Ces quatre dernières semaines, j’ai parcouru le pays afin de présenter les prévisions à l’exportation d’EDC dans le cadre de ma tournée pancanadienne Parlons exportations. C’est typiquement un moment fort de l’année, qui a été encore plus intense lors de l’édition 2018. En effet, chaque jour, semble-t-il, un nouvel événement s’ajoutait à la liste déjà bien longue de sujets de préoccupation des exportateurs. On trouvait en tête de liste les relations entre le Canada et son premier partenaire commercial – des relations qui paraissaient se compliquer toujours plus tout au long de la tournée. L’inquiétude a atteint un point culminant pendant les rencontres du G7 à La Malbaie, un lieu dont le nom présageait peut-être l’issue malheureuse de ce sommet. Alors, que doit-on penser de l’état actuel des discussions sur le commerce international?

La Grande crise et le paradoxe de l’épargne

Parfois, le monde de l’économie nous confronte à des paradoxes. L’un des plus célèbres est sans doute le paradoxe de l’épargne, énoncé après la Grande crise par John Maynard Keynes. Cet éminent économiste avait observé que le chômage et la pauvreté qui sévissaient à l’époque avaient entraîné un regain généralisé de l’épargne, qui s’était poursuivi plusieurs années après le choc économique initial. Il avait constaté que ce mouvement vers l’épargne, suivi par des millions de personnes voulant ne plus jamais être prises au dépourvu en cas de recul économique, dans les faits empêchait le redémarrage de l’activité économique nécessaire pour sortir de cette situation difficile.

Ce paradoxe a de quoi inquiéter, et voici pourquoi. Dans cette situation précise, l’option qui semblait la plus logique était en réalité à l’opposé d’une véritable solution à ce problème. Connaissant ce paradoxe, nous devrions être en mesure d’éviter de commettre la même erreur. Pourtant, c’est le propre de l’humain de reproduire ce comportement. Si cela est vrai pour un paradoxe bien connu, rien ne garantit que nous ne soyons pas la victime d’un nouveau paradoxe.

C’est peut-être déjà le cas. Ces jours-ci, certains tiennent un discours qui fait des adaptes dans la population. Ce discours leur permet presque d'accéder au pouvoir, et parfois, de gagner des élections – d'où le changement actuel des politiques. Cette thématique n’a rien de nouveau, mais dans le cas présent, elle pourrait avoir des conséquences considérables. Ainsi, on reproche aux accords commerciaux de favoriser les autres partenaires, et on accuse d’autres pays d’obtenir tous les investissements et de voler des emplois. On affirme aussi qu’ils subventionnent trop leurs entreprises, rendant toute concurrence impossible. Ce genre de propos alimente le sentiment général que la mondialisation est la principale cause de tous les maux économiques, et que la libéralisation des échanges – selon le modèle en place – ne fonctionne pas vraiment. Or, cette activité est dynamique aux États-Unis, sans contredit le berceau de la mondialisation telle que nous la connaissons, et en Europe occidentale, où des nations distinctes se sont réunies pour le former un marché commun.

Pourquoi la mondialisation est-elle perçue comme un ennemi?

Comment expliquer la nouvelle popularité d’un tel discours? La mondialisation est une cible facile pour les millions de travailleurs, vieux et jeunes, du monde développé qui ont été laissés pour compte. En raison de la faible croissance après la récession, ces travailleurs n’ont pu être intégrés dans l’économie, et en l’absence d’explications ou de solutions, des aspirants dirigeants se sont tournés vers « l’ennemi de l’extérieur ». Entre-temps, la croissance mondiale s’est accélérée; de nouveaux investissements sont nécessaires du fait du resserrement de la capacité; et le chômage glisse à des creux inégalés : le rebond tant attendu depuis huit ans se produit enfin. Le marché du travail ouvre grand ses portes pour quiconque souhaite reprendre du service, d’où le retour de travailleurs auparavant laissés pour compte.

Le nouveau vent de protectionnisme n’est pas à l’origine de cette évolution, puisque les politiques défavorables au commerce viennent d’être mises en place. En fait, la relance actuelle de l’économie est le produit de l’ancien modèle. Pour l’heure, la mondialisation reste intacte; sa dynamique et ses systèmes apportent enfin la même prospérité que lors du dernier cycle prolongé de la croissance. Le mouvement actuel de la croissance vient de se mettre en marche, et des millions de travailleurs attendent toujours pour en profiter. Il existe des preuves tangibles d’une demande comprimée aux États-Unis et en Europe. De plus, bon nombre de marchés émergents ont beaucoup de chemin à parcourir avant de rattraper le monde développé – ce qui représente un immense potentiel pouvant facilement prolonger cette expansion.

Cette fois, nous sommes placés devant le paradoxe du changement

Loin d’être une solution, le choix d’un populisme perturbant le commerce pourrait briser la reprise qui a pris dix ans à s’installer. Un changement radical et généralisé au niveau des politiques donc serait malvenu. Le populisme s’accompagne d’un cruel paradoxe : il promet la prospérité, mais il entraîne une période prolongée de pénurie. Dresser un portrait fidèle du commerce pourrait se révéler une tâche plus ardue. Quoi qu’il en soit, il appartient à tous les esprits avertis de s’engager dans une voie qui nous conduira vers de meilleurs lendemains.

Conclusion?

L’inquiétude suscitée par la lente progression de l’économie mondiale vers la reprise incite certains à faire appel à un remède d’une autre époque, qui est tout sauf une solution. C’est en quelque sorte une dose de poison au moment même de la guérison – un changement de perspective qui constitue un curieux paradoxe. Il reste à espérer que nous prendrons en compte cette réalité avant qu’il ne soit trop tard.