Les données à haute fréquence sont très prisées ces temps-ci. On veut savoir ce que nous réservera demain, la semaine prochaine et le mois prochain. On veut des prévisions à court terme, pour se rassurer. Pourtant, ce n’est pas la démarche habituelle pour de véritables investissements. À vrai dire, ils sont des paris substantiels faits dans un horizon à long terme, le tout après un examen rigoureux. À la différence des autres composantes du produit intérieur brut (PIB), l’investissement des entreprises ne se résume pas aujourd’hui à la consommation des biens; il consiste plutôt à mettre en place des mécanismes pour créer les biens de demain. En ce sens, c’est un excellent baromètre de la conjoncture à venir. Que nous disent les tendances actuelles dans la sphère de l’investissement?

Pour le savoir, retraçons d’abord le parcours de l’investissement matériel. Ces dernières années n’ont pas été très mémorables. Les années ayant suivi la crise financière mondiale ont été marquées initialement par la stagnation, l’activité d’investissement avant la pandémie ayant été très dynamique. La capacité excédentaire n’a pas été épongée du jour au lendemain, et l’investissement des entreprises dans les installations et les équipements est demeuré léthargique pratiquement jusqu’aux premiers jours de la pandémie. L’accélération de la croissance dans les deux à trois années précédant la pandémie a créé une demande comprimée du côté de l’investissement; on a ainsi détecté de légers signes d’un regain en 2019. 

L’investissement timide des entreprises peut surprendre. La révolution technologique continue de s’accélérer de manière exponentielle si bien que les entreprises un peu partout sur le globe doivent mettre les bouchées doubles uniquement pour suivre le rythme. On leur pardonnerait donc d’avoir mis en veilleuse leurs projets d’expansion de leurs installations; rappelons-nous qu’elles devaient aussi composer avec des budgets très serrés pour l’achat de machineries et d’équipements. 


Puis, la crise de la COVID-19 a éclaté; elle a fait plonger le PIB et du même coup plombé la confiance commerciale et… l’investissement. Face à l’incertitude entourant le moment d’un retour à la normalité, la grande majorité des entreprises ont conservé leurs liquidités et mis de côté un nombre maximum de projets d’investissement. Or l’investissement est par nature soumis à l’instabilité, et de ce point de vue la pandémie n’a rien changé. Bon nombre d’entreprises ont alors compris qu’elles devaient agir sans tarder. Du jour au lendemain, les entreprises disposant de plateformes de livraison numériques avaient la cote alors que tous les acteurs du marché se démenaient pour fournir les biens et les services dont nous avions besoin. La fidélité a été oubliée : les entreprises pouvant « livrer la marchandise » ont décroché les contrats. Pour celles qui étaient incapables de le faire ou de s’adapter, les conséquences ont été dévastatrices. Les entreprises qui se sont vite adaptées ont dû déployer des moyens considérables et réagir promptement pour devancer les nombreuses autres devant combler les mêmes besoins pressants. 

À quoi ressemble ce tableau en chiffres? Le regain de l’investissement s’est produit en même temps que la mise en œuvre des imposants programmes publics d’aide en réponse à la pandémie. En supprimant cet élément des données du PIB, on constate que la contribution de l’investissement des entreprises dans la machinerie et l’équipement – exprimée en part de l’activité économique – s’est en fait accrue. Voilà qui est révélateur puisque d’autres grands pans de l’économie, et notamment la consommation, étaient alors aussi en mode relance. Aux États-Unis, la part de l’investissement a grimpé en moyenne de 11,4 % à 12,1 %. D’ordinaire, les économistes sont emballés par des fluctuations deux moins importantes que celle-ci. Dans l’Union européenne, le bond a été plus modeste, soit de 0,3 point de pourcentage, pour s’établir à 8,1 %, ce qui est digne de mention compte tenu des difficultés économiques de cette région.

La performance du Canada pendant la même période laisse perplexe. Ici, la part de l’investissement a chuté de façon marquée, glissant de 7,3 % à 6,1 %. L’aversion des entreprises canadiennes pour le risque est-elle en cause? Pas vraiment. Nous savons tous que durant le même intervalle, on a assisté à un fort repli de l’investissement dans le secteur pétrogazier – dont la contribution à l’investissement total est nettement plus importante qu’on le croit généralement. Si on retranche cette composante, je suis persuadé que les chiffres du Canada s’apparentent à ceux observés en Europe et aux États-Unis.

Quel avenir se dessine pour l’investissement?

  1. Ce n’est pas un secret : ces jours-ci, les entreprises manqueraient de capacités pour répondre à la demande mondiale de biens et de services. Cette situation fera augmenter l’investissement, qui sera stimulé par la montée des prix.
  2. La pénurie de main-d’œuvre est un problème planétaire, même s’il y a quelques exceptions, ce qui permet de croire que dans un avenir rapproché les entreprises seront de plus en plus tributaires de la robotique, de l’apprentissage-machine et des équipements lourds utilisant des technologies de pointe.
  3. Il y a une pénurie criante d’infrastructures facilitant les échanges commerciaux, comme le laisse entendre le déficit infrastructurel dans de multiples pays. 
  4. Il y aura un raffermissement de la demande pour la machinerie et l’équipement dans la foulée des initiatives de relocalisation, de délocalisation à proximité des chaînes d’approvisionnement et d’autres initiatives du même genre lancées durant la pandémie.
  5. La concurrence demeure une réalité : il est par conséquent impératif de se démarquer pour gagner des parts du marché mondial. Dans ce domaine, le secteur de la machinerie et l’équipement jouera un rôle croissant.

Conclusion?

À plusieurs égards, le contexte actuel est un moment crucial pour l’investissement à l’échelle mondiale. La pandémie aurait, semble-t-il, insufflé un nouvel élan à l’investissement après la crise financière mondiale. Voilà une occasion privilégiée pour les acteurs qui étaient déjà en bonne posture. Ceux qui tiraient de l’arrière pourront passer directement aux prochaines technologies et ainsi exercer des pressions sur les autres. Les premiers comme les seconds devront saisir cette opportunité pour rester dans la course.

 

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