Les prix sont repartis à la hausse d’une manière inédite depuis des années. Ce genre de nouvelle est d’habitude accueillie partout par des cris de protestation. Après tout, l’inflation est l’un des deux éléments de « l’indice d’appauvrissement » (le misery index), et elle généralement considérée comme un facteur économique négatif. L’inflation est absente depuis si longtemps que le terme est pratiquement disparu des conversations. Toutefois, son absence n’a apporté aucun réconfort et s’explique par la présence d’éléments peu favorables : demande déprimée, problèmes structurels et incertitude sur de multiples fronts. Si l’inflation est de retour, cela devrait-il nous réjouir, nous rassurer ou nous préoccuper?

Pour le savoir, examinons l’histoire récente. En 2008, les prix ont monté en flèche, la demande poussant les limites de la capacité de production partout sur le globe, et les inquiétudes se sont alors accrues. La récession a mis fin à cette flambée : les prix à la consommation ont plongé dans le rouge aux États-Unis, au Canada et au Japon, tandis que l’Europe a échappé de peu à ce mouvement qui, au lieu de calmer les inquiétudes, les a amplifiées. La perplexité a alors fait place à la panique, et la stabilisation des prix est devenue la grande priorité. Par chance, les immenses efforts déployés ont porté fruit : les prix ont cessé d’augmenter et se sont maintenus dans la fourchette d’une faible croissance pendant environ cinq ans. Pourtant, nous étions encore insatisfaits, car les prix reflétaient une demande obstinément léthargique. Et puis il y a eu un second moment de panique à la mi-2014. Les prix ont glissé de nouveau et ravivé les craintes que même la croissance, alors poussive, s’essouffle. 

Les inquiétudes ont persisté pendant environ un an. Puis, vers la fin de 2015, les prix ont cessé de vaciller et ont grimpé, mais de façon plutôt modeste. Malgré tout, nous étions encore mécontents. Il semble que l’activité mondiale est de nouveau devenue dynamique à la mi-2016. Depuis, les prix dans la plupart des pays du monde développé se sont établis dans la fourchette cible, et dans certains cas, ils l’ont dépassé pendant de brefs épisodes. Tout va donc pour le mieux? Pas exactement. La rapidité de la montée des prix fait craindre que la politique ultra accommodante des sept dernières années provoque une envolée des prix. Les autorités monétaires parlent toutes de resserrement, notamment de plans visant à normaliser le bilan, dans le but d’éponger les liquidités excédentaires. La Fed a été la première à évoquer cette possibilité, puis les autres ont emboîté le pas. Or, ces autorités redoutent d’être prises de court : en raison du décalage lié au mécanisme de transmission monétaire, elles doivent agir sur l’inflation de 12 à 18 mois avant son apparition pour atteindre la stabilité. Sachant cela, les entreprises désirent savoir comment elles pourront se prémunir de coûts d’emprunt plus élevés. Quant aux consommateurs – désormais habitués à du crédit bon marché – ils sont préoccupés par l’impact de cette situation sur leurs finances.

Et leurs inquiétudes sont légitimes. Des années de croissance décevante ont pénalisé l’investissement et les embauches. Désormais, l’élan de croissance exerce des pressions sur une capacité aujourd’hui soumise à une gestion serrée. Des preuves généralisées et probantes d’une demande comprimée permettent de croire qu’il y a encore beaucoup de place pour la croissance. Je dirais pour ma part que les tensions sur les prix se maintiendront au cours des prochains mois. Il est essentiel de comprendre qu’il y a d’excellentes raisons derrière cette nouvelle poussée des prix – manifeste en Amérique du Nord, en Europe occidentale et même au Japon –, et que celle-ci est révélatrice de conditions très attendues depuis la récession. Dans ce sens, un peu d’inflation n’est pas une mauvaise chose en soi. Mais quand l’inflation se manifeste, la gestion des attentes à l’égard des prix devient la première préoccupation. Et si ces attentes s’emballent, elles sont difficiles à maîtriser sans le recours à de strictes mesures monétaires.

L’expérience récente du Canada ressemble à celle de tous les autres pays, mais le contexte est ici un peu différent. Alors qu’on observe ailleurs une demande comprimée, le Canada affiche des fondamentaux intérieurs moins robustes. Les consommateurs canadiens doivent composer avec un endettement important – et grandissant –, ce qui les rend très sensibles à tout relèvement des taux d’intérêt. Le marché immobilier canadien est en situation de surchauffe et vulnérable au resserrement monétaire. Pourtant, dans un contexte caractérisé par un élan irrépressible de l’activité intérieure, ainsi que par une récente embellie de la croissance des exportations, la Banque du Canada a procédé cette semaine à un relèvement de taux.

Ce changement pose un défi de taille pour les autorités monétaires au Canada et ailleurs dans le monde. On accueille favorablement, mais non sans inquiétude, ce changement de régime, où les conditions de financement ultra-accommodantes étaient devenues la normalité. Il faudra prendre des mesures progressives pour éviter de perturber la croissance. Toutefois, choisir l’approche appropriée pour opérer ce resserrement ne sera pas une mince affaire. Chose certaine, il y a aujourd’hui moins d’incertitude quant à la nécessité du changement. Même les « colombes » (doves en anglais) – autrement dit les partisans d’une gestion plus accommodante de la politique monétaire – croient qu’il faut privilégier une action rapide plutôt que lente.

Conclusion?

Quand il est question des conditions de la demande, nos souhaits, semble-t-il, deviennent réalité. Pourtant, nous demeurons insatisfaits. Réaliser nos rêves se fait à un prix, et ces jours-ci il semble changer rapidement. Accrochez-vous bien, car la balade promet d’être palpitante!