Protégez vos droits de propriété intellectuelle : surveillez vos arrières
Fin 2016, à St. Catharines. L’artiste ontarienne Jody Edwards fait ses courses à son magasin Winners quand elle a la surprise de découvrir une série de chandails pour femmes arborant les plumes qu’elle a elle-même peintes à la peinture à l’eau! Elle se plaint au propriétaire de la chaîne, TJX Canada, qui retire immédiatement les chandails des tablettes. Selon les lois canadiennes sur les droits d’auteur, Mme Edwards a été victime d’un vol de propriété intellectuelle.
Une enquête de CBC News a dévoilé que Mme Edwards n’avait aucun recours judiciaire contre le détaillant pour obtenir une compensation financière. De même, elle avait peu d’espoir de l’emporter si elle choisissait de poursuivre le fournisseur, Vanilla Sugar, établi aux États-Unis. Malgré le fait que la vente des chandails arborant ses œuvres volées ait engendré des centaines, voire des milliers de dollars de profit, Mme Edwards n’a jamais vu la couleur de cet argent.
En un mot, la propriété intellectuelle peut avoir une incidence sur vos revenus. Souvent, votre propriété intellectuelle – vos idées – compte parmi vos actifs les plus précieux.
Chaque marque de commerce que vous créez augmente la valeur financière de votre entreprise, bien plus que vos actifs corporels
« Chaque marque de commerce que vous créez augmente la valeur financière de votre entreprise, bien plus que vos actifs corporels », écrit Kalyan Chakravarthy Kankanala, une figure de proue de la propriété intellectuelle en Inde.
Les idées occupent une place majeure dans le monde des affaires aujourd’hui. Les logiciels, les services, les données, le contenu écrit, les œuvres d’art et les processus commerciaux sont tous des exemples de propriété intellectuelle. Quiconque a pris la décision d’exporter sait qu’il faut beaucoup de courage pour présenter ses idées au reste du monde, mais que cela peut rapporter gros.
Au Canada, les lois sur les marques de commerce, les droits d’auteur et les brevets peuvent aider à atténuer les risques que vous courez en rendant vos idées publiques. Dans le cas de Mme Edwards, elles lui ont servi de fondement juridique pour forcer les magasins d’ici à cesser la vente des chandails arborant ses œuvres.
Cela dit, les lois sur la propriété intellectuelle ont leurs limites, et elles sont différentes d’un pays à l’autre.
Aux États-Unis par exemple, Mme Edwards aurait pu poursuivre tous les acteurs de la chaîne d’approvisionnement pour le vol de ses œuvres – et possiblement avoir gain de cause.
Bien sûr, tous les pays n’offrent pas le même degré de protection pour les artistes comme elle.
Le vol de propriété intellectuelle est un problème mondial
Le vol de propriété intellectuelle est très lucratif. En 2013, les contrefaçons et le piratage représentaient 2,5 % des importations globales, selon les données les plus récentes de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). C’est un marché qui rapporte près d’un demi-billion de dollars américains chaque année.
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Un rapport de 2016 de l’OCDE intitulé Trade in Counterfeit and Pirated Goods: Mapping the Economic Impact fait ressortir que la contrefaçon n’épargne aucun secteur. Voici les produits les plus couramment touchés :
- Produits de luxe, comme des vêtements ou des montres
- Produits de la chaîne d’approvisionnement qui passent par un intermédiaire, comme de la machinerie, des pièces de rechange et des produits chimiques
- Biens de consommation, comme des produits pharmaceutiques, des aliments, de l’équipement médical et des joutes
Dans le dernier cas, le vol de propriété intellectuelle peut avoir des répercussions à grande échelle sur la santé et la sécurité des consommateurs, selon les auteurs du rapport.
La plupart des biens contrefaits proviennent d’économies à revenu intermédiaire et émergentes.
En 2013, les produits contrefaits provenaient en grande partie de la Chine (63,2 %), de Hong Kong (21,3 %) et, loin derrière en troisième position, de la Turquie (3,3 %).
Le rapport de l’OCDE ne portait pas sur le piratage numérique et le vol de données, qui sont une préoccupation grandissante.
Lorsque vous faites des affaires à l’extérieur du Canada, qu’il s’agisse de vendre sur le marché étranger ou de vous approvisionner en pièces ou en main-d’œuvre dans d’autres pays, mieux vous comprenez les nuances, mieux vous pouvez protéger votre entreprise contre les conséquences du vol de propriété intellectuelle.
Les lois et les règlements relatifs à la propriété intellectuelle peuvent influer sur la protection des consommateurs et les règles fiscales. Les lois peuvent aussi avoir une incidence sur d’autres règlements commerciaux, selon les produits que vous offrez et l’endroit où vous exportez.
Les exportateurs ont montré qu’ils sont conscients des dangers d’exporter sur des marchés où la propriété intellectuelle est mal protégée.
« Les exportateurs ont montré qu’ils sont conscients des dangers d’exporter sur des marchés où la propriété intellectuelle est mal protégée », affirme Georgina Starkman Danzig, avocate spécialisée dans la lutte anti-contrefaçon et associée chez Kestenberg Siegal Lipkus LLP. « En exportant sur certains marchés, vous augmentez vos ventes, mais aussi le risque que votre produit soit imité. Prenez le temps de comprendre comment la propriété intellectuelle est encadrée sur ces marchés étrangers; il vous sera plus facile d’analyser les gains et les risques potentiels. Votre succès en dépend. »
Droit d’auteur : Ce que vous devez savoir lorsque vous vendez à l’extérieur du Canada
Les droits d’auteur attribuent certains droits légaux pour une œuvre originale. Comme leur nom l’indique, ils comprennent le droit de copier la totalité ou une grande partie d’une œuvre, et d’utiliser cette dernière de diverses façons, notamment de la publier sur Internet ou d’autoriser quelqu’un à le faire. Le droit d’auteur s’applique aux œuvres artistiques, littéraires, musicales et dramatiques, des films aux livres, des affiches aux images imprimées sur un t-shirt. Si la plupart des pays s’entendent sur certaines normes internationales, les lois sur les droits d’auteur varient d’un pays à l’autre. Les exportateurs doivent donc connaître les lois de leur propre pays et les lois internationales.
En ce qui concerne le droit d’auteur, il y a généralement deux types de violation, selon Catherine Lovrics, associée chez Bereskin & Parr LLP.
On parle d’une violation directe quand quelqu’un copie une œuvre (ou une partie importante) sans l’autorisation du titulaire du droit d’auteur ou exerce un droit exclusif de ce dernier.
On parle d’une violation indirecte quand quelqu’un vend, distribue, importe ou exporte une œuvre alors qu’il sait (ou aurait dû savoir) qu’il s’agit d’une violation du droit d’auteur d’une autre entité. La loi a été modifiée récemment pour inclure l’exportation.
« Au Canada, les exportateurs pouvaient jadis s’exposer à des poursuites s’ils fabriquaient une copie d’une œuvre au Canada, ou s’ils autorisaient la fabrication d’une copie », souligne Mme Lovrics. « En revanche, s’ils achetaient une copie, mais sans avoir participé à sa fabrication, on ne considérait pas qu’il y avait violation du droit d’auteur. »
« La loi a été modifiée récemment afin d’inclure l’exportation de produits lorsque l’exportateur sait que ces produits ont été fabriqués sans le consentement du titulaire du droit d’auteur dans le pays de fabrication. »
Par exemple, si vous exportez un t-shirt arborant une image sans l’autorisation de la personne qui détient les droits au Canada pour cette image, vous pourriez être accusé d’atteinte au droit d’auteur.
Le Canada a accepté de se conformer à certaines normes internationales relatives aux droits d’auteur, qui pourraient être plus strictes que la législation nationale. Par exemple, au Canada, le droit d’auteur pour les livres demeure généralement valide pendant toute la vie de l’auteur, puis pour une période de 50 ans suivant son décès. Ensuite, l’œuvre tombe dans le domaine public. Aux États-Unis, le droit d’auteur est protégé pendant 70 ans après le décès de l’auteur.
La propriété du droit d’auteur peut être divisée dans plusieurs pays : certains titulaires peuvent se trouver au Canada, et d’autres dans le pays où vous exportez.
Faites-vous des ventes à l’étranger? Voici cinq questions à vous poser :
- Qui détient le droit d’auteur dans le pays où les produits sont fabriqués, et avez-vous acquitté les redevances requises?
- Qui détient les droits exclusifs dans le pays où vous exportez?
- Les produits que vous vendez sont-ils autorisés sur les deux marchés?
- Est-ce que l’accord conclu avec le fournisseur comprend une « déclaration et garantie » du fournisseur attestant que les produits ne portent pas atteinte aux droits d’auteur au Canada ou à l’étranger?
- Est-ce que la « déclaration et garantie » est assortie d’une indemnité?
Comprendre l’importance des droits de propriété intellectuelle avant de se lancer sur un nouveau marché : une bonne méthode de gestion de risques
Vous voulez protéger vos idées, mais sans empiéter sur les plates-bandes d’autres entreprises. Qu’arrivera-t-il si vous vendez vos produits de marque canadiens dans un pays où une autre entreprise a des droits de propriété industrielle et commerciale ayant priorité? Vous pourriez prêter le flanc à une poursuite pour contrefaçon fondée sur les lois en vigueur dans le pays en question.
Et si mon entreprise exerce uniquement ses activités au Canada?
Importez-vous des pièces ou des produits d’autres pays? Si vous dépendez de fabricants étrangers, vous pourriez également gagner à protéger vos droits de propriété intellectuelle, sans le savoir.
« Si vous fabriquez des produits à l’étranger, vous devez penser au lieu de fabrication, rappelle Mme Starkman Danzig. Beaucoup d’entreprises se fient à la parole de cabinets d’audit réputés pour s’assurer que les fournisseurs étrangers sont honnêtes et respectent leurs contrats. »
Mme Starkman Danzig affirme que le fait de savoir en gros comment un fabricant étranger exerce ses activités peut vous donner une idée de la légitimité de la société, mais ne vous permet pas d’en dresser le portrait complet.
« D’un endroit à l’autre, il se peut que la conformité aux lois étrangères applicables — comme les lois sur le travail des enfants, la réglementation sur la sécurité au travail et la Foreign Corrupt Practices Act des États-Unis — n’offre qu’un niveau minimal de protection, met-elle en garde. Cela ne suffit pas nécessairement à assurer la conformité aux énoncés de mission et aux codes de conduite de votre entreprise. »
Est-ce une contrefaçon? Soyez à l’affût des signaux d’alerte lorsque vous vendez des biens à l’étranger
Comment reconnaître une contrefaçon? Mme Starkman Danzig présente quelques astuces pour dépister les faussaires.
« Ils n’investissent pas dans la recherche et le développement, ils ne vérifient pas leur conformité aux normes de sécurité et aux lois du travail et ils ne se soucient pas de votre entreprise, de vos clients, de l’intégrité de votre marque, de votre sécurité et de votre bien-être, ou de ceux de vos enfants et de votre communauté. »
Les faussaires sont très habiles pour vendre dans des pays dont les frontières sont poreuses et dont les règles de transbordement et le régime de protection de la propriété intellectuelle appliqué aux frontières manquent de rigueur, ajoute Mme Starkman Danzig. Ils choisissent les voies d’exportation où le risque d’intervention à la frontière est le plus faible.
Est-ce que vos activités dépendent de distributeurs étrangers? Certains signes peuvent vous mettre la puce à l’oreille. Disons qu’un client étranger habituel qui commande habituellement 200 pièces par mois se met soudainement à n’en commander que 100 par mois, sans explication commerciale valable. Cela pourrait vouloir dire qu’il s’approvisionne en produits contrefaits.
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Apprenez les fondements de la propriété intellectuelle et comment protéger la vôtre quand vous entrez dans les marchés étrangers.
« Ce pourrait être un signe que votre client s’approvisionne ailleurs », indique Mme Starkman Danzig. « Examinez les chiffres pour vous assurer que tout est en ordre. Beaucoup d’entreprises se fient à la parole de cabinets d’audit réputés pour s’assurer que les fournisseurs étrangers sont honnêtes et respectent leurs contrats. »
Dans les territoires où les coûts de fabrication sont faibles, même vos propres employés pourraient vendre des versions contrefaites de votre produit en douce, avertit Michael Geist, professeur de droit de l’Université d’Ottawa et titulaire de la Chaire de recherche du Canada en droit d’Internet et du commerce électronique.
Vous pourriez décider que les économies réalisées grâce à l’utilisation de la main-d’œuvre à bas salaire justifient la prise de risques, mais encore faut-il que vous compreniez que le risque existe.
Selon M. Geist, quand vous évaluez ce risque, pensez à l’endroit où vous exportez, au produit que vous vendez et au type de propriété intellectuelle que vous devez protéger.
« Si vous vendez un produit dont l’une des composantes contient un logiciel et qu’un autre territoire tente de s’approprier cette propriété intellectuelle et de la mettre en marché à l’échelle mondiale, c’est un pensez-y-bien, puisque vous vous trouvez en quelque sorte en concurrence contre vous-même, » illustre M. Geist.
Toutefois, les lois sur la propriété intellectuelle ne s’appliquent pas qu’aux ingénieurs en logiciel.
L’Association des vignerons du Canada détient la marque de commerce du vin de glace canadien et fait des pieds et des mains pour combattre la contrefaçon sur les marchés mondiaux.
La contrefaçon des produits alimentaires est bien réelle. Mme Starkman Danzig a déjà traité des cas de contrefaçons de riz et de ginseng : « Je ne souhaiterais à personne que je connais de manger des aliments contrefaits. »
Évaluer l’importance des droits de propriété intellectuelle par rapport aux débouchés internationaux
Vous avez acquis des brevets et marques de commerce? Vous faites les choses dans les règles de l’art, mais cela n’élimine pas le risque de vol de propriété intellectuelle et ne garantit pas votre réussite à l’étranger, rappelle M. Geist.
Les brevets ont leurs avantages, mais il n’y a pas de corrélation directe entre les droits de propriété intellectuelle et le succès sur le marché.
« Les brevets ont leurs avantages, mais il n’y a pas de corrélation directe entre les droits de propriété intellectuelle et le succès sur le marché », souligne-t-il.
Selon lui, la protection de la propriété intellectuelle fait partie de l’évaluation globale des risques commerciaux. Cependant, pour une entreprise qui cherche à accroître ses ventes à l’étranger, protéger sa propriété intellectuelle est rarement en tête de liste. Elle aura d’autres priorités, à juste titre.
« Souvent, vous voulez être le premier à mettre un produit en marché, avec une bonne stratégie de marketing et un canal de ventes efficace. Il faut déployer beaucoup d’efforts pour réussir sur un marché donné », rappelle M. Geist.
Il ajoute que la protection de la propriété intellectuelle n’est pas toujours la meilleure approche du point de vue commercial. « Détenir un brevet n’est pas forcément utile, même si vos droits sont bafoués, car les coûts nécessaires pour le faire valoir pourraient être plus importants que les pertes subies. Parfois, votre seul recours est d’envoyer une mise en demeure. »
Le vol des données est l’une des principales considérations relatives à la propriété intellectuelle en 2018, car elles ont beaucoup de valeur. Par exemple, Netflix domine actuellement le marché parce qu’elle contrôle les données recueillies auprès de plus de 100 millions d’abonnés partout dans le monde. Mais les questions de propriété intellectuelle ne se limitent pas au domaine numérique.
Saviez-vous que la vente au détail est protégée par le droit des marques au Canada
Si votre magasin vend des agrafeuses sous la marque de commerce enregistrée « Simple » et que quelqu’un d’autre ouvre un magasin d’équipement de bureau appelé « Simple », vous pourriez intenter une poursuite pour violation de marque de commerce, s’il y a un risque raisonnable de confusion, affirme Mme Starkman Danzig.
À l’extérieur du Canada, il est possible que les marques de commerce aient peu d’importance. En 2015, il y avait plus de 30 magasins Apple Store à Shenzhen, en Chine, alors que la société Apple n’avait qu’un seul magasin officiel et cinq détaillants autorisés.
« Les services peuvent être protégés, mais ils peuvent être imités, tout comme les produits », prévient Mme Starkman Danzig.