Voilà l’essentiel des grands titres qui faisaient la une des journaux le lendemain de l’élection du 8 juin qui a élu Theresa May à la tête de ce qu’on appelle au Canada un gouvernement minoritaire. Avec 318 sièges sur 650, les Conservateurs sont à huit sièges d’une majorité à la Chambre des communes.
L’année dernière, plus précisément le 16 juin 2016, les citoyens britanniques ont voté par référendum en faveur de la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne, entraînant la démission du premier ministre David Cameron. Avec l’élection maintenant d’un gouvernement minoritaire, le Parlement britannique ne dispose donc pas d’un mandat fort pour négocier la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne, prévue en 2019.
Les résultats de l’élection ont enflammé les médias sociaux. Alex Whitt, présentatrice des actualités du réseau américain MSNBC a qualifié les résultats de bouleversants. « May a déclenché cette élection précipitée pour donner une réelle crédibilité au Brexit, mais c’est tout le contraire qui est arrivé », a-t-elle écrit sur Twitter dès l’annonce des résultats de l’élection.
Comment ces événements historiques affectent-ils le flux des Canadiens qui traversent l’Atlantique, principalement au moment où entre en vigueur cet été l’Accord économique et commercial global (AECG) entre le Canada et l’Union européenne?
Avec 64 millions d’habitants, le Royaume-Uni est le troisième plus important marché d’exportation pour le Canada, après les États-Unis et la Chine. En 2016, nos exportations de biens et services atteignaient 22,7 milliards de dollars, soit 3,9 pour cent de toutes nos exportations, et comprenaient principalement des minéraux et des métaux ainsi que des équipements et des services de transport.
En contrepartie, le Canada a importé du R.-U. près de 15,2 milliards de dollars, soit 2,2 pour cent de toutes les importations canadiennes. Le R.-U. est également la plus importante destination des investissements directs du Canada en Europe, atteignant environ 97,9 milliards en 2016. Cela est dû en grande partie aux liens historiques et culturels entre les deux partenaires, mais aussi au sursaut de l’économie qui a précédé le vote sur le Brexit.
Suite au résultat du référendum de juin dernier, alors que 51,9 pour cent des électeurs du R.-U. ont voté pour la sortie de l’ Union européenne, plusieurs économistes prédisaient des jours sombres pour l’économie du R.-U. à court terme, la plupart des analystes voyant même de lourds nuages à l’horizon. Mais la tempête n’a jamais eu lieu, alors que la confiance des consommateurs n’a pas faibli. Bref, la vie a continué comme avant. Si certaines données récentes indiquent que la croissance économique, tout comme la confiance des consommateurs, subissait des pressions, le R.-U. n’a pas encore quitté l’Europe et les conséquences pourraient ne se manifester qu’une fois la sortie réalisée. Selon l’Organisation de Coopération et de Développement économiques (OCDE), le Brexit pourrait entraîner une baisse de trois pour cent du PIB du Royaume-Uni en 2020.
Actuellement, le principal défi des entreprises, tant nationales qu’internationales, tient à l’incertitude qui entoure la sortie de l’Europe, incertitude qui rend difficiles la planification et les décisions d’investissement.
Le 29 mars, soit environ neuf mois après la décision du Royaume-Uni de quitter l’UE,la première ministre Theresa May invoquait l’article 50 du traité de Lisbonne, qui décrit le mécanisme officiel de retrait de l’Union.
« Nous vivons un moment historique et il n’y aura pas de retour en arrière possible. La Grande-Bretagne quitte l’Union européenne, a affirmé la première ministre May au Parlement britannique. Nous prendrons désormais nos propres décisions et aurons nos propres lois. Nous exercerons le contrôle sur les choses qui importent le plus pour nous. Nous saisirons cette occasion pour bâtir une Grande-Bretagne plus forte, plus juste, un pays que nos enfants et grands-enfants seront fiers d’appeler leur pays. »
S’amorçait alors un processus de négociation d’une durée de deux ans qui mènera qui retrait du R.-U. de l’Union européenne le 29 mars 2019.
Avec la victoire surprise et majoritaire des Conservateurs en 2015, la prochaine élection au R.-U. ne devait avoir lieu qu’en 2020. Mais suite au résultat du référendum sur le Brexit, le premier ministre David Cameron démissionne et une course éclair à la chefferie mène à l’élection de Theresa May. Le 13 juillet 2016, elle devenait ainsi la deuxième femme première ministre dans l’histoire du R.-U.
Forte d’une forte avance dans les sondages, Theresa May déclenche une élection précipitée pour le 8 juin, quelques semaines à peine après avoir invoqué l’article 50, espérant ainsi obtenir un mandat fort et clair pour négocier la sortie du R.-U. de l’UE.
Durant la campagne, May et le chef de l’opposition travailliste Jeremy Corbyn ont défendu leurs plans respectifs pour organiser la sortie de l’Union. May préconisait une approche rigide alors que Corbyn proposait une plus grande ouverture à la négociation.
Le Brexit s’est imposé comme le principal enjeu au début de la campagne électorale. Mais deux attaques terroristes sur le sol britannique, de même qu’une préoccupation croissante pour les services publics de santé et une réaction des jeunes contre le Brexit a complètement renversé la situation. La participation des jeunes entre 18 et 24 ans a atteint environ 72 pour cent.
Un sondage mené le 8 juin à la sortie des bureaux de vote par Sky News, une organisation médiatique internationale, révélait que les électeurs se préoccupaient d’abord et avant tout des enjeux liés à la santé, suivi de l’économie et de l’immigration. La sécurité et le terrorisme, ainsi que les relations avec l’Union européenne, arrivaient ex aequo en quatrième place.
Cela constitue un changement important par rapport au début de la campagne. En effet, selon un sondage mené en mai par la firme de recherche et marketing britannique Yougov, 31 pour cent des électeurs affirmaient que le Brexit constituait l’enjeu le plus important pour le pays, suivi par la sécurité à 18 pour cent et la santé à 14 pour cent.
Le même sondage révélait également que, pour les électeurs, le Brexit était le principal enjeu national qui influencerait leur vote, suivi de la santé. Lorsqu’on leur a demandé quel enjeu serait le plus important pour eux s’ils étaient premier ministre, 36 pour cent ont répondu le Brexit, suivi de la santé.
Ces résultats représentent une baisse par rapport à un sondage précédent mené par Yougov en avril lors de l’annonce de l’élection anticipée. À ce moment, environ 63 pour cent des Britanniques estimaient alors que le Brexit était l’un des trois plus importants enjeux pour le R.-U. dans les prochains mois. C’était de loin le principal enjeu, suivi par la santé à 42 pour cent.
Alors, où s’en va le R.-U.?
Il faudra voir, mais les négociations avec l’UE doivent commencer dans quelques jours. Theresa May qui, dans la campagne référendaire en juin 2016, était contre la sortie du R-U. de l’Union européenne, a affirmé qu’il n’était pas question de revenir en arrière et que « le Brexit est le Brexit ». Et la principale raison qui l’a poussée à déclencher une élection était le désir d’obtenir un mandat fort pour négocier la sortie du R.-U.
Avec un gouvernement minoritaire toutefois, les experts croient maintenant que Mme May devra assouplir sa position et qu’il y a incertitude quant à la préparation actuelle du R.-U. pour entreprendre les négociations, sans compter qu’on se demande de plus en plus si Mme May pourra se maintenir au pouvoir.
Guenther Oettinger, le représentant de l’Allemagne à la Commission européenne, a affirmé à la radio allemande qu’il n’était pas certain que les négociations puissent commencer le 19 juin comme prévu. « Il faut un gouvernement qui peut réellement agir, dit-il. Avec un partenaire affaibli, le danger existe que les négociations se terminent mal. »
Nous conclurons un nouveau partenariat stratégique avec l’UE, y compris un accord de libre-échange à grande portée, audacieux et ambitieux et nous rechercherons une nouvelle entente douanière qui sera mutuellement bénéfique a-t-elle affirmé dans le site web de sa campagne.
Cela dit, le politicien français Michel Barnier, chef négociateur de l’UE pour le Brexit, a tenté de répondre à cette préoccupation sur Twitter : « Les négociations du Brexit devraient débuter lorsque le R.-U. sera prêt à le faire. Le calendrier et la position de l’UE sont clairs. Mettons nos efforts à conclure une entente. »
Durant la campagne électorale, le première ministre May a dévoilé un plan en douze points qui décrit l’approche rigide qu’elle préconise pour les négociations. Pour les entreprises canadiennes, un élément intéressant de ce plan est l’engagement d’assurer le libre-échange avec les marchés européens tout en prévoyant la conclusion d’accords commerciaux avec d’autres pays.
« Nous conclurons un nouveau partenariat stratégique avec l’UE, y compris un accord de libre-échange à grande portée, audacieux et ambitieux et nous rechercherons une nouvelle entente douanière qui sera mutuellement bénéfique a-t-elle affirmé dans le site web de sa campagne. Et puisque nous ne serons plus liés à un seul marché, nous retrouverons le contrôle sur notre propre monnaie : l’époque où la Grande-Bretagne fait une énorme contribution à l’UE chaque année sera terminée. »
À l’opposé, le leader travailliste Jeremy Corbyn proposait une approche de « négociation sensible et sérieuse » qui ne représenterait pas une menace pour l’Europe. Le parti Travailliste, qui a fait campagne contre le Brexit lors du référendum, avait une vision qui maintenait des relations solides avec l’Union européenne et par laquelle les droits des travailleurs étaient protégés.
Cette vision prévoyait :
- Aucuns tarifs pour l’accès au marché européen unique
- Ouvrir la porte à une union douanière
- Refus d’envisager une absence d’entente
- Ne pas tenir de référendum pour entériner l’entente finale négociée, mais donner plutôt un réel pouvoir au premier ministre pour aller de l’avant
- Pas de quotas d’immigration
- Droits garantis aux citoyens de l’UE vivant et travaillant au R.-U.
L’AECG est l’accord de libre-échange le plus complet et le plus ambitieux jamais négocié par le Canada. Il fixe les règles du commerce de biens et services et couvre de nombreux autres secteurs comme les barrières non tarifaires, les investissements, les approvisionnements gouvernementaux, l’emploi et l’environnement. Il ouvrira de nouveaux marchés dans l’UE pour nos exportateurs et profitera grandement aux Canadiens.
L’UE est la deuxième économie du monde et le deuxième plus important partenaire commercial du Canada après les États-Unis. C’est également le deuxième plus important marché au monde pour l’importation de biens et services. À elles seules, les importations de l’UE sont plus importantes que le PIB du Canada. L’accès préférentiel à ce marché immense et dynamique représente pour le Canada une occasion extraordinaire et lui donne un réel avantage concurrentiel.
L’AEG vise à éliminer ou réduire les barrières dans pratiquement tous les secteurs et aspects liés au commerce entre le Canada et l’UE. L’accord a une grande portée et touche les tarifs, la normalisation des produits, l’investissement, la certification professionnelle, la mobilité de la main d’œuvre et bien d’autres choses encore. Il améliorera l’accès aux marchés de l’UE pour les biens et services canadiens, favorisera la prévisibilité, la transparence et la protection des investissements, et ouvrira de nouvelles possibilités en matière d’approvisionnement de l’UE.
Pour profiter de ces avantages, il faudra que les entreprises canadiennes, les gouvernements et les regroupements d’affaires développent une stratégie globale.
Toutefois, le Canada devra négocier une entente directement avec le R.-U. en raison de la sortie de ce pays de l’UE en 2019.
Theresa May a confirmé son soutien à l’AECG lors d’une rencontre avec Justin Trudeau durant le G20 en Chine en 2016. Selon son manifeste de campagne électorale, elle a « hâte de conclure des ententes de libre-échange avec d’autres pays du monde. »
Selon le Financial Times, le R.-U. devra négocier quelque 729 traités internationaux après le Brexit.
En janvier de cette année, lors d’une allocution devant les membres du Toronto Board of Trade, le secrétaire au commerce international du R.-U., Liam Fox, a affirmé qu’une entente de libre-échange avec le Canada est une priorité.
S’assurer qu’il n’y aura pas d’interruption du libre-échange avec le Canada, comme avec tout autre partenaire, est une de nos grandes priorités.
« Le Royaume-Uni doit tisser de nouvelles relations avec les pays qui sont ses alliés les plus proches et de longue date, a-t-il dit. S’assurer qu’il n’y aura pas d’interruption du libre-échange avec le Canada, comme avec tout autre partenaire, est une de nos grandes priorités. »
Jayson Myers, analyste principal en commerce pour le Canada, estime que si le résultat de l’élection au R.-U. a provoqué la surprise, il n’y a pas lieu de paniquer, car la situation se précisera dans les prochains jours. « Mon message aux compagnies canadiennes est de garde leur calme et de continuer à commercer avec le R.-U. », dit-il.