Ayant grandi dans la vallée de l’Outaouais, Derek Nighbor a pu constater concrètement l’importance du secteur forestier pour les petites collectivités rurales du Canada.
Aujourd’hui président et chef de la direction de l’Association des produits forestiers du Canada (APFC), il visite plusieurs des quelque 200 communautés au pays qui dépendent de l’industrie forestière pour leur survie et qui doivent constamment s’adapter au changement.
Le secteur forestier a subi de profondes transformations. Il n’a plus rien à voir avec l’industrie qu’a connue mon grand-père. C’est maintenant une industrie de pointe qui innove.
« Le secteur forestier a subi de profondes transformations, dit Derek Nighbor. Il n’a plus rien à voir avec l’industrie qu’a connue mon grand-père. C’est maintenant une industrie de pointe qui innove. »
Nighbor et les compagnies membres de l’AFPC cherchent constamment à s’assurer que l’actuelle dispute avec les États-Unis sur le bois d’œuvre résineux ne fait pas ombrage au message voulant que l’innovation transforme l’industrie.
S’il s’agit du cinquième conflit en 35 ans entre les deux pays au sujet des tarifs sur le bois d’œuvre, c’est la première fois que l’entente arrive à échéance en même temps qu’une possible renégociation de l’ALENA.
Le gouvernement du Canada a fait l’annonce d’un plan de 867 millions de dollars visant à soutenir les travailleurs du secteur forestier et les collectivités touchées, le Plan d’action sur le bois d’œuvre. Ce plan vise à :
- accroître les services offerts aux travailleurs touchés afin de les aider à acquérir de nouvelles compétences et à se tourner vers de nouveaux débouchés
- offrir des solutions de financement commercial et de gestion des risques aux entreprises forestières viables
- appuyer les efforts d’expansion sur les marchés étrangers et promouvoir la diversification des produits du bois au Canada, et
- promouvoir l’innovation dans le secteur.
Selon le site Web de Ressources naturelles Canada : « Le gouvernement du Canada défendra vigoureusement les intérêts de l’industrie canadienne du bois d’œuvre résineux, y compris en recourant aux tribunaux de l’Organisation mondiale du commerce et de l’Accord de libre-échange nord-américain. Nous avons eu gain de cause dans le passé et il en sera de nouveau ainsi ».
« Le conflit sur le bois d’œuvre résineux peut bien sûr avoir un impact significatif pour l’industrie, mais cela ne doit pas nous surprendre : c’est un conflit qui dure depuis 35 ans, explique Derek Nighbor. Nous avons gagné chaque fois et nous croyons que notre position est encore plus solide cette fois. Mais nous devons être vigilants et le gouvernement et l’industrie ne doivent pas laisser le conflit porter ombrage aux progrès réalisés par l’industrie grâce à l’innovation. »
Mais nous devons être vigilants et le gouvernement et l’industrie ne doivent pas laisser le conflit porter ombrage aux progrès réalisés par l’industrie grâce à l’innovation.
De la nécessité naît l’innovation, en foresterie comme ailleurs. L’ère électronique a entraîné des changements structurels dans l’industrie alors que la demande mondiale de papier journal et d’autres types de papier a considérablement diminué. Si l’on ajoute la volatilité du dollar canadien et une concurrence mondiale de plus en plus forte, on s’approche d’une situation qui rappelle le déclin d’une industrie à l’aube de la Grande récession.
Cela dit, l’effondrement du marché de l’habitation aux États-Unis, principal débouché du bois d’œuvre canadien, effondrement qui a ultimement entraîné la récession, a eu un impact majeur dans l’industrie des produits forestiers, notamment sur le PIB, l’emploi et les investissements en capitaux, qui ont tous trois connu un déclin de plus de 10 % dans les 18 mois qu’a duré la crise.
Si le secteur n’a pas retrouvé les niveaux d’activité d’avant la récession, il est passé d’un état de survie à un état de croissance grâce à l’innovation et à de nouvelles façons d’utiliser les différentes parties de l’arbre.
« Aujourd’hui, le secteur des produits forestiers cherche à mettre en valeur toutes les parties de l’arbre, ce qui permet de réduire les pertes, explique Derek Nighbor. L’innovation permet de transformer les pertes en revenus. »
On peut prendre comme exemple la bioéconomie qui, selon l’Organisation de Coopération et de Développement économique (OCDE), devrait représenter un marché se situant entre 2,6 à 5,8 mille milliards USD en 2030. L’industrie canadienne des produits forestiers est en bonne position pour exceller dans ce marché nouveau, dynamique et en forte croissance mondiale qu’est l’utilisation de la biomasse dans les secteurs de la combustion, de l’énergie, des plastiques et des produits chimiques à valeur ajoutée. Les avancées technologiques et les partenariats avec les entreprises de biotechnologies créent de nouveaux débouchés rentables qui permettront à l’industrie de profiter de cette bioéconomie émergente et de diversifier ses revenus, créer de nouveaux emplois et favoriser l’indépendance économique.
Les usines de pâte deviennent peu à peu des bioraffineries. On trouve maintenant de la fibre de bois dans des produits électroniques comme des appareils de télévision, dans des automobiles, des produits pharmaceutiques et même de la crème glacée. Les percées technologiques permettent également de construire des charpentes de bois de plus grande taille pour les immeubles.
L’innovation permet de transformer les pertes en revenus.
« Aujourd’hui, on utilise la fibre de bois de manières que l’on ne pouvait pas même imaginer il y a à peine quelques décennies, par exemple pour renforcer les pièces composites des automobiles, alléger le poids des véhicules, réduire les émissions et remplacer les plastiques et les produits chimiques », affirmait le ministre des Ressources naturelles Jim Carr dans une lettre publiée en mai dans le Toronto Star.
Le même mois, s’adressant à un groupe de dirigeants d’entreprises de l’industrie forestière à Ottawa, le ministre Carr a également souligné que tout ce qui peut être fabriqué avec du pétrole peut aussi l’être avec du bois. Cela a amené l’industrie à adopter un nouveau slogan, Pour contrer les changements climatiques, utilisez le bois.
L’innovation ne se manifeste pas uniquement par le développement de produits et la transformation des usines. Elle se manifeste aussi en forêt. L’industrie forestière canadienne est reconnue comme un leader mondial dans la gestion durable de ses ressources forestières.
Cette reconnaissance s’appuie sur des faits :
- Un arbre est planté pour chaque arbre coupé
- Le secteur de la pâte et du papier a réduit ses émissions de gaz à effet de serre d’environ 70 % depuis 1990
- De nombreuses compagnies forestières sont maintenant autosuffisantes en énergie et n’utilisent plus de combustibles fossiles
- Les usines de pâtes canadiennes produisent assez d’énergie verte pour répondre aux besoins de toute la ville de Calgary
Des innovations du genre nous ouvrent certainement des portes sur les marchés mondiaux.
« La tendance actuelle, tant au Canada que dans le reste du monde, est d’utiliser de plus en plus le bois en construction, explique Derek Nighbor. L’évolution des codes du bâtiment et les progrès en ingénierie donnent au Canada l’occasion de s’imposer comme leader et d’innover sur le marché mondial. »
La symbolique feuille d’érable, qui est l’élément central de notre drapeau, exprime à merveille le fait que le Canada est reconnu pour la qualité et l’innovation de son industrie forestière et qu’il est un des principaux fournisseurs de produits forestiers à l’échelle mondiale. En valeur, le Canada est le quatrième exportateur de produits forestiers dans le monde, et le premier pour ce qui est du bois d’œuvre résineux et du papier journal.
En 2016, les exportations canadiennes totalisaient 34,6 milliards de dollars, dont 17,6 milliards de produits forestiers ce qui représente plus de la moitié de tous les produits de la forêt destinés aux marchés internationaux.
Les É.-U. constituent, et de loin, le principal marché pour les produits forestiers, suivis de la Chine et du Japon. Suite à la récession, la part du marché américain a diminué, passant de 81 % à 68 % sur une période de 10 ans, alors que les producteurs canadiens ont doublé leur part de marché en Chine et au Japon durant la même période. Depuis 2002, les exportations de produits forestiers canadiens ont été multipliées par 25 et ont atteint 1,6 milliard de dollars.
La diversification des marchés est essentielle pour assurer la viabilité de l’industrie et le gouvernement fédéral ne ménage pas ses efforts pour aider les compagnies canadiennes à percer sur les marchés asiatiques en organisant des missions commerciales.
Si ces efforts sont essentiels, ils ne représentent qu’une partie de la solution, estime Derek Nighbor, qui rappelle que le marché asiatique profitera principalement aux producteurs de l’ouest du pays.
« Le gouvernement a fait beaucoup pour que le bois canadien perce les marchés mondiaux, dit-il. Mais la réalité, principalement pour les producteurs du centre et de l’est du Canada, c’est que les États-Unis continueront d’être, dans l’avenir prévisible, un très très important marché pour nos exportations. »
L’Inde et le Moyen-Orient constituent d’autres marchés potentiels.
La diversification des marchés exige une approche à multiples volets qui doit miser sur les produits traditionnels certes, mais aussi ouvrir les marchés mondiaux à des produits nouveaux et innovateurs.
« Il nous faut une approche multidimensionnelle, conclut Derek Nighbor. On aura toujours besoin de bois de charpente en construction et nous devons donc assurer la croissance de ce marché, mais nous devons aussi innover avec de nouveaux produits et les promouvoir sur les marchés mondiaux. Le Canada et les compagnies canadiennes ont aujourd’hui une occasion unique d’être des leaders à l’échelle mondiale. »