Les inquiétudes relatives à l’inflation grandissent à nouveau. Voilà un constat inattendu dans un monde obsédé par les impacts négatifs de la COVID-19 sur la croissance, la confiance et la capacité ou l’incapacité d’opérer une relance. Toutefois, c’est un sujet qui revient maintes fois lors de nos tables rondes pancanadiennes avec des clients de premier plan d’Exportation et développement Canada. Une montée des prix se profile-t-elle à l’horizon, ou s’agit-il de craintes sans fondement?

Selon toute apparence, c’est une réaction intuitive et instinctive dans un monde où se déploient de vastes mesures de politiques. Cela va aussi à l’encontre de la mentalité peu clairvoyante selon laquelle « hier est la nouvelle tendance » qui semble influer sur l’analyse moderne. Avouons-le : l’inflation s’est faite discrète au cours des dernières décennies. Les craintes que l’assouplissement quantitatif fasse grimper l’inflation au lendemain de la grande récession ne se sont pas matérialisées. Même dans le marché du travail extrêmement serré des nations membres de l’OCDE à la fin de 2019 n’ont pas suffi à former une spirale ascendante des salaires et des prix.

Si tel est le cas, la présence immédiate de l’inflation serait une perspective encore plus lointaine. Le plongeon de la production causé par la pandémie en mars et en avril a créé un large fossé entre la production réelle et le potentiel de l’économie à court terme, si bien que dans le meilleur des cas, il y avait une plus forte probabilité de désinflation et, dans le pire des cas, de déflation absolue.

Pour certains des principaux produits de base, c’est exactement ce qui s’est produit. Les cours mondiaux du pétrole sont descendus momentanément en territoire négatif et sont restés réprimés par rapport aux niveaux d’avant la pandémie. Les cours hors énergie ont initialement glissé de 8 %. Cependant, depuis avril, certains cours se sont redressés. Les cours des métaux ont pratiquement gagné 8 % par rapport aux niveaux prépandémie et le sous-indice des produits forestiers a le vent dans les voiles, dépassant les pics cycliques du début de 2018.

Les banques centrales sont-elles inquiètent? Apparemment non. Ces secteurs sont des cas isolés et ne reflètent pas les gains généraux touchant les prix. L’augmentation du coût des biens finaux demeure modeste; d’ailleurs, le Conseil de la Réserve fédérale a déclaré qu’il tolérerait des niveaux d’inflation au-dessus de la fourchette cible pendant un certain temps à condition que cela favorise un retour à des conditions économiques plus habituelles. À l’évidence, les autorités sont davantage préoccupées par la faible croissance, la désinflation et la déflation. Un peu d’inflation ne serait pas une mauvaise chose en soi.

Pourtant, les acteurs du milieu des affaires sont inquiets. Les plus âgés ont le souvenir d’épisodes traumatisants d’une inflation incontrôlée. Plusieurs se souviennent des hausses importantes des taux d'intérêt ayant été nécessaires pour reprendre le contrôle. Aujourd’hui, ils redoutent que les liquidité excessives – le résultat de la mise en place d’imposants programmes d’assouplissement quantitatif – finissent par créer non pas un peu d’inflation, mais beaucoup d’inflation. Ont-ils raison de le penser?

Oui, mais leur déclaration est prématurée. Ici, tout est une question de capacité économique. Faire tourner la planche à billets en l'absence de capacité excédentaire, voilà une bonne façon de créer de l’inflation. Or, la croissance à ce jour est loin de nous avoir amenés vers les contraintes du marché de l’emploi de la fin de 2019. Il y a encore beaucoup de chemin à parcourir jusqu’à ces taux de chômage atteignent ces faibles niveaux. Dans certains secteurs de l’économie, la capacité de production commence à se resserrer tandis que pour d’autres – notamment dans l’énergie, l’aéronautique et les secteurs en lien avec le tourisme – la pente sera longue à remonter. 

Le regain possible de l’inflation s’expliquerait par la vitesse de la relance économique. Le rebond rapide en forme de V observé en mai et juin a laissé place à une progression moins dynamique. Les données de haute fréquence les plus récentes montrent que le Canada et d’autres économies développées ont nettement ralenti la cadence, alors que la seconde vague d’infections entraîne des fermetures ciblées et des mesures ayant pour effet de ralentir l’activité. Jusqu’ici, on trouve seulement des preuves très isolées d’une augmentation des prix. 

Pourrait-on voir un rapide rebond de l’économie? Ce n’est pas impossible. Après tout, la demande comprimée induite par les dépenses est substantielle – la conséquence de plusieurs de mois de plus faible activité – et les consommateurs ont à disposition plus d’épargne. Pour qu’ils se mettent en mode « dépenses », la confiance devra se rétablir, et il y a peu de chance que cela soit le cas avant la prise de mesures efficaces et quasi universelles pour limiter la propagation du virus ou la mise au point et la distribution d’un vaccin éprouvé. Dans ces circonstances, il pourrait y avoir de l’inflation. S’agirait-il d’une inflation débridée? C’est là une autre affaire.

Conclusion?

Les inquiétudes liées à l’inflation sont fondées, mais prématurées. Certains secteurs de l’économie enregistrent une croissance rapide et pourraient révéler des signes de la présence d’inflation; d’autres secteurs, plutôt nombreux, doivent composer avec de faible taux d’emploi et un important surcroît de capacité. On pourrait observer une nouvelle embellie de la croissance, mais elle sera passagère; cet élan serait au moins en partie entravé par le retrait de vastes quantités de liquidité. Quoi qu’il en soit, en matière d’inflation, la vigilance est toujours de mise. Dans la conjoncture que nous connaissons, un peu d’inflation constituerait le signe le plus sûr que nous nous relevons de cet épisode très singulier.

 

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