Lorsque le représentant au Commerce extérieur des États-Unis, Robert Lighthizer, a publié à la mi-juillet les objectifs commerciaux américains dans le cadre de l’ALENA 2.0, les représentants du Mexique ont poussé un soupir de soulagement.

Comme l’explique Alejandro Rojas, un consultant commercial de Mexico, « le Mexique est heureux de constater que les États-Unis souhaitent renégocier l’accord plutôt que l’abandonner ».

La liste complète des objectifs américains a révélé une approche de renégociation de l’accord de 23 ans plus mesurée que prévu : elle consiste essentiellement à éliminer les droits de douane en Amérique du Nord.

Accent sur les déficits commerciaux

Bien que cette question ne soit pas directement liée à l’ALENA, les États-Unis placent en tête de liste des objectifs de renégociation la réduction des déficits commerciaux avec ses partenaires, le Canada et le Mexique.

« Depuis la mise en œuvre de l’ALENA en 1994, la balance commerciale des États-Unis avec le Mexique est passée d’un surplus de 1,3 milliard à un déficit de 64 milliards en 2016 », selon le communiqué de presse du représentant au Commerce extérieur des États-Unis concernant la renégociation. « Des problèmes d’accès au marché sont apparus au Canada en lien avec les produits laitiers, le vin, les céréales et d’autres produits, et l’accord actuel ne fournit pas les outils nécessaires pour y remédier. »

Si l’on se concentre uniquement sur les déficits commerciaux, on perd de vue l’ensemble du commerce trilatéral, selon l’expert en commerce international Jayson Myers.

« On ne peut pas dire qu’il s’agit de commerce déloyal simplement à cause d’un déficit commercial », ajoute Myers. « En fait, si l’on tient compte des services, les États-Unis n’ont pas vraiment de déficit commercial avec le Mexique. »

Rojas abonde dans le même sens :

« L’ALENA ne comprend actuellement aucun objectif lié à la réduction des déficits commerciaux. Ce problème ne peut être résolu et n’est pas causé par l’accord lui-même. C’est un sujet épineux qui pourrait compliquer les négociations. »

Toutefois, le ministre mexicain de l’Économie, Ildefonso Guajardo, voit le verre à moitié plein en ce qui a trait aux demandes des États-Unis, affirmant que l’ALENA 2.0 vise à favoriser le commerce, et non le protectionnisme, et qu’il n’aborde pas la question des déficits commerciaux.

« On ne peut pas dire qu’il s’agit de commerce déloyal simplement à cause d’un déficit commercial. En fait, si l’on tient compte des services, les États-Unis n’ont pas vraiment de déficit commercial avec le Mexique. »

Jayson Myers  —  expert en commerce international

« Comme je le dis sans cesse à mes collègues, nous serons ravis de discuter de la balance commerciale, à condition que l’accent soit mis sur l’augmentation du commerce et non sur sa diminution », a-t-il déclaré à Reuters le 18 juillet lors d’une entrevue téléphonique.

Liste de souhaits des États-Unis

Le manifeste de 18 pages, qui met la table pour les négociations qui débuteront le 16 août à Washington, est moins préoccupant que ce à quoi s’attendaient les représentants canadiens et mexicains.

Selon Myers, les objectifs commerciaux des États-Unis peuvent se résumer aux trois éléments suivants : une longue liste d’obstacles au commerce; des points négociés dans le cadre du Partenariat transpacifique; et trois problèmes particuliers concernant l’ALENA. Ces questions se trouvent au chapitre 19 et touchent la résolution de différends liés aux recours commerciaux, aux règles d’origine et à l’accès aux marchés d’approvisionnement.

Les règles d’origine seront le principal enjeu pour le Mexique, selon Mark Warner, avocat spécialisé dans le commerce canado-américain.

« Ce sera un enjeu important pour le Mexique Ce n’est peut-être pas la meilleure approche du point de vue économique, compte tenu de la nature intégrée des chaînes d’approvisionnement, mais c’est ce sur quoi les États-Unis mettront l’accent. »

Myers est du même avis :

« Les États-Unis disent vouloir privilégier le contenu américain et nord-américain, mais il est difficile de dire ce qu’ils entendent précisément, ajoute-t-il. Il est possible que deux ensembles de règles d’origine soient établis, ce qui pourrait être problématique pour des secteurs intégrés, comme celui de l’automobile. »

les objectifs commerciaux des États-Unis peuvent se résumer aux trois éléments suivants : une longue liste d’obstacles au commerce; des points négociés dans le cadre du Partenariat transpacifique; et trois problèmes particuliers concernant l’ALENA. Ces questions se trouvent au chapitre 19 et touchent la résolution de différends liés aux recours commerciaux, aux règles d’origine et à l’accès aux marchés d’approvisionnement.

Jayson Myers  —  expert en commerce international

Négociations accélérées

L’échéancier des négociations est un autre élément qui pourrait poser problème. Comme l’année 2018 est une année d’élection présidentielle au Mexique, les représentants mexicains, souhaitant prévenir la politisation potentielle des discussions, ont fait pression pour que les négociations soient accélérées.

Un rapport publié par Reuters à la mi-juillet indique que les trois pays se sont entendus pour tenir sept rondes de négociations d’ici la fin de 2017.

« C’est un échéancier très serré, avertit Warner. Je vois mal comment on pourrait tout régler en moins d’un an. »

Myers est du même avis :

« Considérant qu’il y a 18 pages d’objectifs de négociation, le processus prendra certainement du temps. Un échéancier accéléré pourrait être problématique. »

C’est toutefois possible si l’administration américaine peut en tirer une victoire évidente.

La principale question est de savoir ce qui permettra à Donald Trump de présenter l’accord comme le meilleur jamais négocié. Cela passera probablement par les règles d’origine.

Jayson Myers  —  expert en commerce international

« La principale question est de savoir ce qui permettra à Donald Trump de présenter l’accord comme le meilleur jamais négocié, affirme Myers. Cela passera probablement par les règles d’origine. »

Le Mexique est bien préparé

Myers, qui a passé une semaine à Mexico en juillet pour discuter avec des entreprises canadiennes qui font affaire au Mexique et rencontrer des représentants commerciaux mexicains, observe que le climat d’exagération entourant actuellement l’ALENA a forcé les représentants à bien connaître leurs dossiers.

« Le Mexique est très bien préparé pour les négociations, indique-t-il. Les représentants ont des objectifs de négociation clairs et une stratégie réfléchie. »

Le Mexique est très bien préparé pour les négociations. Les représentants ont des objectifs de négociation clairs et une stratégie réfléchie.

Jayson Myers  —  expert en commerce international

Cela peut être en partie attribuable à la qualité du processus de consultation et d’interaction avec la communauté d’affaires et à la présentation de propositions tout au long du processus.

« Les Mexicains ne se sont pas uniquement penchés sur la position des États-Unis, mais aussi sur celle du Canada, selon Myers. Ils sont bien positionnés pour commencer les négociations. »

Au cours des dernières années, le Mexique a élaboré une politique de diversification, qui vise à réduire sa dépendance à l’égard des États-Unis. Il a signé 10 accords de libre-échange avec 45 pays ainsi que 32 accords de promotion et de protection réciproque des investissements avec 33 pays.

L’organe de développement économique du pays, ProMexico, utilise la diversité comme stratégie de marketing.

« Depuis qu’il a conclu des accords commerciaux sur trois continents, le Mexique se positionne comme la porte d’entrée vers un marché potentiel de plus d’un milliard de consommateurs, qui représentent 60 % du PIB mondial », selon le site Web de ProMexico.

« Le Mexique a déployé des efforts considérables pour augmenter ses exportations dans des marchés autres que les États-Unis et les investissements au Mexique provenant de pays autres que les États-Unis », affirme Myers.

Depuis qu’il a conclu des accords commerciaux sur trois continents, le Mexique se positionne comme la porte d’entrée vers un marché potentiel de plus d’un milliard de consommateurs, qui représentent 60 % du PIB mondial.

Le site Web de ProMexico

Accord sur le commerce du sucre avant la renégociation de l’ALENA

Au début juin, le Mexique a conclu un accord avec les États-Unis sur un dossier très litigieux – le sucre. Le marché du sucre a été au centre des contentieux liés au commerce bilatéral entre les deux pays depuis la signature de l’ALENA.

Le Mexique a consenti à toutes les demandes des États-Unis, soit une réduction des exportations de sucre raffiné.

« Nous avons renoncé à beaucoup », a confié Juan Cortina Gallardo, président de la chambre de l’industrie du sucre du Mexique au New York Times au début juin. « D’une part, il était dans l’intérêt de l’industrie mexicaine de signer l’accord et, d’autre part, il était avisé pour le Mexique de réussir à conclure un accord étant donné la renégociation de l’ALENA. »

Myers croit que le Mexique s’est plié aux demandes des États-Unis afin de donner le ton pour les négociations entourant l’ALENA :

« Le Mexique n’a pas négocié un accord très avantageux, mais il voulait qu’une entente soit conclue et que la question du sucre soit réglée afin de pouvoir se concentrer sur l’ALENA. »

Au bout du compte, le Canada et le Mexique adoptent une approche visant à limiter les dégâts découlant de la renégociation de l’ALENA. Ils cherchent avant tout à ne pas réduire leur accès au marché américain.

Jayson Myers  —  expert en commerce international

« Au bout du compte, le Canada et le Mexique adoptent une approche visant à limiter les dégâts découlant de la renégociation de l’ALENA, croit Myers. Ils cherchent avant tout à ne pas réduire leur accès au marché américain. »