
Dans la foulée des efforts engagés pour atteindre la carboneutralité, rehausser la compétitivité, répondre à la demande mondiale et assurer son autonomie stratégique, l’Union européenne (UE) a fait du développement sur son marché intérieur et de l’accès fiable à 34 matières premières critiques des priorités majeures. Des minéraux comme le lithium, le cobalt, le nickel, le graphite, le cuivre et des éléments de terres rares sont en effet essentiels pour orchestrer la transition énergétique, suivre la cadence de la transformation numérique, abaisser le déficit infrastructurel et soutenir les plans de remilitarisation à l’échelle planétaire.
Pourtant, pour l’heure, l’UE est tributaire des importations de plusieurs minéraux critiques auprès de pays exposés, à divers degrés, à l’instabilité politique. En 2024, par exemple, 95 % des importations de matières premières critiques de ce bloc économique provenaient de la Chine, de la Malaisie et de la Russie. L’invasion de l’Ukraine par la Russie avait poussé l’UE à diversifier ses sources d’énergie. Aujourd’hui, l’UE s’est fixé un impératif stratégique : garantir un approvisionnement fiable en matières premières critiques.
Minéraux critiques stratégiques : les priorités européennes
En mai 2024, l’UE a promulgué sa Législation sur les matières premières critiques et, par le fait même, défini des cibles pour 17 matières premières stratégiques considérées comme rares et d’une grande importance stratégique. Ainsi, d’ici 2030, l’UE entend :
- produire au moins 10 % de ses extrants miniers utilisés;
- traiter au moins 40 % de sa production traitée et utilisée;
- recycler au moins 25 % de ses extrants recyclés et utilisés.
Fait digne de mention, la nouvelle Législation européenne limite à 65 % les importations provenant d’un fournisseur étranger unique.
Pour favoriser l’atteinte de ces cibles, l’UE s’emploie à simplifier les processus et lance de nouvelles initiatives comme l’Alliance européenne des matières premières et les Projets importants d’intérêt européen commun, toutes deux destinées à accélérer le processus d’approbation et l’octroi de financements publics. Depuis le début de l’année, pas moins de 47 projets stratégiques ont été choisis et profitent du processus accéléré de délivrance de permis ainsi que de l’accès à des sources de financement et des exploitants potentiels.
Parallèlement, en vertu de la Législation, 13 projets stratégiques ont été répertoriés dans des pays tiers, y compris le projet Dumont Nickel au Québec de la société Magneto. Ce projet compte parmi les installations d’exploitation du nickel affichant la plus faible empreinte carbone à l’échelle mondiale, et devrait commencer la production en 2028.
À l’échelle nationale au sein de l’UE, le fonds allemand pour les matières premières, dont la valeur se chiffre à 1,1 milliard de dollars américains et qui est géré par la société d’État KfW, prévoit investir dans les projets d’exploitation minière, de traitement et de recyclage au pays comme à l’étranger dans l’espoir de réduire la dépendance envers des marchés comme la Chine. Malgré tous ces efforts, l’Europe pourrait bien rater ses cibles. Cette déconvenue générerait des occasions pour des partenaires stables et aux mêmes vues géopolitiques, comme le Canada.
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Les minéraux à double usage : une manne pour le Canada
Le sol du Canada est riche en minéraux critiques pouvant avoir un double usage, soit des applications civiles et militaires, ce qui rend cette sphère d’activité plus résiliente aux chocs pouvant secouer l’économie ou le secteur.
Selon l’Institut d’études géologiques des États-Unis (U.S. Geological Survey), le Canada se hisse au rang de quatrième producteur mondial d’aluminium, de nickel et de platine, et est le principal fournisseur de ces minéraux critiques en Occident. Par ailleurs, le Canada possède d’immenses réserves de cuivre. Tous ces minerais figurent à la liste des matières premières stratégiques de l’UE et contribuent à la réalisation des priorités de l’UE, y compris dans les secteurs de l’aéronautique et de la défense. Rappelons que l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN) s’est engagée à accroître ses dépenses en défense.
Les avantages commerciaux conférés au Canada aux termes de l'Accord économique et commercial global (AECG) renforcent sa capacité d’approvisionner l’UE en minéraux critiques en diminuant les obstacles et en favorisant les investissements.
Principaux minéraux à double usage et champs d’application
- l’aluminium : il est utilisé par les secteurs de l'automobile et de la construction, et est présent dans la structure des avions et les munitions
- le cuivre : ce métal est vital pour le secteur de l’infrastructure et la décarbonation, et indispensable dans la production de munition et de pièce d’artillerie
- le nickel : il est essentiel pour la fabrication de l’acier inoxydable et des véhicules électriques, sans compter qu’il sert à la construction de pièces d’artillerie et d’avions de combat
- le platine : ce métal est utilisé dans les convertisseurs catalytiques pour les véhicules à moteur à combustion interne et les systèmes de reformatage du carburant à usage militaire
Au Canada, plusieurs projets d’exploitation du lithium, du cobalt et du graphite devraient franchir l’étape de la production dans un horizon de trois à cinq ans. Ces chantiers aideront l’UE à concrétiser ses priorités au-delà de la filière des véhicules électriques. C’est le cas pour les minéraux suivants :
- le cobalt : il sert à la fabrication d’alliages de composants aéronautiques
- le lithium : il sert au fonctionnement des moteurs électriques présents dans les systèmes d’opérations navales et d’orientation des missiles
- le graphite : il sert à la fabrication de composants pour les véhicules blindés légers et les aéronefs
Débouchés à long terme et dans certains créneaux
Au Canada, d’autres minéraux critiques offrent des possibilités qui s’inscrivent sans doute dans une perspective à plus long terme, notamment :
- les éléments de terres rares : ils sont utilisés pour la fabrication des véhicules électriques, des avions de combat, des missiles et des radars
- le tungstène : on le retrouve dans les téléphones mobiles, les pièces d’autos, les munitions, les aubes de turbines et les buses de fusée; le gisement de Mactung au Yukon et dans les Territoires du Nord-Ouest contient le tungstène à la plus forte teneur au monde
- le gallium et le germanium : ils sont des minéraux présents dans les semi-conducteurs et les applications militaires. Rio Tinto explore le potentiel d’extraction du gallium dans sa raffinerie d’aluminium du Québec, car cet élément chimique est un dérivé courant du traitement de la bauxite; de son côté, la société canadienne Teck Resources envisage d’accroître sa production de germanium à sa raffinerie de plomb et de zinc en Colombie-Britannique, qui effectue la récupération du germanium en tant que sous-produit
Soulignons que l’aluminium, le cobalt, le gallium, le germanium, le graphite, le lithium, le platine, les éléments de terres rares et le tungstène sont considérés comme des matières premières stratégiques par l’UE et des matières premières critiques pour la défense par l’OTAN. Le fait que le Canada s’engage a relevé le niveau de ses dépenses au sein de l’OTAN – en partie par la mise en valeur des minéraux critiques – ouvre des débouchés supplémentaires pour répondre à la demande du secteur de la défense. Le Partenariat de sécurité et de défense entre l’UE et le Canada conclu en juin 2025, qui permettra aux fournisseurs canadiens d’être actifs sur les plateformes d’approvisionnement conjointes, engendrera des occasions d’approvisionnement fiables et pérennes.
Conclusion : il faut saisir cette occasion stratégique au sein de la chaîne d’approvisionnement
Le sol canadien contient plusieurs minéraux critiques à double usage qui peuvent aider l’UE à concrétiser ses priorités stratégiques, dont celles du domaine de défense. À l’heure où l’OTAN augmente ses dépenses dans la défense et ses investissements dans les minéraux critiques, le Canada est bien placé pour gagner en compétitivité et en pertinence en tant que partenaire commercial fiable de l’UE.
Le Canada est un partenaire naturel de l’UE, et ce, pour trois raisons : ses atouts commerciaux tirés de l’ACEUM, ses abondantes ressources naturelles et ses vues concordantes sur le front géopolitique. Chose certaine, la demande pour les minéraux propulsant les technologies propres sera appelée à se raffermir, au gré de la transition vers un avenir carboneutre. C’est dans ce contexte que le gouvernement fédéral a lancé sa Stratégie sur les minéraux critiques, pourvue d’une enveloppe de 4 milliards de dollars, afin de faire du Canada un fournisseur mondial de choix. À cet égard, Exportation et développement Canada (EDC) apportera une contribution déterminante et sera prête à jouer un rôle de chef de file en ce qui a trait au soutien accordé aux projets canadiens s’arrimant aux priorités de l’UE. Dans les secteurs des mines et des métaux, EDC a appuyé 387 entreprises clientes et facilité des activités d’une valeur de 7,6 milliards de dollars canadiens en 2024.
Nous tenons à remercier chaleureusement Karicia Quiroz et Sasan Fouladirad, analystes à notre Centre d’information économique et politique, pour leur contribution à la présente chronique.
N’oubliez pas que votre avis est très important pour les Services économiques d’EDC. Si vous avez des idées de sujets à nous proposer, n’hésitez pas à nous les communiquer à l’adresse economics@edc.ca et nous ferons de notre mieux pour les traiter dans une édition future.
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