Même si la pandémie mondiale fait toujours sentir sa présence perturbatrice, le terme « relance » est de plus en plus présent dans les conversations. Les prévisionnistes ont aussi emboîté le pas et se font, du jour au lendemain, nettement plus optimistes. Pour les plus jeunes sur le marché du travail, ce contexte revêt un caractère surréaliste : on leur pardonnerait donc de jeter un regard jaloux vers les baby-boomers – des routiers sur le marché de l’emploi – qui profiteront bientôt d’une amélioration des conditions. Après tout, les jeunes ont été les plus touchés par le marasme qui a suivi la crise financière mondiale et ils réalisent qu’ils subiront également les contrecoups du gonflement de la dette publique un peu partout sur le globe. Alors, la nouvelle croissance évoquée ces jours-ci est-elle une « douce illusion », un « feu de paille », ou bien nous donne-t-elle l’espoir d’un élan plus robuste et durable?
Pour le savoir, reportons-nous au Propos de la semaine publié le 23 janvier 2020. Dans cette édition, je passais sous la loupe la faible croissance du côté de la main-d’œuvre, et je tentais de déterminer si cette situation nuirait à la croissance dans un horizon à long terme.
Pour bien des gens, l’équation est simple. Faible démographie égale main-d’œuvre réduite, ainsi que revenus et dépenses en baisse. Ajoutons à cela le vieillissement de la population, dont une bonne partie a franchi l’âge du pic de consommation qui, comme on le sait, est l’un des principaux moteurs de l’activité économique. D’ordinaire, la démographie joue énormément sur le dynamisme économique. Par exemple, le baby-boom de l’après-guerre a généré une vague de croissance imposante et soutenue de même qu’une prospérité considérable. On le voit, on aurait bien du mal à nier le caractère essentiel de la démographie.
En considérant également les données démographiques actuelles à l’échelle mondiale, il devient difficile de ne pas faire preuve de pessimisme à l’égard de la croissance. En Europe occidentale, la démographie plafonne puisque sa croissance organique est depuis longtemps inférieure au taux de renouvellement. L’Italie affiche une démographie particulièrement chancelante, une « crise » de l’avis de certains spécialistes. D’autres nations de l’Organisation de coopération et de développement économiques (l’OCDE) présentent un bilan un peu plus positif. La Chine, pour sa part, récolte les fruits de sa politique de l’enfant unique appliquée pendant des décennies. La croissance chinoise, spectaculaire et soutenue, a mobilisé des millions de travailleurs « disponibles ». Résultat : l’économie doit désormais composer avec une main-d’œuvre se faisant plus rare sur le marché intérieur, ce qui réjouit les analystes souscrivant à l’idée d’une croissance en berne. La Russie et d’autres pays font face à la même situation. Alors, est-ce que l’avenir nous réserve uniquement un ralentissement de la croissance?
Dans une conjoncture normale, oui. Mais c’est à peine cas. Par chance, la démographie n’est pas le seul déterminant de l’impulsion économique à long terme. De fait, il y a deux autres piliers incontournables de la croissance : l’importance du capital dans une économie et l’essor de la productivité, qui résulte de la combinaison de la main-d’œuvre et du capital. Au fait, comment ces deux piliers se portent-ils?
L’évolution habituelle a changé, et voici pourquoi. L'envolée exponentielle de la technologie influe sur capital et a la capacité d'orchestrer une révolution de la croissance. Certes, les contraintes sur la main-d’œuvre exercent des pressions sur la croissance, mais la technologie prend désormais en charge de nombreuses tâches pouvant auparavant être uniquement exécutées par des humains. La robotique, l’apprentissage machine, l’intelligence artificielle et d’autres applications numériques s’implantent grâce à des systèmes de communication toujours plus puissants, ce qui permet d’espérer une contribution accrue du capital et de la productivité à l’équation. La COVID-19 menaçant l’existence même de l’activité commerciale, les entreprises sont invitées à une nouvelle « prise de conscience » au sujet du rôle de la technologie.
Ce genre de logique semble provenir de l’époque de la révolution industrielle, et c’est exactement le cas. Par leur nature, les révolutions se déroulent rarement sans accrocs. Or, la présente révolution ne se déroule pas alors que nous disposons d’un important surplus de main-d’œuvre. En fait, on pourrait dire qu’elle survient à temps pour répondre à un besoin de plus en plus criant sur le front de la main-d’œuvre.
Chose certaine, il y a des inquiétudes valides au sujet de la concordance entre les compétences et l’emploi – autrement dit, les travailleurs déplacés effectuent des tâches manuelles sans grande complexité. En fait, on redoute de plus en plus le même déplacement du côté des cols blancs. On craint une mainmise de la technologie, ce qui augmenterait la concentration des entreprises, et par le fait même accentuerait la disparité des revenus. Toutes ces préoccupations sont légitimes. Nous croyons que la démocratie continuera d’être le système politique dominant; ces problématiques trouveront donc leur résolution lors d’une élection. La production s’orientera sans doute à la hausse, et la question qui se posera sur le plan politique est celle de la façon d’assurer une répartition appropriée des retombées de cette production.
Conclusion?
À l’image des autres transformations, la transformation en cours – qui est à l’origine d’une croissance en mode turbo dynamisée par la pandémie – est à la fois source de risques et de débouchés. Malgré une démographie en baisse, il y a de bonnes raisons de croire que cette fois-ci la technologie viendra probablement à la rescousse de la croissance – et rien ne devrait l’en empêcher.
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