De l’avis de la plupart des analystes, l’économie mondiale tourne à plein régime. Ceux qui ont tout intérêt à ce que leurs prévisions se réalisent sont optimistes, malgré la présence d’importants vents contraires. D’habitude, ce contexte a un effet stimulant sur le commerce maritime mondial, dont les capacités ont été par le passé mises à rude épreuve. D’autres indicateurs clés semblent aussi s’emballer : est-ce à dire que nous nous dirigeons vers un autre resserrement des capacités du secteur du transport maritime?
Les statistiques récentes ont de quoi impressionner. L’indice Baltic Exchange Dry, qui mesure les taux pour le transport maritime des marchandises en vrac à l’échelle mondiale, est sur une lancée. Les niveaux ont atteint un sommet depuis les deux hausses survenues à la fin de 2013. L’utilisation de navires plus imposants soutient ce mouvement ascendant, ce qui est un signe positif pour le transport de marchandises lourdes. La récente poussée suscite l’enthousiasme; d’ailleurs, de plus en plus d’exemples de cette relance de l’activité font la une des médias.
On constate une situation semblable pour le transport par conteneurs. L’indice Harpex est l’équivalent de l’indice Baltic Dry dans l’univers du transport maritime. Tout comme l’indice Baltic, l’indice Harpex avoisine des sommets en sept ans grâce à un regain de l’activité qui remonte à la mi-2016. En fait, depuis, l’indice global a doublé. Dans ce cas-ci, l’augmentation est présente dans toutes les tailles de navire, et seule la catégorie des navires de plus faible tonnage (soit 700 équivalents vingt pieds, ou TEU) n’a pas autant progressé.
Ces mouvements passionnent les observateurs du marché pour une excellente raison : ils semblent marquer un tournant de l’expérience générale du secteur pendant la période ayant suivi la récession. De fait, la croissance de l’économie mondiale se traduit par une intensification du transport transocéanique des biens et des services, ce qui, on l’espère, fera oublier les heures difficiles traversées par le commerce international quand les niveaux ont piqué du nez en 2009.
Cet élan d’enthousiasme doit passer le test de la réalité. Malgré leur remarquable progression, ces deux indices clés sont loin de leurs pics cycliques. À vrai dire, aux niveaux actuels, ces indices se trouveraient au début et au milieu du cycle. Dans la majorité des catégories de taille de navire, les sous-indices se trouvent à moins de la moitié des niveaux où ils se situaient en 2007-2008. Et si on aborde la question du resserrement de la capacité, on doit remonter à 2004 lorsque les taux des navires affrétés ont atteint des sommets de 40 % supérieurs à ceux des niveaux de 2007-2008. Transposée dans un tableau, la poussée actuelle est réduite à une hausse plutôt légère.
Étonnant, n’est-ce pas? Selon certains, nous sommes ou avoisinons le sommet du cycle… Voilà l’une des énigmes de la conjoncture économique : des indicateurs semblent se trouver dans la zone supérieure du cycle, tandis que d’autres sont largement dans les limites précédentes. Fait inhabituel, les experts ne s’accordent pas sur la question du moment. Pour la plupart des observateurs de l’économie, il est clair que nous nous approchons de la fin du cycle. La situation actuelle ne pourrait être plus nébuleuse. Alors, comment interpréter les signaux envoyés par le secteur du transport maritime?
À l’image d’autres secteurs choisis de l’économie, le transport maritime dispose encore d’un important excédent de capacité. En 2004, cette capacité a été mise à l’épreuve par une très vive demande mondiale, une pénurie de navires disponibles et des installations portuaires engorgées le long de la côte Ouest de l’Amérique du Nord. La crise, conjuguée à des taux exorbitants de location des navires, avait provoqué un déluge d’investissements – dans les infrastructures de transport de toutes sortes, mais aussi dans la construction navale. À ce moment-là, on estimait que la mondialisation et l’expansion rapide et sans fin des marchés émergents exerceraient une pression constante, et qu’on ne pouvait construire assez d’infrastructures et de navires.
Malgré ces prédictions, nous nous sommes retrouvés avec un excédent de ces deux éléments à un moment inopportun – ce que montrent bien les données de la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement. Le taux moyen de tonnage des produits par rapport à la capacité de transport maritime est actuellement à environ 78 % du niveau de 1998, et d’environ 30 % inférieur au pic d’utilisation. Autrement dit, l’excédent de navires serait tellement important qu’en moyenne les navires seraient exploités à 80 % de leur capacité, que 20 % des navires disponibles seraient inactifs, ou que tous les navires seraient exploités dans une proportion d'environ 80 % de leur fréquence d’utilisation passée. Voilà qui n’est pas une excellente nouvelle pour le secteur du transport maritime, comme l’indiquent les taux de location.
Toutefois, il y a une lueur d’espoir. Si l’économie mondiale poursuit sa croissance, le manque de capacité de transport maritime ne constituera pas un frein. Et si l’activité s’intensifie, la situation sera différente de celle de 2004. De fait, si une récession causée par un resserrement de la capacité se profile à l’horizon (selon nous, un scénario improbable), on ne pourra pas cette fois blâmer le secteur du transport maritime…
Le secteur mondial du transport maritime ouvre les machines, mais se trouve encore loin des pics précédents. Les exportateurs qui voient leurs commandes augmenter pourront compter sur la capacité du secteur du transport maritime et des hausses contenues des taux de fret. Si on se fie à la perspective de ce secteur, la récession est encore à bonne distance.