L’incertitude plane sur les États-Unis et d’autres marchés, et la menace du protectionnisme se fait émergente. En réponse, l’Accord économique et commercial global (AECG) Canada-Union européenne est porteur de possibilités de croissance. Pour en savoir plus sur ce nouvel accord, nous avons demandé à Daniel Benatuil, notre économiste spécialiste de l’Europe, de nous en expliquer les avantages et les inconvénients.

À quoi ressembleront les perspectives économiques du Canada une fois que l’AECG sera en vigueur?

On s’attend à ce que l’AECG alimente le moteur économique et commercial du Canada, et son entrée en vigueur tombe à point. Partout dans le monde, le protectionnisme gagne du terrain. C’est ce que révèlent les tendances macroéconomiques, et certains politiciens veulent en tirer profit. D’aucuns soutiennent que le Brexit était un vote contre la mondialisation et le commerce; cependant, les Britanniques veulent toujours commercer avec l’Union européenne. En France, la montée en popularité du Front National de Marine Le Pen présageait un repli sur soi. Or, tant en France qu’en Autriche et aux Pays-Bas, les dernières élections se sont conclues par des défaites écrasantes pour les partis populistes de droite. Du côté de l’Asie, de nombreux pays envisagent de maintenir le Partenariat transpacifique malgré le retrait des États-Unis. La Chine abonde dans le même sens, celui de la mondialisation, parce que son économie en dépend.

Et pour le Canada, les perspectives économiques sont de plus en plus belles. Il ne faut pas oublier que le Canada est un pays commerçant, d’où l’importance des accords comme l’AECG. Vu le lourd endettement des Canadiens, il est peu probable que l’élan nécessaire pour relancer l’économie vienne de la consommation intérieure. La solution? Créer une synergie entre l’exportation et l’investissement pour prendre le relais. Il faut continuer de diversifier nos marchés d’exportation. Il y a quelques années, près de 84 % de nos biens et services étaient vendus aux Américains. Aujourd’hui, ce chiffre est de 72 % – c’est encore très élevé, mais c’est un pas dans la bonne direction. Par ailleurs, de plus en plus de Canadiens reconnaissent l’importance du commerce dans notre croissance économique. Il faut donc se concentrer sur la diversification géographique et sectorielle, et donc sur l’innovation et la productivité. Autrement dit, il faut mettre l’accent sur les services dans les secteurs importants et à potentiel de croissance élevé pour le Canada.

Quelles sont vos prévisions de croissance économique pour l’Union européenne?

L’économie du Vieux Continent vit actuellement une reprise cyclique. Il est attendu que la croissance économique de la zone euro atteigne ou frôle 2 % en 2017-2018. Ce serait la croissance la plus rapide depuis la crise financière mondiale. Dans la zone euro, les risques politiques s’estompent; l’activité économique réelle et la confiance du secteur privé se portent étonnamment bien, et la croissance semble gagner un pays après l’autre. Bien que la reprise en cours soit essentiellement conjoncturelle, nous sommes témoins d’une demande comprimée et d’un optimisme renouvelé en ce qui concerne la mise en œuvre de réformes, nécessaires pour rehausser la compétitivité et effacer les séquelles de la crise, à savoir le lourd endettement des secteurs public et privé, le taux de chômage élevé et la fragilité du secteur bancaire. Tous ces éléments sont des conditions préalables à la relance du potentiel de croissance de la zone euro à moyen et à long terme.

Il faut aussi préciser que bien des pays d’Europe de l’Est membres de l’UE, comme la Pologne, la République tchèque, la Roumanie et la Hongrie, connaissent une croissance de l’ordre de 3 % à 4 %. Et il est probable que la présence des entreprises canadiennes soit insuffisante sur ces marchés. Certes, les occasions ne sont pas réparties uniformément entre les différents pays de l’UE; néanmoins, même si la croissance y est modeste, il s’agit d’un immense marché, que les exportateurs canadiens parviendront à percer grâce à l’AECG.

Quelles sont vos prévisions de croissance par secteurs?

En Europe, une demande croissante se fait sentir dans tout un éventail de secteurs (aéronautique, ressources, technologie automobile de pointe, agriculture, transformation alimentaire, technologies propres, etc.). Une demande à laquelle les exportateurs canadiens peuvent répondre. L’AECG pourrait donc avoir une incidence sur ces secteurs et tous les services connexes.

Quels débouchés voyez-vous pour les entreprises canadiennes dans l’UE?

Au sein de l’Union européenne, les pays de l’Est présentent plus de défis; il est toujours plus facile de faire des affaires dans une économie occidentale. Cela dit, la Pologne, par exemple, est loin d’être un marché à risques élevés. Et il est fort probable que certains créneaux aient des besoins non comblés. De nombreuses grandes entreprises canadiennes ont une forte présence en Europe. On y trouve le fournisseur mondial du secteur de l’automobile Magna, qui commencera bientôt à produire des véhicules, ainsi que Linamar, qui vient de faire l’acquisition d’un fabricant de pièces automobiles français. Aussi, on investit beaucoup dans les technologies et les services.

Quelles difficultés l’AECG posera-t-il aux entreprises canadiennes? Par exemple, la diversification est une stratégie de moyen à long terme pour les entreprises qui n’ont pas encore de présence dans l’UE. Et l’AECG n’aidera pas les exportateurs à surmonter les obstacles liés à la langue, aux différences culturelles et à la conformité.

Tous ces obstacles sont réels, mais je ne pense pas que les barrières linguistiques soient aussi problématiques qu’avant dans l’Europe d’aujourd’hui. Hormis l’AECG et bon nombre de barrières non tarifaires, les questions logistiques qui entraînaient des surcoûts ont été simplifiées, et cela facilite les choses.

Pour ce qui est des difficultés, si une entreprise canadienne s’engage effectivement à percer l’UE, elle devra investir beaucoup de temps et d’énergie dans l’élaboration de sa stratégie. C’est un investissement à long terme. Par ailleurs, si vous soumissionnez à des marchés publics au Canada, vous aurez bientôt des concurrents de l’Allemagne, des Pays-Bas et du Royaume-Uni. Et de plus en plus de biens et services seront importés de l’UE. Si vous êtes un petit fabricant de pièces automobiles, par exemple, vous devrez faire face à une concurrence accrue des fournisseurs européens. Cette bilatéralité est caractéristique de tous les accords de libre-échange.

Il faut aussi tenir compte des effets directs et indirects de la croissance du PIB. Le libre-échange élargit, en effet, la base d’exportation, mais la croissance du PIB qui découle d’une hausse des exportations est souvent compensée, du moins en partie, par une hausse de la demande d’importations. Cela s’explique par le fait que des produits importés sont utilisés dans les procédés de fabrication, dans une proportion qui varie d’une industrie à l’autre. Voilà un bon exemple d’effets indirects. Nous savons que les entreprises qui exportent gagnent en productivité et prennent une envergure plus grande que celles qui n’exportent pas. De plus, les entreprises qui grandissent plus vite créent plus d’emplois et offrent de meilleurs salaires, ce qui favorise la consommation et l’investissement à l’échelle nationale. Si l’entreprise œuvre dans un secteur international en pleine croissance, elle devra renforcer sa capacité concurrentielle afin de percer, croître et réussir à l’étranger. Une croissance plus rapide n’arrive pas du jour au lendemain, mais rehausse l’expérience et la faculté d’adaptation des entreprises. Au bout du compte, ces dernières font de meilleurs commerçants.

Vous avez mené un sondage sur les principales préoccupations des exportateurs. Quelles sont-elles?

Selon l’indice de confiance commerciale, les problèmes liés à la frontière canado-américaine constituent la préoccupation numéro un. Nous avons sondé les entreprises canadiennes au sujet de tous les accords commerciaux internationaux auxquels le Canada est partie, et seulement la moitié environ connaissait l’AECG. Il faut dire, par contre, que ce sondage remonte à 2015 et que, probablement, bien plus d’entreprises le connaissent aujourd’hui. Avec les accords de libre-échange, il faut savoir s’y retrouver et bien comprendre les moyens d’en tirer parti. Par exemple, les formulaires sur les règles d’origine peuvent être complexes. Certaines entreprises canadiennes trouvent la paperasse tellement lourde qu’elles ne profitent pas des avantages qu’offrent les accords et continuent d’exporter selon les règles de la nation la plus favorisée de l’Organisation mondiale du commerce. Et cela nuit sûrement plus aux PME.

Quels sont les avantages de l’AECG pour le Canada?

L’AECG répond bien au besoin du Canada de diversifier ses relations commerciales. Pour nos exportateurs, l’UE est un marché vaste et diversifié qui leur permet d’étendre leur portée ou de percer des marchés à créneaux. L’AECG améliorera l’accès aux marchés, et les PME pourront profiter des occasions dans l’UE sans pour autant y établir une société affiliée. De plus, ses règles transparentes sur la propriété intellectuelle réduisent le risque et facilitent les ventes sur les marchés de l’UE. Enfin, l’AECG allège la paperasse et le fardeau réglementaire et simplifie la logistique. À bien y penser, le marché canadien n’est pas si grand – il ne compte que 36 millions d’âmes. Le marché mondial, lui, est gigantesque.

Quels sont les inconvénients de l’AECG pour le Canada?

Comme tous les autres accords de libre-échange, l’AECG libéralise les échanges bilatéraux entre le Canada et l’UE, ce qui présente, pour nous, à la fois des occasions et des défis. Tout dépend de l’avantage comparatif de chacun dans les différents secteurs.