J’en sais tellement sur le monde, que plus rien ne me surprend vraiment, ou presque… », écrivait Dickens dans David Copperfield. Voilà qui pourrait bien résumer l’année. Les bouleversements sont devenus si ordinaires, et on en parle si souvent, qu’on serait effectivement surpris que rien de surprenant ne se produise. Alors, dans cette mer de bouleversements, lequel devrait-on couronner « surprise de l’année »?
On pourrait facilement désigner 2017 comme l’année ayant le plus ébranlé la structure géopolitique et économique depuis la Seconde Guerre mondiale, il y a 70 ans. La rafale d’élections européennes a vu la montée d’importants mouvements populistes anti-institution, anti-un-pour-cent et antimondialisation qui menaçaient de prendre le dessus et de reléguer la structure actuelle aux oubliettes. Chaque fois, le statu quo a remporté la bataille, préservant l’état des choses… pour le moment. La surprise, peut-être, c’est que rien ne s’est effondré, contrairement au printemps arabe.
Si cet effondrement ne s’est pas produit, ce n’est certainement pas grâce aux États-Unis et à leur fanfaronnade anticommerce. Quelle année étrange, où le gazouilli faisait la loi et un scandale de corruption électorale menaçait continuellement d’éclater. Le protectionnisme a fait du chemin, aidé par la campagne de pression morale contre les activités internationales des fabricants d’automobiles et d’appareils, un avertissement servi aux autres sociétés qui auraient envie de les imiter. Les mesures au détriment des producteurs de bois d’œuvre et du fragile secteur de l’aéronautique du Canada, sans compter les remarques caustiques sur l’industrie laitière, ont gonflé l’isolationnisme à bloc. Les choses sont devenues beaucoup plus sérieuses au quatrième round de la renégociation de l’ALENA, quand on a cru que la « pilule empoisonnée » allait bel et bien sonner le glas des pourparlers. Rien de surprenant à ce que ce ne soit pas arrivé : les États-Unis ont bien trop besoin de cet accord. Ce qui surprend, c’est la lenteur du lobby des entreprises à monter sur le ring.
Voilà pour l’espace traditionnel du Canada. Et dans le reste du monde? Sur les marchés pétroliers, d’importance pour le pays, notons ces deux événements qui auraient normalement dû ébranler fortement les prix. Premièrement, le CCG a imposé un « blocus » au Qatar – mais les prix ont à peine bougé. Deuxièmement, l’Arabie saoudite a subi un gros changement de régime qui a eu des conséquences dramatiques pour certains grands leaders… mais encore une fois, peu d’effet sur les prix. L’Afrique ne termine généralement pas en tête de liste pour ce qui est des surprises, mais personne n’aurait su prédire le renversement de deux leaders de longue date. D’accord, cela s’est produit à maintes reprises au cours des cinquante dernières années, mais rarement comme nous en avons été témoins cette année – Robert Mugabe, au Zimbabwe, et Jammeh, en Gambie, ont tous deux été retirés du pouvoir sans qu’un seul coup de feu ne soit tiré.
Pendant longtemps – trop longtemps – on a comparé l’Inde à un puissant engin qui n’arrivait pas à monter la pente. Un potentiel énorme, mais pas assez de volonté ou d’énergie pour surmonter les obstacles internes à la croissance. Voilà où entre en jeu le gouvernement Modi, qui présente de nouvelles politiques qui aident à faire de l’Inde la Chine du cycle économique que nous connaissons actuellement. La croissance est déjà supérieure et semble vouloir le demeurer. Deux importantes vérifications des progrès sont survenues cette année. Premièrement, Moody’s a octroyé à l’Inde sa première amélioration de cote souveraine en 13 ans. Deuxièmement, l’Inde a fait un bon de plus de 30 points sur l’Indice de facilité de faire des affaires de la Banque mondiale. Il lui reste beaucoup de chemin à faire, mais voilà des progrès fort impressionnants qui se traduiront sûrement par d’autres améliorations.
Pas évident, donc, de choisir un seul élément de cette longue liste – que nous pourrions d’ailleurs enrichir davantage. Mais lorsque nous prenons en considération le portrait d’ensemble, il devient clair que huit ans après la Grande récession, il existe toujours beaucoup de perturbation – sur la scène politique, sociale, économique, technologique et militaire. Il existe suffisamment d’incertitude pour maintenir l’économie mondiale en mode « pause ». Une chose est certaine, la croissance a, après toutes ces années, amorcé sa reprise. Les cyniques croient qu’il s’agit d’un dernier tour de piste, et sont toujours obsédés par les effets négatifs des fissures structurelles découlant du dernier repli et qui sont toujours visibles. Malgré tout, les prévisions sont, pour la première fois en sept ans, révisées à la hausse. De tous les endroits, l’Europe démontre le plus de vigueur. Et après toutes ces années, la confiance semble se rétablir – et pas seulement à des niveaux médiocres, mais à des niveaux qui avoisinent l’inédit. Mais voilà que nous nous y attendions; où est donc la surprise? Peut-être réside-t-elle dans le fait que cette reprise se soit manifestée malgré les perturbations considérables. Ce qui nous surprend davantage, c’est le nombre de personnes qui sont surprises par cette nouvelle croissance.
Conclusion?
Chaque fois qu’une nouvelle vague de croissance prend forme, et surtout à la suite d’une période d’inactivité aussi prolongée, je m’émerveille du fait que le phénomène semble pratiquement se déclencher de lui-même, en dépit de notre volonté.