Depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale, le dollar américain occupe le rôle très convoité de monnaie de réserve mondiale. Soutenu par les États-Unis, première économie de la planète et puissance incontestée sur la scène internationale, le billet vert s’est imposé comme la devise la plus utilisée dans les échanges et un élément essentiel du commerce transfrontalier. Au fil du temps, une relation de dépendance autorenforçante s’est établie avec l’USD, ce qui a contribué à faire augmenter la valeur de la devise américaine et à asseoir sa réputation de réserve de richesse stable. 

Toutefois, récemment, on fait de plus en plus état de menaces à la prééminence du dollar américain. En effet, le renminbi joue désormais un rôle grandissant, alors que la Chine se taille une place de plus en plus prépondérante dans le commerce mondial et les marchés des titres d’emprunt. Pour preuve : le recours à la devise chinoise pour financer des activités commerciales à plus que doubler au cours de la dernière année pour atteindre 5 %. Et ce taux est appelé à grimper étant donné que la Chine pèse aujourd’hui pour 18 % des exportations mondiales de marchandises.

Les sanctions occidentales – en réponse à l’invasion de l’Ukraine par la Russie – ont eu comme effet de geler les réserves officielles en devises de la Russie. Or, ce gel n’a fait qu’attiser  l’intérêt manifesté envers la dédollarisation par les pays à la recherche de flux financiers internationaux à « l’abri des sanctions ». À cet égard, l’intensification du commerce bilatéral entre la Chine et la Russie ainsi que l’utilisation du renminbi pour conclure des transactions dans le secteur des matières premières sont toutes deux un rappel de la nature évolutive de l’architecture financière mondiale.

Au-delà des bouleversements géopolitiques, bon nombre de pays en développement aspirent depuis longtemps à une plus grande indépendance monétaire afin de diminuer l’influence du billet vert sur leur économie et le rôle démesuré de la Réserve fédérale dans le choix des options possibles en matière de politique. Il y a quelques semaines, le groupe des BRICS a accueilli dans ses rangs de nouveaux membres, notamment des pays exportateurs de pétrole comme les Émirats arabes unis et l’Arabie saoudite. Voilà qui pourrait favoriser le recours à d’autres devises pour la signature de contrats.  Les discussions entourant une monnaie commune entre les nations BRICS et le souhait exprimé par certains pays de conclure des transactions transfrontalières en monnaie locale alimentent le débat à propos de la dédollarisation.

Pourtant, le dollar américain reste la devise privilégiée pour le commerce : le billet vert est utilisé dans plus de la moitié des paiements internationaux et près de 85 % de toutes les transactions de financement du commerce. De ce fait, un peu moins de 60 % des réserves officielles en devises détenues par les banques centrales un peu partout sur le globe sont libellés en USD, le renminbi ne représentant qu’environ 3 %.

 

 

Cette position dominante se maintient en dépit du déclin de la contribution des États-Unis au produit intérieur brut (PIB) mondial et au commerce international. Il est vrai que le billet vert profite d’avantages structurels comme l’accès aux marchés financiers profonds, l’ouverture au commerce et à l’investissement, et la confiance envers les institutions qui le soutiennent. À ce jour, il n’existe aucune monnaie crédible pouvant remplacer le dollar américain, et ce, malgré  de nombreux événements perturbateurs comme l’effondrement du système de Bretton Woods en 1971, l’émergence de l’euro en 1999 et la crise financière mondiale de 2008.

L'appétit insatiable de la Chine pour les matières premières et les conséquences d’un nouveau recalibrage des forces dans la sphère géopolitique se traduiront inévitablement par de nouvelles annonces de transactions commerciales conclues dans des monnaies autres que le billet vert. Ces tendances pourraient aussi s’accentuer en raison de la régionalisation accrue du commerce, en l’absence d’un système de gouvernance du commerce qui soit crédible et inclusif. Le constat actuel, c’est qu’il n’y a encore aucune monnaie fiable pouvant se substituer au dollar américain à une échelle véritablement planétaire. Même les nouvelles nations BRICS, enhardies par l’expansion du groupe, affirment vouloir opter pour la diversification et la stabilité, plutôt que renoncer purement et simplement au dollar américain.

Conclusion?

Les probabilités que le règne du roi dollar tire à sa fin sont très minces. Les exportateurs canadiens, tout particulièrement ceux présents dans le secteur des produits de base, ne devraient rien tenir pour acquis. Rappelons qu’à une certaine époque le réal espagnol était, lui aussi, la monnaie dominante à l’échelle du globe. La résistance actuelle au billet vert serait révélatrice non pas d’un abandon à grande échelle, mais plutôt de la nécessité de se focaliser davantage sur l’évolution des prix, la gestion du risque de change et la compétitivité générale des exportations.

Les exportateurs pourraient devoir s’adapter en offrant des prix dans les devises locales, ce qui les aiderait à s’implanter sur de nouveaux marchés, à se prémunir contre les fluctuations de change et à diversifier leurs partenaires commerciaux. Quoi qu’il en soit, pour le moment, les annonces de la fin du règne du dollar américain comme monnaie de réserve mondiale semblent grandement exagérées.

Nous tenons à remercier chaleureusement Sanjam Suri, analyste des risques politiques au Centre d’information économique et politique d’EDC, pour sa contribution.

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