Le moment de mon départ approche. En effet, l’automne dernier, j’ai annoncé à mes collègues qu’après 17 ans à Exportation et développement Canada, j’avais l’intention de tirer ma révérence au début de 2022. J’aimerais dire que ce fut un honneur de travailler au sein d’une organisation investie d’un mandat à la fois noble et utile, et qui sert un nombre croissant de clients. Ces entreprises se trouvent chaque jour aux avant-postes du commerce international : elles partent à la conquête du monde et y trouvent le succès.

Je suis particulièrement reconnaissant du soutien indéfectible que j’ai reçu de l’Équipe de la haute direction et du Conseil d’administration au cours de mes 13 années au poste d’économiste en chef. En qualité de quasi-fonctionnaire d’un organisme relevant du gouvernement fédéral, j’ai été agréablement étonné de la latitude qui m’a été donnée. J’ai fait le point avec la plus grande franchise sur l’évolution de l’économie mondiale, la conjoncture et ses répercussions sur le commerce international et, plus important encore, sur les perspectives. Alors, quels sont les événements et les enjeux qui m’ont le plus marqué?

1. La diversification. J’ai abordé ce sujet pour la première fois en 2006. Ce fut pour moi une révélation. J’ai découvert que la diversification était en marche : elle n’était pas seulement une aspiration lointaine et insaisissable, mais la démarche concrète d’un petit groupe d’entrepreneurs canadiens tournés vers l’avenir. Grâce à ces entreprises, nos échanges commerciaux avec les marchés émergents en plein essor ont dépassé les échanges avec les marchés traditionnels de nos exportations – à tel point qu’en l’espace de quelques décennies, certains de ces marchés se hisseraient au sommet du classement des destinations des exportations du Canada. Depuis, je n’ai cessé de partager cette bonne nouvelle dans l’espoir que d’autres exportateurs emboîtent le pas. 

2. Une gigantesque bulle dans l’économie mondiale. À la fin 2007, il est devenu évident que l’économie mondiale abritait une bulle, et ce, depuis plusieurs années. Pour ne rien arranger, la mondialisation avait permis d’exporter cette bulle gonflée par une activité excessive un peu partout sur le globe. Ce qui a suivi été prévisible : une très sévère correction s’étendant sur plusieurs années. Nos prévisions économiques d’alors, qui tablaient sur un net repli de l’activité mondiale, n’ont pas reçu un très bon accueil. Nous avons par la suite affiné nos prévisions : elles annonçaient au second semestre de 2008 une chute des cours pétroliers et du dollar canadien, ce qui a été perçu à l’époque comme un scénario plutôt déjanté. La suite des choses, nous la connaissons.

3. Le quasi-effrondrement du système financier. Ce souvenir nous fait encore frémir : le système financier est passé bien près d’être anéanti. Il faut dire qu’il chancelait déjà beaucoup avant la Grande récession. Grâce aux efforts considérables collectivement déployés par des virtuoses du domaine des finances, le système a continué de fonctionner à la fin de 2008, puis les années suivantes. Pour éviter de revivre une autre crise de ce genre, une réforme du système financier a été lancée; ce chantier est loin d'être terminé et nécessitera encore des améliorations.

4. Les programmes de relance publics. Face au chaos économique et financier, d’importants programmes de relance publics ont été mis en place. Ces initiatives ont rallié tous les acteurs, peu importe leur allégeance politique. Dans les économies développées bien nanties, on a qualifié ces programmes d’impressionnants en raison de leur envergure; or, les programmes du même genre mis en place sur les marchés émergents étaient, en termes relatifs, plus imposants encore. À cela se sont ajoutées les mesures de relance monétaire, un outil jusque-là théorique. Il est toujours utilisé à ce jour et semble donner les effets escomptés, même si son fonctionnement et ses effets demeurent mal compris.


5. La reprise qui n’a jamais eu lieu. La Grande récession a été suivie de la Grande stagnation. Malgré toutes les mesures de relance mises en œuvre, l’économie a péniblement progressé, incapable d’orchestrer une véritable reprise. Ce contexte a produit une génération de diplômés mécontents et de travailleurs victimes d’un chômage prolongé qui ont perdu foi dans le système. Cette génération « mise sur la touche » a donné de la vigueur au populisme qui a trouvé des adhérents partout sur la planète. Des signes d’un regain ont été observés en 2016, mais à l’époque les troubles politiques ont semblé entraver cet élan.

6. La pandémie de COVID-19. Si l’économie était en bonne voie vers une véritable reprise – ce que le taux de chômage semblait confirmer –, la pandémie a stoppé net ce mouvement. L’économie a ensuite alterné les phases de redémarrage et d’arrêt, ce qui a compliqué la planification des activités. Résultat : les entreprises ne savent pas très bien quand et où elles investiront, et les consommateurs se font moins dépensiers. Le taux d’infection s’impose comme l’indicateur avancé de tous les autres indicateurs, mais il perdra ce statut dès que l’immunité collective sera atteinte.

7. L’économie profite de solides fondamentaux. Malgré les difficultés engendrées par la pandémie, l’économie demeure résiliente. Cette résilience a d’ailleurs confondu les spécialistes qui déclaraient au début de la pandémie que la reprise serait timide. Ce ne fut pas le cas. La vivacité de la demande comprimée avant la pandémie laissait entrevoir un robuste rebond, ce qui a pris au dépourvu les économies du monde. De là les soucis du côté des chaînes d’approvisionnement, la pénurie de main-d’œuvre, la montée de l’inflation et le resserrement de la politique monétaire.

La combinaison de ces éléments et d’autres facteurs a contribué à faire naître un certain cynisme envers les institutions, les systèmes de gouvernement, la concentration des entreprises, l’utilisation des technologies et une foule d’autres composantes essentielles de nos sociétés. Elle a aussi mené à une désillusion certaine à l’égard du capitalisme. Les cyniques seront pardonnés compte tenu des échecs et demi-échecs retentissants encaissés par les marchés depuis une dizaine d’années. La faute du capitalisme serait peut-être celle que l’on trouve exprimée dans la critique de Winston Churchill, ancien premier ministre du Royaume-Uni, à l’endroit de la démocratie : le capitalisme est sans doute la pire forme de système économique, à l’exception de tous les autres qui ont pu être expérimentés au fil du temps. Je présume qu’il faudra attendre de voir si le capitalisme, en dépit de tous ces travers, réussira à se faire valoir ou si nous mettrons de nouveau à l’essai une ou plusieurs de ces autres formes de système économique.

Conclusion?

À l’heure de mon départ à la retraite d’EDC, j’avais espéré que la pandémie serait derrière nous et que nous mettrions résolument le cap sur la croissance économique. À l’évidence, mon souhait ne s’est pas réalisé. En terminant, j’aimerais vous remercier de votre fidélité au Propos de la semaine; sa rédaction et sa livraison me manqueront à coup sûr. Merci aussi de m’avoir appuyé pendant tant d’années dans mon travail d’économiste en chef d’EDC. L’édition de la semaine prochaine sera la dernière que je signerai. Je vous présenterai alors mon successeur à la barre du Propos de la semaine. 

 

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