Partout, les entreprises semblent gagner par la crainte. Voilà qui n’est pas nouveau. L’économie progressait à belle allure pendant un intervalle d’une longueur inédite quand la grande récession a secoué les entreprises de la planète. Les promesses faites dans le cadre des généreux programmes de relance gouvernementaux ont calmé ces craintes, mais seulement de façon temporaire. Des années de croissance en berne ont amené les entreprises à penser qu’il s’agissait là de la nouvelle réalité, et contrairement à l’expérience passée, une nouvelle expansion de l’activité commerciale n’était pas nécessaire. Pendant ce cycle, le mot d’ordre pour gagner la course était le suivant : « lentement mais sûrement ». Or, aujourd’hui, l’investissement tourne au ralenti.

Les chiffres le confirment-ils? Les statistiques de l’OCDE donnent à réfléchir. Aux États-Unis, la croissance annuelle moyenne de l’investissement non résidentielle s’est chiffrée à presque 7 % au cours des trois derniers cycles. Après 2011, il était tout juste de 4,6 %. L’Europe présente un tableau semblable. Avant la récession, la croissance moyenne annuelle s’établissait à un peu moins de 4 %. De 2009 à 2018, la moyenne a glissé à 1,9 %. Le Japon connaît lui aussi un passage à vide prolongé avec une croissance moyenne de 3 %. Les données laissent entendre que quelque chose ne tourne pas rond.

Contrariés par l’intransigeance des entreprises, les dirigeants politiques ont réclamé à plusieurs reprises après la récession que ces dernières apportent leur contribution. Cette campagne de culpabilisation a donné peu de résultats. Après tout, dans le système capitaliste, personne n’a le droit ou l’obligation de dicter les actions des entreprises, qui savent mieux que quiconque ce qu’il convient de faire – ou ce qu’elles sont censées faire. Alors, pourquoi les entreprises n’ont-elles pas cette fois accéléré la cadence?

Comment expliquer l’activité timide de l’investissement ?

Qu’est-ce qui déclenche une relance de l’investissement après une récession? En règle générale, les entreprises réalisent que la récession a eu lieu parce qu’elles – et l’économie dans son ensemble – affichaient une activité excessive. Une consommation débridée a entraîné des investissements démesurés, ce qui a provoqué la création d’un nombre trop important d’emplois, fait grimper l’inflation ainsi qu’intensifier la consommation et l’investissement, et ainsi de suite. Il s’agit d’un mécanisme d’autorenforcement qui aboutit à la formation d’une bulle, la récession étant justement le résultat de l’éclatement de cette bulle. On connaît la suite : les entreprises ont réduit leur activité et utilisé les capacités excédentaires à leur disposition, et le cycle d’investissement a redémarré. Dans une récession typique, le repli de l’investissement commercial s’étend sur une ou deux années avant que les contraintes de capacité ne mènent à une nouvelle série d’investissements. Les entreprises dont l’activité tourne au ralenti augmentent le rythme et emboîtent le pas. Pendant cette phase, la croissance est d’habitude impressionnante.

Trois facteurs perturbateurs

Le hic cette fois, c’est que les acteurs économiques ont brillé par leur absence. Pourquoi? Principalement pour trois raisons. La première : la bulle de l’investissement d’avant la récession était si énorme qu’il a fallu des années pour remettre le système à zéro. Deuxième raison : ce retard a eu des effets psychologiques; les entreprises se sont demandé si ce moment magique allait un jour revenir. Enfin, la troisième raison : alors que les entreprises réfléchissaient à la nécessité d’investir, le monde a été balayé par une nouvelle vague de protectionnisme qui les a fait renoncer à tout engagement à long terme. Certains se demandent même franchement s’il y aura une reprise de l’investissement avant que ne frappe la prochaine récession.

Dans l’intervalle, la poussée de la croissance exerce des pressions sur le capital actuel. Aux États-Unis, le taux général d’utilisation de la capacité industrielle avoisine dangereusement le niveau d’avant la récession, ce qui est d’ordinaire le signe qu’il faut investir. Pourtant, les entreprises semblent vouloir tirer le maximum de leurs installations et de leurs équipements actuels. À ce titre, les données révèlent que l’âge moyen des immobilisations privées sur le marché américain se trouve à un pic historique de près de 23 ans, dans la foulée de la nette hausse observée après 2008.

Le temps presse?

Le moment pourrait être historique. L’économie d’après la récession a donné aux entreprises de nombreuses raisons pour ne pas aller de l’avant. En fait, pendant un intervalle suffisamment long qu’un nombre croissant de décideurs n’ont jamais constaté une intensification cyclique digne de ce nom. Et la probabilité que cela se produise diminue avec le temps. Ce pourrait être la première fois de mémoire moderne que l’élan est entravé par le manque de capacités à produire des biens et des services demandés par des consommateurs de partout dans le monde. La logique nous dit que le mécanisme régissant les prix devrait corriger ce problème, mais à ce jour, il s’est révélé inopérant. Cette attente commence à jouer contre nous…

Conclusion?

Si la grande récession semble un lointain souvenir, il en va autrement de ses effets. Plus de dix ans après cet événement, certains pans de l’économie ne se sont pas encore remis. L’investissement des entreprises est du nombre, et la possibilité d’une relance diminue à mesure que le temps passe. Si elle ne se concrétise pas, le coût de renonciation serait celui des occasions perdues.

 

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