L’élection française : des outils efficaces pour l’exportateur

Au-delà de l’élection française : Des outils efficaces pour l’exportateur

Le succès de Marine Le Pen (Front National) lors de l’élection française a obligé les exportateurs à réévaluer leur relation avec la France, la candidate ayant promis d’imposer des droits d’importation, entre autres mesures défavorables. Cependant, vu l’application provisoire de l’AECG à partir du 1er juillet, c’est le moment idéal pour diversifier vos débouchés extérieurs. Omar Allam, spécialiste du commerce international, a répondu à nos questions.

Omar Allam, PDG et président mondial du conseil de la Allam Advisory Group, est un ancien diplomate commercial principal du Canada et ancien dirigeant d’entreprise qui a acquis de l’expérience à la Banque mondiale et à l’ONU.

En quoi une victoire de Marine Le Pen se compare-t-elle à d’autres événements comme le Brexit?

La Constitution française accorde beaucoup de pouvoirs au président, mais la marge de manœuvre de ce dernier en ce qui touche la participation du pays à l’Union européenne est très limitée. À l’image de Donald Trump, Le Pen veut « redonner sa grandeur à la France », baisser les impôts des petites entreprises, alléger la réglementation et augmenter les dépenses intérieures. La candidate d’extrême droite a aussi promis de sortir la France de l’Union européenne et de réduire drastiquement l’immigration, tout en optant pour le protectionnisme afin de protéger les entreprises françaises contre la mondialisation. Elle ferait cependant face à de sérieux obstacles politiques et constitutionnels dans la mise en œuvre de sa politique anti-UE. Toute proposition devrait être approuvée par les deux chambres du Parlement français et par référendum auprès de la population, ou encore par trois cinquièmes des voix au Parlement – donc, en gros, une majorité législative. Si l’on tient compte du fait que le Front National ne détient même pas cinq sièges (sur 925), rien ne laisse présager un retrait en douceur de l’UE.

Le Pen a promis d’organiser un référendum non contraignant, semblable à celui sur le Brexit. Un tel événement pourrait faire monter le niveau d’inquiétude dans les entreprises, qui essaient déjà tant bien que mal de se préparer à d’éventuelles barrières tarifaires sur les échanges et la main-d’œuvre.

Si la France votait en faveur de son retrait de l’UE, elle sèmerait la pagaille. Les entreprises du Canada [et d’ailleurs] présentes en France – par exemple, des fournisseurs du secteur de l’automobile comme Magna International, qui compte cinq usines, deux centres d’ingénierie et de ventes et 625 employés en France, ou encore des entreprises qui importent de ce pays – verraient certainement leurs profits diminuer. À moyen terme, Le Pen veut adopter une nouvelle devise, plus faible, pour stimuler les exportations françaises. Et du même coup, elle veut imposer des taxes sur les importations et la main-d’œuvre étrangère.

Diriez-vous qu’une victoire de Marine Le Pen serait plus grave que le Brexit pour le commerce international?

Non. Il y aurait différents types de risques qui auraient des effets sur les entreprises et les relations internationales – non seulement sur le système commercial mondial et les politiques étrangères, mais aussi sur les questions de défense et de sécurité, sur les problèmes entourant l’OTAN et sur la crise syrienne. Si Le Pen gagne – une éventualité possible après le Brexit et la victoire de Donald Trump en l’espace de quelques mois seulement –, elle ne sera assurément pas sur la même longueur d’onde que Justin Trudeau sur les questions d’immigration, des changements climatiques, de l’OTAN et du libre-échange.

Je ne crois pas que ce serait aussi grave que le Brexit, mais cela entraînerait tout de même des conséquences. Si l’on parle de risque, je le vois comme un risque modéré.

Et avec une victoire d’Emmanuel Macron, il y aurait davantage une continuité?

Macron est un ancien banquier d’affaires et un ancien ministre. Il voudra être le sauveur ou le défenseur de l’UE. Il voudra investir dans la formation et l’éducation, car le taux de chômage chez les jeunes est élevé. Il essaiera vraiment de trouver des moyens d’alléger les tensions sociales entourant l’immigration et de s’attaquer au chômage important en encourageant les investissements étrangers et en stimulant les exportations.

Comment les entreprises canadiennes peuvent-elles atténuer les risques?

Les entreprises doivent adopter un processus en trois étapes pour gérer les risques et les conséquences associés à l’incertitude politique et susceptibles de les toucher. À ce moment-ci, la question centrale est : quelles seront les incidences directes des résultats de l’élection sur mes objectifs d’affaires en France et sur le commerce transfrontalier au sein de l’UE? Les entreprises doivent dresser une liste des types de risques, liés, entre autres, aux opérations de change, à l’immigration, à l’augmentation des taxes et du coût associé aux affaires, aux grèves et aux manifestations, le but étant de comprendre les risques politiques potentiels. Certaines situations peuvent affaiblir la situation financière d’une entreprise, alors que d’autres représenteront une occasion d’augmenter ses parts de marché. Vous pourriez, par exemple, évaluer les conséquences financières de l’élection sur vos objectifs commerciaux et d’investissements à l’aide d’un modèle des flux de trésorerie actualisés, outil dont se servent les entreprises pour connaître leur seuil de tolérance. On en trouve d’autres aussi, comme l’analyse du réseau organisationnel. Ces méthodes peuvent vous aider à jauger les effets de risques politiques précis sur vos opérations. Dans une société de services technologiques, par exemple, la haute direction peut être à Toronto, la R-D, les ventes et le marketing, en France, et le service à la clientèle et le soutien technique, en Inde. Il est extrêmement important de traduire ces risques en indicateurs clairs et intelligibles. Grâce à ces différentes mesures, les entreprises peuvent juger si les niveaux de risque estimés dépassent leur appétence ou leur tolérance au risque.

En quoi une stratégie de diversification peut-elle aider à protéger une entreprise dans un contexte d’incertitude comme celui que nous vivons?

Encore ici, c’est une question de gestion et d’action. Voilà un exemple classique de l’utilité de la diversification pour la survie de votre entreprise en période de difficultés économiques. Vous devez définir le chemin à prendre et les gestes à poser. Pour ce qui est de l’élection française, essayez de déterminer si elle aura des répercussions importantes, dans quelle mesure vous devrez diminuer vos activités sur ce marché et vers quel pays de l’UE vous pouvez vous tourner.

Les raisons qui vous ont fait opter pour la France en premier lieu seront à considérer. Demandez-vous si vous pouvez changer de marché sans trop diminuer vos activités, car le fait de délaisser complètement un marché entraîne des coûts et un risque pour la réputation. Mais vous pouvez toujours établir de nouveaux secteurs d’activités sur d’autres marchés en tirant profit de votre expérience sur le marché français.

Au bout du compte, il faut agir intelligemment et stratégiquement. Si vous êtes une entreprise canadienne ayant des activités en France, regardez les marchés où les sociétés françaises réussissent le mieux. Les exportateurs canadiens, et québécois en particulier, réussissent habituellement très bien sur les marchés francophones comme l’Afrique de l’Ouest. Voilà une occasion d’aller de l’avant, de tirer profit de la relation Canada-France et de s’en servir pour pénétrer un troisième marché. L’aéronautique et la défense sont des secteurs très solides en France, qui exporte en Inde, au Moyen-Orient et en Asie. La question est donc : comment le Canada peut-il profiter des lacunes dans le positionnement mondial de la France? Il ne s’agit pas simplement de fermer boutique en France, mais bien d’envisager, peut-être, une collaboration avec des entreprises françaises pour aller chercher ensemble plus de clients ailleurs dans le monde, ou encore, de se servir de sa présence en France comme tremplin vers d’autres marchés de l’UE.

Comment l’AECG peut-il aider les exportateurs à croître dans l’UE?

Cette question est liée à la sortie – ou à la tentative de sortie – de la France de l’UE. Je crois que ce sera le statu quo jusqu’à ce que quelque chose se produise. Si vous avez votre stratégie de gestion des risques, vous saurez quoi faire devant un événement inattendu.

Une victoire de Le Pen aura des conséquences qui pourraient déclencher une réaction de peur et de panique dans les entreprises. Si on regarde le marché français, on voit qu’actuellement, des entreprises sont actives ou veulent exporter dans les secteurs des minéraux et des métaux, de l’agroalimentaire, des produits pharmaceutiques et des hautes technologies. Ensuite, il faut se demander comment se tailler un créneau. L’AECG sera appliqué de manière provisoire dès le 1er juillet, alors c’est maintenant qu’il faut se lancer et essayer de trouver des occasions d’affaires.

Quant au Brexit, il s’agit d’un processus qui s’étendra sur deux ans, et beaucoup de choses peuvent arriver durant cette période. Ce ne sont pas toutes les entreprises qui cherchent à s’établir ailleurs; certaines cherchent plutôt des contrats. Il faut continuer à avancer avec l’AECG, la France n’étant qu’un marché parmi d’autres. Si cela cadre avec votre modèle d’affaires et votre tolérance au risque, alors allez-y. Si vous restez les bras croisés en comptant sur vos marchés actuels, faites une croix sur la croissance. C’est l’étape que beaucoup d’entreprises canadiennes n’arrivent pas à franchir. Elles se disent que ce n’est pas le bon moment et continuent leur vieille routine.

Quelles sont les étapes pour diversifier ses marchés?

De nos jours, aucun dirigeant d’entreprise ne peut faire fi des changements causés par les grandes forces mondiales. La diversification, sur un marché actuel ou un nouveau marché, vient avec des choix complexes : mode d’entrée, importance des investissements, type de structure organisationnelle, etc.

Un dirigeant doit établir les priorités d’investissement en fonction du type d’occasion, de la concurrence et de l’adéquation avec les capacités de l’entreprise et sa gamme de produits et services.

C’est Thomas Edison qui l’a résumé le mieux : « La vision sans exécution n’est qu’hallucination. » Pour les entreprises canadiennes, une information à jour, conjuguée aux avis réfléchis de conseillers expérimentés, peut être un facteur de différenciation crucial en ce qui touche le rendement et les résultats.

En résumé 

Si vous n’agissez pas dès maintenant pour diversifier vos marchés, vous risquez de rater des occasions d’affaires importantes. Ceux qui anticipent les changements et en tiennent compte, et qui insufflent équilibre et agilité à leur organisation seront bien positionnés pour réussir à long terme. À l’inverse, ceux qui font fi des obstacles et qui procrastinent risquent de décevoir leurs clients et parties prenantes, ce qui entraînera une incertitude croissante pour leur organisation.

                       

Date de modification : 2017-05-05