Ce n’est un secret pour personne, le Canada et les États-Unis sont amis, voisins et partenaires d’affaires. Ils jouissent de la plus grande relation économique bilatérale au monde, et ce, depuis des siècles.
Récemment, l’intégration économique de ces deux pays a été bonifiée et favorisée par l’Accord de libre-échange Canada-États-Unis de 1989, puis par l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) de 1994.
Pourtant, la question du bois d’œuvre s’est avérée être un point épineux constant, une « éternelle pomme de discorde » entre les deux nations selon d’aucuns.
Officiellement, le contentieux débute en 1982, mais certains historiens soulèvent que le bois d’œuvre influence les relations bilatérales dès les années 1820, où le dossier a un effet de catalyseur dans le différend frontalier entre le Maine et le Nouveau-Brunswick.
Si on revient à 2016, on constate que les deux pays sont alors à nouveau plongés dans un conflit, qu’on surnomme « Bois d’œuvre V » : le cinquième conflit commercial officiel sur la façon dont le Canada répond aux besoins des États-Unis en matière de bois d’œuvre.
L’industrie du bois d’œuvre est un secteur important de l’économie canadienne : elle fait vivre des centaines de localités et génère des milliers d’emplois dans l’ensemble du pays. Elle a également des retombées positives pour les industries et services connexes.
Moderne, efficace et écoresponsable, le secteur des produits forestiers a le potentiel d’approvisionner les marchés nationaux et internationaux.
Aux États-Unis, la production intérieure de bois d’œuvre ne suffit pas à la demande. C’est pourquoi le secteur du logement et d’autres industries du pays comptent sur le Canada pour leur fournir des produits de qualité de façon régulière et soutenue.
Le bois d’œuvre canadien – épinette, pin et sapin – est principalement utilisé pour la construction des charpentes et constitue une composante essentielle de l’industrie forestière du pays, qui fait principalement vivre des localités rurales et autochtones. L’industrie génère un PIB de 22 milliards de dollars par année.
La majorité des exportations de bois d’œuvre canadien est destinée aux États-Unis. Selon le gouvernement du Canada, en 2015, les producteurs américains ne pouvaient répondre qu’à 70 % des besoins de leur pays; c’est le Canada qui comble pratiquement tout le manque à gagner.
Source : Ressources naturelles Canada
- Plus de 600 scieries produisent du bois d’œuvre au Canada.
- Le Canada exporte du bois d’œuvre dans plus de 140 pays.
- Il exporte pour 1,6 milliard de dollars de bois d’œuvre en Chine, soit 25 fois plus qu’en 2002. Pendant la même période, ses exportations en Corée du Sud, en Asie du Sud-Est et au Royaume-Uni ont augmenté de plus de 200 %, dépassant les 700 millions de dollars.
Source : Ressources naturelles Canada
- Aux États-Unis, 90 % des maisons sont construites avec du bois d’œuvre. Or, la production intérieure ne répond qu’à 70 % de la demande. Le reste est importé presque entièrement du Canada.
- Les États-Unis sont la première destination des exportations de produits forestiers du Canada, un commerce qui représentait 18 milliards de dollars américains en 2016.
- Selon les calculs de la National Association of Home Builders des États-Unis, une augmentation de 1 000 dollars américains du coût d’une maison neuve empêche plus de 150 000 Américains d’accéder à la propriété.
- Depuis 2005, des entreprises canadiennes ont investi plus de 5 milliards de dollars américains dans le secteur forestier des États-Unis.
- Aux États-Unis, le secteur de la construction résidentielle emploie 3,8 millions d’Américains. L’imposition de droits pourrait y compromettre quelque 8 000 emplois et entraîner des pertes salariales de millions de dollars.
- Le Canada est le principal acheteur des produits forestiers de 27 États américains, ce qui représentait des revenus de 7,2 milliards de dollars américains pour ces États en 2016.
Au fond, le litige repose sur une différence fondamentale entre les deux pays : la propriété des terres forestières. Au Canada, 94 % de ces terres appartiennent à l’État – provincial ou fédéral –, tandis qu’aux États-Unis, elles appartiennent majoritairement à des entreprises privées.
La coalition des scieries américaines allègue que les provinces canadiennes financent leur industrie en exigeant des redevances peu élevées, les « droits de coupe ». C’est pourquoi, selon elles, les entreprises canadiennes sont en mesure de vendre le bois aux États-Unis en deçà du prix du marché.
Même si le Canada affirme que ces allégations sont infondées, les États-Unis ont tout de même l’intention de répliquer en imposant des droits compensateurs (DC) et antidumping.
Sources : Bibliothèque du Parlement du Canada et U.S. Lumber Coalition
Bois d’œuvre I
(1982)
Officiellement, le différend sur le bois d’œuvre débute en 1982 lorsqu’un groupe de producteurs américains revendique l’imposition de droits compensateurs. L’affaire porte principalement sur les politiques de coupe appliquée en Colombie-Britannique, en Alberta, en Ontario et au Québec. L’International Trade Commission (ITC) conclut de prime abord que les importations de bois d’œuvre canadien nuisent à l’industrie américaine. Le département du Commerce des États-Unis refuse toutefois l’imposition de DC pour des raisons de forme, affirmant que les États-Unis ne peuvent pas imposer de droits compensateurs à l’égard des droits de coupe du Canada parce qu’ils ne profitent pas à une industrie en particulier.
Bois d’œuvre II
(1986-1991)
Bien que le Canada n’ait apporté aucun changement à son régime d’exploitation forestière, des groupes de l’industrie américaine font une deuxième réclamation en 1986, ce qui pousse le département du Commerce des États-Unis à modifier ses calculs de manière à tenir compte de la « valeur intrinsèque » du bois d’œuvre dans le coût versé à l’État canadien. Or, dans ce sens la notion de valeur intrinsèque ne s’applique qu’aux biens meubles, et non aux biens publics, une définition sur laquelle s’était appuyée l’ITC en 1982 pour rendre sa décision.
Malgré tout, le département du Commerce conclut que le régime canadien de droit de coupe représente une subvention de 15 %. Les États-Unis s’apprêtant à imposer des droits compensateurs, le Canada signe un protocole d’entente (PE) avec eux, en vertu duquel il accepte de percevoir une taxe de 15 % sur tout le bois d’œuvre canadien exporté aux États-Unis. Tout en maintenant la taxe, le Canada a exercé son droit de mettre fin au protocole à la fin de 1991.
Bois d’œuvre III et Accord sur le bois d’œuvre résineux
(1992-1994 and 1996-2001)
Après la résiliation du PE en 1991, le département du Commerce lance une nouvelle enquête et impose un cautionnement provisoire pour les importations de bois d’œuvre canadien. Un comité, établi au titre de l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT), conclut toutefois que ce cautionnement va à l’encontre des obligations du Canada en vertu du GATT. Le département du Commerce établit alors que la Colombie-Britannique, l’Ontario, l’Alberta et le Québec offrent des subventions donnant matière à compensation sur le bois d’œuvre exporté, et l’ITC conclut qu’il en résulte un préjudice pour l’industrie américaine. Par conséquent, des droits compensateurs de 6,51 % sont imposés sur le bois d’œuvre en provenance de toutes les provinces, sauf des Maritimes.
Le Canada interjette appel de la détermination de l’existence d’une subvention et de la conclusion de préjudice devant les comités constitués en vertu de l’Accord de libre-échange (ALE). Dans les deux cas, les comités lui donnent raison. Il est intéressant de souligner qu’ils concluent que l’utilisation du marché du bois d’œuvre américain comme critère pour déterminer la valeur du bois d’œuvre d’un pays étranger va à l’encontre des lois des États-Unis.
À l’issue de cette décision, les États-Unis demandent l’institution d’un Comité de contestation extraordinaire au titre de l’ALE. Ce comité donne aussi raison au Canada. Il convient toutefois de noter que dans ce contexte, il s’agit souvent de décisions majoritaires où les parties se rangent du côté de leur pays respectif.
Comme les États-Unis tardent à rembourser les droits compensateurs déjà perçus et qu’une quatrième enquête sur l’imposition de DC se profile à l’horizon, le Canada signe, en 1996, l’Accord sur le bois d’œuvre résineux (ABR) d’une durée de cinq ans. Après quoi, les États-Unis remboursent les droits prélevés à l’étape Bois d’œuvre III, et la Coalition for Fair Lumber Imports des États-Unis renonce à contester la constitutionnalité du processus d’arbitrage prévu par l’ALENA. En vertu du nouvel Accord, le Canada impose une taxe fixe sur la production de bois d’œuvre dépassant un volume prescrit. L’industrie forestière de la côte de la Colombie-Britannique souffre particulièrement de cet accord, qui la force à licencier des travailleurs et à fermer des usines. L’ABR prend fin en 2001, mais les deux pays ne parviennent pas à s’entendre sur un nouvel accord avant 2006.
Bois d’œuvre IV et ABR de 2006
(2001-2015)
En 2006, le Canada et les États-Unis s’entendent sur un accord préliminaire, l’Accord sur le bois d’œuvre résineux de 2006. En vertu de ce nouvel Accord, les États-Unis acceptent de rembourser les droits prélevés au cours des quatre dernières années, représentant de 4,2 à 4,5 milliards de dollars, et à ne pas imposer de nouvelles mesures commerciales ou de nouveaux tarifs.
À partir de l’entrée en vigueur de l’ABR de 2006, les États-Unis et le Canada recourent à l’arbitrage à plusieurs reprises pour des questions non résolues du différend et de l’Accord. L’ABR prend fin en 2015.
Bois d’œuvre V
Après la fin de l’ABR de 2006, le Canada et les États-Unis s’engagent à négocier un nouvel accord dans une déclaration commune du premier ministre Justin Trudeau et du président Barack Obama en juin 2016.
En l’absence d’un nouvel accord sur le bois d’œuvre, l’industrie américaine demande au département du Commerce d’enquêter à nouveau sur les subventions et le dumping au Canada. Dans sa décision préliminaire, rendue le 24 avril 2017, le département conclut une fois de plus que les importations de bois d’œuvre canadien sont subventionnées de manière injuste. Il impose donc des droits provisoires allant de 3 à 24 %. L’enquête portait notamment sur les cinq principales entreprises exportant du bois d’œuvre aux États-Unis. Voici les droits imposés à chacune d’elles :
- Canfor : 20,26 %
- Resolute : 12,82 %
- Tolko : 19,50 %
- West Fraser : 24,12 %
- J.D. Irving : 3,02 %
Toutes les autres importations canadiennes seront soumises à des droits de 19,88 %, sauf celles de J.D. Irving. Située dans le Canada atlantique, cette entreprise coupe la majorité de son bois d’œuvre dans des forêts privées, elle n’aura donc qu’à payer des droits de 3,02 %.
Dans sa décision sur l’établissement provisoire de DC, le département du Commerce mentionne également la découverte de circonstances critiques pour toutes les entreprises canadiennes exportatrices de bois d’œuvre, sauf les quatre plus grandes, ce qui justifie l’imposition de droits rétroactifs sur 90 jours.
Le 1er juin, le gouvernement du Canada a annoncé un Plan d’action sur le bois d’œuvre par lequel il investira 867 millions de dollars afin de :
- soutenir les travailleurs de l’industrie du bois d’œuvre résineux,
- offrir des programmes de garantie de prêt,
- atténuer les pertes d’emploi,
- soutenir les collectivités touchées, stabiliser les opérations,
- diversifier les marchés, et
- promouvoir l’innovation.