Ce Propos n’est pas seulement mon dernier de l’année; c’est aussi le dernier de la présente décennie. Dans mon rôle actuel, je n’ai eu qu’une seule autre occasion de résumer une décennie de la sorte. À cette époque, nous devions encore nous sortir de la Grande Récession. Cet événement n’a pas vraiment été une surprise; la stupéfaction venait plutôt de la longue attente qui l’a précédé. Alors, quelle est la grande surprise politico-économique des années 2010?

Ce n’est pas le choix qui manque. On peut d’abord penser aux catastrophes naturelles. La décennie s’est amorcée par un tremblement de terre dévastateur à Haïti; l’année suivante, le Japon subissait un violent séisme accompagné d’un tsunami – qui ne serait pas le seul de la décennie. Les catastrophes s’enchaînant les unes après les autres – tremblements de terre, super-tempêtes, inondations –, les enjeux climatiques et naturels sont passés à l’avant-plan de la scène politique. Tous ces événements ont été, par leur nature même, de véritables surprises.

Quant aux avancées technologiques, elles sont nombreuses, trop même pour être recensées. On a assisté au lancement du iPad en avril 2010, et depuis ce temps, d’immenses progrès ont été accomplis : progression de la robotique, omniprésence des capteurs, développement de l’intelligence artificielle et des nanotechnologies, sans compter le développement d’innombrables applications pour ces technologies et d’autres innovations incontournables. Si les inventions et les nouvelles applications technologiques surprennent presque toujours, le phénomène, lui, ne devrait pas nous surprendre; l’innovation s’accélère à un rythme exponentiel depuis bien plus qu’une décennie.

L’économie a aussi subi des secousses sismiques à sa manière. Les marchés émergents sont montés en puissance, certains ayant même été proclamés à tort de nouvelles locomotives de l’économie mondiale. Ces marchés ont atteint une maturité certaine, mais, dans ce cas-ci, ils n’ont fait que récolter ce qu’ils avaient semé il y a déjà plusieurs décennies. Ce n’est donc pas une véritable surprise. Peut-être sera-t-on plutôt frappé par le phénomène de la « concentration des entreprises ». En effet, devant la nécessité de se mondialiser pour soutenir la concurrence, on a vu se former de véritables géants nationaux de l’industrie étant capables d’exercer leur emprise sur des économies nationales d’une façon autrefois rendue impossible par les lois antitrust. D’ailleurs, les sphères technologiques qui ne laissent pas cohabiter la concurrence ont donné naissance à des sociétés qui changent les règles de leur secteur – notamment Google, Amazon, Uber et Facebook –, essentiellement des quasi-monopoles mondiaux où se concentrent la richesse et le pouvoir de fixer les prix. Mais encore une fois, ce n’est pas là une surprise. Chaque révolution industrielle a débuté par une concentration du pouvoir des entreprises, qui a été suivie par l’instauration de mesures législatives destinées à limiter l’incidence des monopoles. Toujours sur le plan économique, la réglementation des marchés financiers est devenue une nouvelle puissance durant la décennie, surprenante à la fois par sa portée et son envergure. Ses effets n’ont pas encore été mis à l’épreuve d’une récession; on s’en reparlera donc dans dix ans.

Les marchés de l’énergie ont eux aussi vécu une révolution. La crainte d’une déréglementation en matière d’environnement, combinée aux percées et aux gains d’efficacité du côté des technologies, a fait grimper en flèche l’offre viable d’énergie propre. Parallèlement, les technologies ont favorisé une envolée de l’offre de combustibles fossiles. Cette offre abondante a fait baisser le coût final et, au bout du compte, a nui à l’essor des solutions plus écologiques. Une révolution sur plusieurs fronts, donc, mais dont l’issue reste à déterminer.

Les années 2010 ont aussi été marquées par de nouvelles approches au chapitre des politiques. La politique budgétaire a été resserrée au début de la décennie, sans grande conséquence à ce jour. Quant à la politique monétaire, l’avènement de l’assouplissement quantitatif a tout changé. Les théories monétaires modernes font lentement leur entrée dans les discours, même si elles demeurent des théories à prouver.

Dernier point à l’étude : le changement social. Au début des années 2010 a eu lieu le printemps arabe, pendant lequel des autocraties partisanes bien ancrées dans la région du Nord de l’Afrique ont été renversées en l’espace de quelques jours.  Ces bouleversements ont eu un effet domino : ils ont donné lieu à nombre de manifestations partout dans le monde, et ont culminé par deux grands événements en 2016 : le référendum sur le Brexit et l’élection du leader populiste par excellence, Donald Trump. Et ce n’est pas fini : la montée surprenante mais inexorable du populisme se poursuit, sans entrave. Voilà un changement qui marque de façon unique cette décennie. Alors, ce changement est-il la grande surprise des années 2010?

Pas tout à fait. En soi, les facteurs que je viens d’évoquer représentent des révolutions majeures. Ces facteurs, en apparence aléatoires, sont en fait tous interreliés. Voilà pourquoi la surprise de la décennie serait davantage la combinaison ou la répétition de ces événements, ou encore les moments charnières qui les ont déclenchés.

Conclusion?

Cela ne fait aucun doute : 2016 a été une année déterminante de la décennie qui s’achève – à la fois sur le plan économique et  politique. Au moment où l’économie commençait à se sortir – sans aide aucune – de la Grande Récession, le populisme a atteint un sommet, si bien que des politiciens sympathisant avec ce mouvement ont été élus. Or, les politiques préconisées par ces gouvernements menacent l’architecture politique et commerciale de l’après-guerre. La façon dont nous résoudrons les impasses économiques qui en résultent façonnera considérablement notre avenir géopolitique et économique. Sur ce, je vous souhaite, à vous et vos proches, un très joyeux temps des Fêtes, et le meilleur pour l’année et la décennie à venir.

 

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