ALENA et compagnies canadiennes

Un nouveau slogan pour les compagnies canadiennes: « Soyons prêts! »

Dans ce deuxième article d’une série de quatre portant sur les répercussions possibles d’un remaniement de l’ALENA sur l’avenir des entreprises canadiennes, découvrez le plan d’urgence que certaines entreprises ont élaboré en raison de la montée du protectionnisme aux États-Unis. 

Avec l’incertitude quant à l’avenir de l’ALENA, les entreprises canadiennes sont certaines d’une seule chose : le soleil continuera de se lever à l’est et de se coucher à l’ouest. Voilà pourquoi plusieurs adoptent la devise des scouts : « Toujours prêt! ».

La renégociation de l’ALENA après 23 ans, et le fait que Washington met plus de temps que prévu à annoncer ses politiques incitent certaines entreprises canadiennes à considérer notre principal partenaire commercial comme un marché de plus en plus à risque.

Cette perception a été renforcée par la publication plus tôt cette année par l’article de EDC intitulé Les 10 principaux risques pour les entreprises canadiennes à l’étranger. Les deux principaux risques identifiés dans l’article concernaient les É.-U., soit le protectionnisme croissant et l’incapacité des autorités américaines à adopter des lois.

Atténuer les risques et planifier les impacts futurs de l’ALENA deviennent donc des préoccupations quotidiennes pour les nombreuses compagnies qui mènent avec succès des activités commerciales au sud de la frontière.

É.-U. : « acier », c‘est « acier »

« Les risques qu’il y a à faire affaire aux É.-U. sont plus élevés aujourd’hui et cela ne va pas s’améliorer, explique Ron Harper, président de Cogent Power. Mon conseil aux compagnies canadiennes : planifiez! »

M. Harper sait de quoi il parle lorsqu’il est question de planification. Soixante pour cent des ventes du manufacturier de composantes électriques en acier de Burlington, en Ontario, sont réalisées aux É.-U. En plus de l’incertitude croissante sur ce que sera l’ALENA 2.0 et des exigences de plus en plus grandes en matière d’achat local, la compagnie doit relever un autre défi, celui de l’enquête en vertu de l’article 232 du département du commerce des É.-U. Lancée en avril, l’enquête vise à déterminer si les importations de produits en acier représentent une menace à la sécurité nationale et pourrait mener à de nouveaux quotas ou à des tarifs sur les importations d’acier.

L’industrie de l’acier est fortement intégrée entre le Canada et les É.-U. et la question est hautement politique. Une décision était attendue à la fin de juin. À la fin d’août, 25 dirigeants de compagnies américaines d’acier ont fait parvenir au président Trump une lettre affirmant que l’industrie américaine de l’acier souffrait de la situation et demandant au président d’affirmer sa vision « L’Amérique d’abord ».

« Il est urgent d’agir, affirmaient les dirigeants. Depuis l’annonce de l’enquête en vertu de l’article 232, en avril, les importations ont augmenté. »

Si le risque croissant n’a pas encore eu un effet sur les bénéfices nets de Cogent, Ron Harper doit consacrer de plus en plus de temps à gérer la situation. Il est devenu le principal porte-parole de ses clients américains et travaille en collaboration avec les représentants canadiens des deux côtés de la frontière américaine afin de trouver des solutions à ce problème.

« C’est comme avoir un deuxième emploi, dit-il. Je me tiens constamment au fait des négociations de l’ELENA 2.0, de l’évolution de l’enquête en vertu de l’article 232 et j’informe nos clients américains des plus récents développements. Ce travail fait partie de notre nouvelle proposition de vente à nos clients. »

Signe positif pour Cogent, plusieurs compagnies américaines demandent d’exclure de l’enquête les métaux spécialisés comme les aciers magnétiques à grains orientés. En fait, Cogent fut la seule entreprise mentionnée lors des audiences publiques. Jack Roberts, chef de la direction de la compagnie américaine Power Partners, a affirmé que ce ne sont pas tous les alliages d’acier entrant dans la fabrication des aciers magnétiques qui peuvent être produits aux É.-U. et a demandé que les partenaires de l’Accord de libre-échange nord-américain – et particulièrement le Canada – ne soient pas soumis à l’article 232 afin de protéger le fournisseur de longue date de son entreprise, Cogent.

« L’avenir est incertain pour les entreprises, explique Ron Harper. Bien sûr, nous ne perdrons pas 60 % de notre chiffre d’affaires, mais la possibilité est forte que cela affecte considérablement la chaîne d’approvisionnement et que nous ne puissions plus offrir la meilleure valeur possible à nos clients américains. »

L’essentiel

« Les entreprises doivent travailler avec leurs clients et les renseigner, poursuit-il. Elles doivent élaborer des scénarios pour l’avenir et développer des plans d’urgence. »

Ryan Wicklum, gestionnaire de la chaîne d’approvisionnement chez Clearpath wholeheartedly de Kitchener, en Ontario, est d’accord sur cette question.

« Vous devez être prêt à toute éventualité et ne pas avoir uniquement un plan A, dit-il. Il vous faut une stratégie de mitigation des risques et des plans B et C. »

Le marché américain compte pour 90 % des ventes totales des manufacturiers de robotique. Comme Cogent, le risque accru n’a pas eu d’effet sur les bénéfices nets de la compagnie, mais cela pose des défis et, bien sûr, un surplus de travail.

Ryan Wicklum souligne que des politiciens de tous les partis des deux côtés de la frontière ont affirmé qu’ils souhaitaient une renégociation de l’ALENA à un moment ou l’autre, mais la communauté d’affaires voyait là essentiellement une vague promesse. Aujourd’hui, la renégociation de l’ALENA est une réalité qu’ils prennent au sérieux.

Le manque de cohérence crée l’incertitude

« Pour ce qui est du commerce, les compagnies canadiennes veulent deux choses : la prévisibilité et la cohérence, explique M. Wicklum. Mais aujourd’hui, une seule chose est certaine : l’incertitude. »

La situation actuelle ressemble à des montagnes russes. Il est dès lors très difficile de planifier.

« C’est difficile parce que les choses changent constamment, ajoute-t-il. Mon défi est de déterminer quel pourcentage de mon temps et de mes ressources je dois consacrer à élaborer des plans d’urgence. »

M. Wicklum garde espoir et croit que la nouvelle entente améliorera les échanges commerciaux plutôt que de les détériorer.

« La renégociation de l’ALENA posera de nouveaux défis non seulement à nous, mais aussi aux autres manufacturiers canadiens, dit-il. Pour nous qui sommes un manufacturier à forte composante technologique, la solution résidera dans la réduction de la paperasse et un accès transfrontalier plus facile pour les voyageurs d’affaires et travailleurs. Parce que notre industrie est fortement intégrée, nous devons faire circuler les biens facilement et sans entrave entre les pays et dès lors, cela forcera peut-être des négociations plus équilibrées. »

Le défi amène son lot d’occasions

Si personne ne peut prédire l’impact de la renégociation de l’ALENA sur les chaînes d’approvisionnement et les façons de faire, il est certain que l’absence de plan condamne à l’échec. « Parce qu’il y a de nombreux enjeux politiques, il est impossible de prévoir le résultat des négociations, explique Ron Harper. Mon conseil est simplement de préparer des plans d’urgence et de renseigner vos clients. »

Les nombreux défis qui se posent entraîneront leur lot d’occasions.

« Pour notre entreprise, dit M. Harper, il y aura certainement des changements. Mais nous ignorons lesquels et quand ils surviendront. Notre chaîne d’approvisionnement pourrait être complètement bouleversée, mais d’extraordinaires occasions pourraient aussi s’offrir à nous. Les entreprises qui réussissent le mieux sont elles qui savent voir des occasions là où les autres ne voient que des problèmes. C’est l’approche que nous avons adoptée. »

Danny Hanson, vice-président, Durabilité chez Louisbourg Seafood, au Cap-Breton, souligne que si l’on se fie au passé, les entreprises canadiennes ne doivent pas trop s’inquiéter.

« L’ELENA est en vigueur depuis 23 ans et même avant, il y a avait des échanges commerciaux entre le Canada et les É.-U. avant. L’incertitude du marché n’est pas souhaitable, mais ce n’est pas la fin du monde, » dit-il. « Le Canada est le plus important partenaire commercial de 35 États et est responsable de millions d’emplois aux É.-U. Cela seul suffira à maintenir les liens. »

                       

Date de modification : 2017-09-18