme Komassi. Trouvez de trois à cinq choses qu’il est possible de faire et qui donneront des résultats. »

Mais elle ajoute du même souffle que « vous n’avez pas à trouver toutes les réponses ni à mettre en place des politiques tout de suite. Il s’agit plutôt d’enclencher un processus d’amélioration continue. Vous pouvez également faire appel à des professionnels qui pourront vous guider. »
 

Parallèlement, votre entreprise publie peut-être déjà des rapports sur ses initiatives entourant les droits de la personne, le travail forcé et le travail des enfants pour satisfaire aux exigences d’autres pays. « Vous pourriez demander les conseils de spécialistes pour voir s’il ne serait pas possible d’adapter votre structure de déclaration pour satisfaire aux exigences de la nouvelle loi canadienne », explique Mme Komassi.

Elle suggère aussi de réexaminer régulièrement vos obligations réglementaires, surtout lorsque vous proposez de nouveaux produits, faites appel à de nouveaux fournisseurs ou pénétrez de nouveaux marchés, pour voir s’il n’y aurait pas quelque chose à ajouter ou à modifier.

Il est très important de savoir quels secteurs, produits ou régions présentent les plus grands risques de recours au travail forcé et au travail des enfants. Il importe aussi de ne pas vous intéresser qu’à ceux avec qui vous faites directement affaire dans votre chaîne d’approvisionnement, mais de creuser plus à fond pour bien comprendre qui en fait partie.

Quand vient le temps d’évaluer vos fournisseurs, ou même votre propre fonctionnement, posez-vous les questions suivantes : 

1. Quels principes, règlements et lignes directrices ont une incidence sur la gestion des risques liés aux droits de la personne dans nos activités et notre chaîne d’approvisionnement? En quoi pourrions-nous nous inspirer de ce que font les autres dans notre secteur?

2. Est-ce que nous faisons des affaires dans des pays ou des régions présentant des risques élevés?

3. Qui sont nos fournisseurs, sous-traitants et autres principales parties prenantes dans chaque pays et région?

4. Y a-t-il des problèmes urgents à régler?

5. Avons-nous mis en place un système pour qu’il soit possible de porter plainte en cas de harcèlement ou de discrimination?

6. Quels sont nos objectifs en matière de droits de la personne et quelles sont nos attentes à l’égard de nos fournisseurs?

7. Comment communiquons-nous ces attentes à nos fournisseurs et à toutes les parties prenantes de notre chaîne d’approvisionnement? Quelle formation pouvons-nous offrir à nos employés et à nos fournisseurs pour qu’ils puissent reconnaître et limiter le travail forcé et le travail des enfants?

8. Comment évaluons-nous la capacité de nos fournisseurs à satisfaire nos attentes?

9. Comment pouvons-nous aider nos fournisseurs à satisfaire nos attentes?

10. Quel message véhiculons-nous publiquement en ce qui concerne les risques d’atteinte aux droits de la personne, ainsi que les possibilités et les activités connexes?

La communication est essentielle et elle peut vous aider à recueillir des renseignements importants. Faites en sorte que vos employés, vos fournisseurs et vos clients sachent que la prévention du travail forcé et du travail des enfants est une priorité absolue pour votre entreprise. Demandez à vos fournisseurs de vous parler de leurs pratiques et de leurs chaînes d’approvisionnement et commencez à consigner ces renseignements.

Il s’agit d’un processus continu; rendez régulièrement compte de vos progrès.

« Parallèlement, usez de votre poids et de votre influence pour encourager les autres entreprises de votre chaîne d’approvisionnement à améliorer leurs propres pratiques », conclut Mme McIntyre.

     

   

                                               

Date de modification : 2023-09-28