Lorsque les banques centrales ont commencé à relever leurs taux d’intérêt au printemps 2022 dans l’espoir de réprimer les tensions inflationnistes, le débat entourant les effets retardés de la politique monétaire s’est trouvé relancé. Selon une règle d’or souvent évoquée en économie, tout changement aux taux d’intérêt prend de 18 à 24 mois pour gagner l’économie réelle et se répercuter sur les décisions des consommateurs et des entreprises en matière de dépenses. Comme nous venons de franchir la limite inférieure de cet intervalle, les marchés sont à l’affût de tout signe de ralentissement.

Après plus d’une décennie de politique monétaire ultra accommodante et d’autres mesures extraordinaires, les efforts de la Réserve fédérale américaine (la Fed), de la Banque du Canada, de la Banque centrale européenne (BCE) et d’autres banques centrales pour fermement ancrer l’inflation à la fourchette cible fixée commencent à produire les effets escomptés. Ces efforts ont grandement contribué à lutter contre l’inflation, certes, mais ils devraient peser lourdement sur la croissance au cours des 12 prochains mois.

Des signes de repli se manifestent déjà dans le marché de l’emploi, et ce, malgré son étonnante résilience depuis le début de l’année. Lors de la publication des Perspectives économiques mondiales d’Exportation et développement Canada, le 11 octobre dernier, on dénombrait sur trois mois en moyenne 266 000 emplois créés aux États-Unis, contre 423 000 il y a un an.

Par ailleurs, la croissance des salaires est aussi nettement inférieure aux taux auxquels les travailleurs s’étaient habitués l’an dernier. Résultat : on s’attend à une diminution substantielle de l’épargne excédentaire accumulée pendant la pandémie. Voilà qui limitera la capacité de dépenser du consommateur américain durant les prochains trimestres. Les Services économiques d’EDC prévoient que la croissance du produit intérieur brut (PIB) américain passera à 2 % en 2023, puis glissera à tout juste 0,6 % en 2024.

Malgré le recul de l’inflation, nous nous attendons à ce que la Fed relève ses taux d’intérêt d’un autre 25 points de base avant la fin de ce cycle haussier, ce qui est conforme à sa volonté de ramener l’inflation dans la fourchette cible. Toute intervention future de la Fed sera résolument dictée par les données, dans l’optique de s’acquitter de son double mandat : la stabilité des prix et une croissance du niveau de l’emploi optimale et durable. Selon nous, la banque centrale américaine restera sur ces positions jusqu’à la mi-2024.


Le Canada a connu une situation semblable à celle des États-Unis. Toutefois, la Banque du Canada a agi plus tôt en majorant les taux en 2022, puis en effectuant des augmentations réactives en 2023. Les consommateurs canadiens étant plus endettés – le ratio de la dette au revenu atteint 180 % au pays –, des taux plus élevés posent ici un défi plus imposant. Dans le même temps, le marché canadien de l’emploi a aussi commencé à ralentir la cadence. Le tassement de la demande intérieure et le repli de la croissance chez notre principal partenaire commercial se traduiront par une croissance de 1,3 % en 2023, puis de 0,6 % en 2024.

Le Canada étant confronté à une économie intérieure fragile, nous prévoyons que la Banque du Canada restera sur la touche. Le fléchissement de la croissance aidera à atténuer les tensions sur les prix. Dans ce contexte, l’inflation devrait redescendre à la limite supérieure de la fourchette cible d’ici la fin de 2023. À l’image de la Fed, la Banque du Canada devrait attendre à la mi-2024 pour amorcer la réduction graduelle de son taux directeur, soit au moment de la stabilisation des tensions inflationnistes. D’après nous, face à la devise américaine, le huard s’échangera en moyenne à 75 cents en 2023 et à 76 cents en 2024.

La Chine doit s’attaquer à des défis bien différents. Après une normalisation rapide de son activité au lendemain de la réouverture de son économie, le pays subit les effets persistants du ralentissement de son secteur immobilier (qui représente près d’un tiers de son économie), d’une confiance en berne, d’un chômage record chez les jeunes et d’une détente de la demande du côté des exportations. Nous estimons peu probable que le gouvernement adopte d’importantes mesures pour stimuler l’économie vu le fort endettement des administrations locales et la réticence à continuer de financer la croissance par le crédit. La croissance du PIB devrait donc rester inférieure à sa cible déjà réduite qui avoisine 5 %, soit à 4,8 % en 2023 et à 4,4 % en 2024. Comme la Chine contribue à environ 40 % de la croissance mondiale depuis 15 ans, sa piètre performance freinera la croissance dans d’autres économies.

C’est le cas de la zone euro, dont l’élan se limitera à 0, 7 % en 2023, puis à 1,1 % en 2024. La performance de l’Allemagne – première économie de la zone – pèse considérablement sur les perspectives alors que le pays s’efforce d’éviter la stagnation. La BCE aura fort à faire pour concilier la nécessité de gérer les tensions inflationnistes persistantes et la faiblesse soutenue de l’activité économique à l’ensemble du bloc. Nous nous attendons à ce que Francfort maintienne son taux directeur inchangé jusqu’à l’automne prochain.

Le fléchissement généralisé de l’activité dans une bonne partie de l’économie mondiale plombera la demande pour les principaux produits industriels de base et impactera les cours d’une grande partie du complexe des matières premières. Les cours pétroliers resteront instables, étant donné que l’OPEP+ cherche à compenser la contraction de la demande en gérant les approvisionnements. Dans cette conjoncture, nous projetons un cours du pétrole brut West Texas Intermediate se négociant en moyenne à 78 dollars cette année et à 73 dollars en 2024. Le cours devrait fluctuer cette année et l’an prochain, le marché réagissant à ces dynamiques contradictoires.

Conclusion?

Les répercussions des multiples hausses de taux par les banques centrales sont ressenties de façon très concrète en Amérique du Nord, en Europe et à l’ensemble des autres grandes économies. Pour sa part, l’économie chinoise doit composer avec plusieurs défis, certains de nature cyclique et d’autres de nature structurelle. Compte tenu de tous ces éléments, nous projetons une croissance de l’économie mondiale ni trop tonique ni trop apathique de 2,9 % en 2023, puis de 2,7 % en 2024.

Cette semaine, nous tenons à remercier chaleureusement Ross Prusakowski, directeur de notre Équipe des renseignements sur les secteurs et les pays, pour sa contribution.

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