Le monde veut savourer les produits de la mer du Canada. Voilà qui n’est pas nouveau. Peu après que Jean Cabot a relayé la nouvelle de l’incroyable abondance des Grands Bancs vers la fin du XVe siècle, le Canada s’est hissé au rang des meilleures nations pour la pêche. Malheureusement, la surpêche a épuisé les stocks, et à plusieurs reprises plongé le secteur dans une crise majeure. Malgré tout, le Canada demeure un acteur international de premier plan de cette industrie. D’ailleurs, dans un contexte de raffermissement de la croissance mondiale, la demande pour les produits de la mer canadiens a le vent dans les voiles. Le Canada peut-il répondre à cette demande ou se dirige-t-il vers une nouvelle crise?

Secteur des pêches : la crise de 1992

La dernière crise a été douloureuse. Pendant des années, quelque chose n’allait pas, mais tous espéraient qu’il s’agissait d’une anomalie qui se corrigerait d’elle-même… mais cela ne s’est pas produit. Résultat : en 1992, un moratoire aux effets dévastateurs a été imposé sur la pêche de la morue du Nord et d’autres espèces. Les études biologiques ont par la suite révélé l’état lamentable des stocks si bien que des plans de gestion stricts ont été mis en place. Depuis, on assiste à une lente reconstitution des stocks. Le secteur s’est adapté en se tournant vers d’autres espèces et en investissant massivement dans l’aquaculture. C’est un pas dans la bonne direction, mais cela suffira-t-il à nous protéger de nouvelles crises?

Jusqu’ici tout va bien. Les clients habituels du Canada ne sollicitent pas trop notre approvisionnement. La croissance a été terne au début du nouveau millénaire : elle s’établissait en moyenne à tout juste 1,4 % en rythme annuel. Une fois l’inflation prise en compte, on constate que les ventes sont en nette diminution depuis 17 ans. Ce bilan pourrait nous amener à nous interroger sur la pertinence du secteur – l’épuisement des stocks ayant incité les acheteurs à se détourner du Canada et à privilégier d’autres marchés.

Le portrait de la croissance

Gardons-nous de tirer des conclusions hâtives. La profonde transformation qui s’opère dans le secteur représente l’une des évolutions les plus positives sur la scène des exportations canadiennes. La montée de la classe moyenne sur les marchés émergents – et son intérêt grandissant pour des aliments riches en protéines – est en train de révolutionner la demande mondiale. Les consommateurs mieux nantis des marchés émergents mangent plus, et notamment de la viande et des produits de la mer. Selon l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture, cette progression n’est pas près de s’arrêter et elle intensifie la dépendance nette des économies émergentes envers les principales nations productrices d’aliments.

Ce scénario est tout à fait plausible. Le secteur canadien des pêches est au cœur de l’action. La Chine est un joueur important : elle a récemment damé le pion au Japon pour devenir la deuxième destination des exportations canadiennes de poissons. D’ordinaire, c’est une tâche plutôt difficile à accomplir… mais pas pour la Chine! Son appétit pour les produits canadiens a bondi de 13 % sur une base annuelle. À cette cadence, la Chine deviendra le premier client du Canada dans un peu plus de 12 ans.

La Chine n’a pas le monopole de la croissance rapide. Durant cet intervalle, nos exportations vers le Vietnam ont augmenté annuellement de 40 %, ce qui a fait passer ce pays du 24e au 5e rang du classement des exportations du secteur. Les exportations à destination de la Corée sont aussi très dynamiques et rivalisent avec la croissance annuelle chinoise; les exportations en direction de l’Indonésie sont prometteuses : elles comptent pour à peine 1 % des exportations canadiennes de poissons, mais elles affichent une hausse annuelle soutenue de 44 %. D’ici dix ans, nos ventes vers la Chine et les autres marchés en effervescence dépasseront celles vers le marché américain. 

La véritable crise : l’incapacité à garder le rythme!

Cette possibilité est stupéfiante. Il est difficile d’imaginer qu’un secteur ferait de la Chine la première destination de ses exportations étant donné la position dominante du marché américain dans nos exportations. D’autres marchés pourraient aussi gagner des places dans le classement. Les données actuelles le confirment, indéniablement, sans compter que nous connaissons les futurs besoins de ses nations où la croissance est rapide. De ce point de vue, la seule crise que nous pourrions traverser serait attribuable à notre incapacité à répondre aux demandes de ces nations. Cette éventualité se produirait si les éléments suivants sont présents : un approvisionnement insuffisant en raison d’une gestion non durable des stocks; un manque de prévisibilité au niveau de l’offre, ce qui ne serait guère mieux; l’incapacité à mettre à profit cette occasion pour établir des relations commerciales appropriées alors que d’autres nations tirent leur épingle du jeu; enfin, une diminution de la qualité de nos produits, ce qui compromettrait un élément essentiel de notre proposition de valeur. Heureusement, aujourd’hui, tous ces éléments sont réunis pour le Canada; il nous suffit donc de continuer à adhérer aux normes supérieures que nous nous sommes fixées. 

Conclusion?

Si une crise attend le secteur canadien des pêches, elle viendra de l’incapacité à reconnaître la dynamique d’une croissance mondiale durable. Par chance, elle est déjà présente dans les chiffres actuels, et elle sera notre meilleure guide pour préparer l’avenir. Voilà une bonne nouvelle pour les acteurs du secteur canadien des pêches. Et ça n’a rien d’une histoire de pêche; pour beaucoup d’autres, cette croissance est annonciatrice de ce qui se profile à l’horizon. Il est temps de nous y préparer!