Le secteur pétrolier est confronté à une crise inconcevable il y a quelques semaines à peine. J’ai grandi dans les années 70, soit à l’époque du cartel de l’OPEP. Jamais je n’aurais imaginé – même si je le souhaitais vivement – qu’un jour le pétrole brut serait gratuit... Pourtant, c’est précisément ce qui s’est arrivé pour la première fois le 20 avril, avec de graves conséquences pour le secteur. S’agit-il là des effets regrettables de la pandémie mondiale ou bien a-t-on affaire à un problème plus vaste? Question plus importante encore, quelle sera « l’issue ultime » de cette situation tout à fait singulière?

Le secteur n’a pas été le premier secoué par la crise de la COVID-19, mais son cas a été sans doute le plus médiatisé, et ce, d’une façon assez dramatique. Depuis déjà un certain temps, le secteur s’inquiétait d’une offre excédentaire lorsque la pandémie a causé un effondrement de la demande. Par ailleurs, l’absence d’accord sur des réductions appropriées de la production entre des pays membres de l’OPEP+ a fait chuté le pétrole brut West Texas Intermediate de 50 à 30 dollars américains le baril le 9 mars dernier. Et pour ne pas arranger les choses, les pourparlers laborieux entre les pays membres visant à trouver un accord ont fait glisser les prix jusqu’à 20 dollars américains le baril. Les perspectives se sont encore assombries à la fin de la semaine dernière et l’impasse dans le dossier des restrictions de l’offre a plongé le marché dans une situation intolérable. La capacité de stockage étant pratiquement utilisée, les producteurs du Western Canada se sont trouvés à payer pour que les « acheteurs » prennent livraison de leur pétrole : les prix sont donc entrés en territoire négatif.

Sur le marché, c’est un fait rare. Dans un contexte de recul des ventes, il est difficile de stopper la production. Résultat : le coût de stockage de la production excédentaire devient si élevé qu’il devient avantageux pour le producteur de se départir de la matière première si le coût est inférieur à celui du coût de stockage. C’est là une situation désespérée qui ne peut durer, peu importe le secteur touché. Comment en est-on arrivé là, et de toutes les industries, comment se fait-il que le secteur pétrolier en soit victime?

Cette situation ne s’est pas survenue du jour au lendemain. Dans les années ayant précédé 2008, des études géologiques sérieuses annonçaient une pénurie de sources pétrolières bon marché. On connaît la suite : les prix se sont envolés, et les activités d’exploration et de mise en valeur des sources pétrolières non conventionnelles se sont intensifiées – tout comme les activités axées sur l’innovation. L’offre très abondante issue des nouvelles formations de gaz de schiste a fait redescendre les prix de leurs sommets vertigineux. Au lieu de se laisser décourager, les producteurs de ces sources nouvelles – mais plus coûteuses à exploiter – ont mis au point des techniques novatrices permettant de réduire les coûts et d’augmenter la production. Cette situation précaire sur le front de l’offre et la demande mondiales a été bouleversée par le confinement en Chine, lequel a considérablement plombé la demande mondiale. À leur tour, les pays développés ont été confrontés à des circonstances semblables : les travailleurs étant forcés de rester à la maison, la fin du navettage quotidien a tari la première source de la demande mondiale; à cela s’est ajoutée une contraction notable de l’activité dans de grands complexes industriels. Sans  diminution substantielle de l’offre, les prix risquaient de s’orienter à la baisse.

Le redémarrage de la demande, une fois la crise de la COVID-19 terminée, ne réglera pas tous les problèmes. Il permettra de tirer les prix de leur niveau zéro, mais la production continuera de pâtir puisqu’elle est dispersée entre des pays membres et non membres de l’OPEP. Il faudrait des mesures radicales et généralisées de réductions de l’offre pour ramener les prix à au moins 50 dollars américains le baril. Dans ce contexte, les Services économiques d'EDC prévoient que les prix resteront en moyenne inférieurs à 40 dollars américains le baril l’an prochain, et avoisineront les 50 dollars américains le baril jusqu’en 2023. Les risques semblent nettement suivre une tendance à la baisse.

Les producteurs canadiens ont été frappés de plein fouet par cette conjoncture et, comme on le redoutait, les prix sont entrés en territoire négatif le 20 avril. En se fondant sur les niveaux actuellement prévus, les producteurs réaliseront des bénéfices, mais bon nombre d’entre eux auront du mal à rester longtemps à flot si les prix continuent de frôler zéro dollar. Conscient des contraintes pesant sur le secteur, le gouvernement fédéral a annoncé le 17 avril des mesures d’aide afin d’aider les entreprises du secteur à surmonter les pires moments de la crise de la COVID-19. Le secteur pétrolier, à la différence de la plupart des autres industries, devra composer avec une offre excédentaire pendant un encore un bon moment. En l’absence d’accords internationaux limitant l’offre – et ce genre d’accords est plus difficile à conclure et à faire respecter que par le passé –, ce secteur sera aux prises avec difficultés pendant un certain temps. Cela dit, le secteur étant particulièrement exposé aux bouleversements géopolitiques, il serait hasardeux de s’avancer sur l’évolution des prix. Dans le même temps, le mécanisme régissant les prix a montré à maintes reprises qu’il est l’un des principaux éléments venant brouiller les prévisions tendancielles : les faibles prix incitent à consommer davantage, ce qui éventuellement fait grimper les prix. Cette fois, un élément impondérable pourrait changer la donne : la conscience environnementale.

Conclusion?

La crise de la COVID-19 a eu des effets dévastateurs sur un marché pétrolier déjà sous tension. Le secteur traverse ses moments les plus sombres, ce qui d’habitude donne lieu à des déclarations fracassantes et apocalyptiques qui ne se matérialisent tout simplement pas. Pourtant, l’analyse des fondamentaux nous révèle que la remontée du secteur ne se fera pas sans embûches. Une chose est sûre : ce secteur a montré une remarquable créativité en des temps difficiles. Espérons que cet épisode sera de courte durée et qu’il sera suivi d’une nouvelle vague d’innovations spectaculaires dans le secteur de l’énergie.

 

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