Dans cette série de trois articles, nous découvrons quelques-uns des défis se posant aux exportateurs de la communauté LGBTQ2+, leurs façons d’atténuer les risques associés aux voyages d’affaires et leurs conseils pour prospérer sur le marché mondial. Cette semaine, nous rencontrons deux personnes qui partagent leur vie… et leur entreprise. Voici ce qui les a menés au succès sur la scène internationale.
Les voyages d’affaires font partie des nombreux avantages d’être exportateur; mais pour la communauté LGBTQ2+, il pourrait y avoir des défis supplémentaires.
Si au Canada on encourage de plus en plus l’authenticité au travail, les relations entre personnes du même sexe sont encore un crime dans quelque 76 pays. Et même là où elles sont légales, une culture d’homophobie persiste.
« Dans un même pays, le niveau de tolérance varie parfois beaucoup d’une région à l’autre », affirme Billy Kolber, le New-Yorkais derrière ManAboutWorld, un guide numérique écrit par des homosexuels à l’intention des voyageurs professionnels des communautés lesbienne, gaie, bisexuelle, transgenre et queer (LGBTQ2+). « Il y a vraiment plusieurs facteurs qui jouent sur le traitement qu’une personne recevra. Que l’on soit blanc, homosexuel, homosexuel de couleur ou non conforme au genre, nous faisons tous face à des défis différents. »
« J’ai visité une centaine de pays et mon homosexualité n’a jamais été un problème, mais ça ne veut pas dire que ce n’est jamais le cas. L’idée n’est pas d’arrêter de voyager, mais de comprendre les risques et, pour l’employeur, de réfléchir au fait qu’il est de sa responsabilité de protéger ses employés LGBTQ2+ », ajoute-t-il.
Les lois et la culture des marchés étrangers peuvent également être des obstacles.
C’est pourquoi il peut ne pas être judicieux ni sécuritaire pour les voyageurs d’affaires de la communauté LGBTQ2+ d’afficher ouvertement leur sexualité ou de trop en dire sur eux, quoique cela puisse être particulièrement difficile lorsqu’on fait affaire sur un marché où l’on s’attend à ce que vous parliez de votre famille et de votre vie personnelle au moment de conclure une vente ou d’établir une relation d’affaires.
« L’idée n’est pas d’arrêter de voyager, mais de comprendre les risques et, pour l’employeur, de réfléchir au fait qu’il est de sa responsabilité de protéger ses employés LGBTQ2+ »
Donner au suivant
Arnon Melo et Peter Hawkins sont partenaires de longue date et propriétaires de MELLOHAWK Logistics, un transitaire prospère de Mississauga, en Ontario. Au travail, ils voient à faciliter l’expédition de biens vers des marchés internationaux, et une fois la journée terminée, c’est ensemble qu’ils retournent à la maison. Mariés depuis 2004, ils forment un couple depuis maintenant 29 ans.
Au moment de leur rencontre, M. Melo, originaire du Brésil, était nouvellement arrivé au Canada et il tentait de trouver dans quelle carrière se lancer. C’est M. Hawkins qui lui a suggéré d’étudier en courtage en douane et en opération de transit, un choix idéal selon lui vu la facilité de M. Melo avec les langues et son désir de voyager – et il avait raison. Pendant ses études au Collège Seneca à Toronto, M. Melo a fait un stage auprès d’un transitaire international allemand. Il y a travaillé pendant près de dix ans et a été promu au poste de directeur du fret aérien, avant de décider de lancer sa propre entreprise. Après quatre mois, il était tellement débordé qu’il a demandé à M. Hawkins de se joindre à lui. Rapidement, MELLOHAWK est passée de la chambre où elle avait fait ses débuts à un bureau, puis à un local encore plus grand.
« Quand nous avons commencé à engager des employés, la majorité était des diplômés du Collège Seneca; nous voulions leur donner une chance, comme on l’avait fait pour moi », explique M. Melo.
Leurs activités à l’étranger leur ont rapidement fait voir les avantages d’avoir des employés d’origines diversifiées. « Nous avons engagé des gens qui rejoignaient les marchés sur lesquels nous étions actifs, dont des Néo-Canadiens provenant de plusieurs pays différents et parlant tous deux ou trois langues, précise M. Hawkins. Les plus expérimentés sont ceux qui ont fait l’expérience du monde. »
Une certification de diversité qui a ses avantages
Selon Arnon Melo, ils se sont retrouvés sans le vouloir avec une « version à petite échelle des Nations Unies » chez MELLOHAWK. « Quand on nous a demandé si nous avions pensé obtenir une certification d’entreprise tournée vers la diversité, nous pensions que c’était pour la diversité de nos employés. Mais c’était plutôt parce que les propriétaires sont tous les deux homosexuels », dit M. Melo en riant. « Dans le processus, nous avons dû fournir des lettres de recommandation prouvant que nous sommes vraiment gais. »
Au Canada, les entreprises LGBTQ2+ sont certifiées par le Canadian Council of Chambers and Business Organizations (CCCBO), un leader pour ce qui est de la diversité des fournisseurs. Fondé en 2003, il est un partenaire de confiance pour créer des liens à plus grande échelle avec le monde des affaires.
Au départ, le couple ne croyait pas avoir besoin de cette certification, l’entreprise étant déjà prospère et bien établie.
« En réalité, la certification nous a donné accès à un nouveau bassin de clients que nous n’aurions jamais espéré rejoindre, explique M. Hawkins. Nous n’étions pas conscients de toutes les entreprises qui ont des chargements à expédier et qui mandatent des entreprises de leur chaîne d’approvisionnement détenant une certification de diversité. De nouvelles occasions de soumissions se sont présentées, car les politiques de certaines entreprises exigent qu’elles obtiennent des soumissions de trois entreprises pour leurs projets, dont une doit avoir sa certification de diversité. »
Pour obtenir cette certification, il faut être une entreprise canadienne à but lucratif détenue, gérée et contrôlée à au moins 51 % par des résidents canadiens s’identifiant à la communauté LGBTQ2+.
Les défis des exportateurs LGBTQ2+
« Je ne crois pas que ma sexualité définisse MELLOHAWK, mais certains clients potentiels veulent en apprendre beaucoup sur nous. Nous avons très certainement perdu des contrats parce que nous sommes homosexuels, affirme M. Melo. Quand je voyage et qu’on me questionne sur ma vie personnelle, je ne sais jamais jusqu’à quel point je devrais parler de moi – je n’ai pas envie d’aborder ce sujet dans un pays étranger avec quelqu’un que je ne connais pas. Parfois, je ne sais pas trop comment gérer le tout, mais je m’améliore. »
Malgré cela, les partenaires se disent prêts à faire des affaires avec tout pays ayant des besoins d’expédition. « C’est intéressant, parce que nous avons fait affaire avec beaucoup de pays qui ont un historique terrible pour ce qui est des droits de la personne, mais quand ils travaillent avec nous et voient que nous sommes une bonne entreprise, ils ont une révélation. Permettre aux gens de voir les choses comme elles sont est l’une des manières d’entraîner le changement », déclare M. Melo.
Il poursuit avec un exemple de ce qu’ils sont prêts à faire pour tisser des liens : « Un client musulman nous a déjà demandé si nous pouvions accueillir son fils de 21 ans, qui avait laissé tomber l’université en Russie. Il a été avec nous pendant cinq mois, puis est retourné étudier en commerce international. Il trouvait génial que son père connaisse deux homosexuels. »
« Nous avons très certainement perdu des contrats parce que nous sommes homosexuels. Quand je voyage et qu’on me questionne sur ma vie personnelle, je ne sais jamais jusqu’à quel point je devrais parler de moi. »
M. Hawkins poursuit : « Nous n’avons pas l’intention de rendre les gens mal à l’aise, mais nous ne voulons pas l’être non plus. Si, en créant des liens, nous pouvons être des ambassadeurs et faire comprendre aux gens que nous nous ressemblons plus que nous sommes différents, nous le ferons avec plaisir. »
Ils recommandent également d’être membre actif de la Chambre de commerce gaie et lesbienne du Canada. « Le réseautage est incroyablement efficace. Nous sommes tellement rapides et efficaces dans l’établissement et le partage de relations; un peu comme un réseau d’espions », affirme M. Melo.
En 2018, MELLOHAWK a été invitée en tant que membre de la Chambre à participer à la première mission commerciale LGBTQ2+ canadienne à Philadelphie avec Affaires mondiales Canada et d’autres entreprises certifiées.
M. Melo ajoute que la marque Canada aide également à la protection des exportateurs LGBTQ2+. « Le Canada est vu comme un pays progressiste qui soutient les droits individuels. Les gens se disent presque : “Oh, ils sont Canadiens; d’accord, alors.” En amenant nos entreprises vers l’étranger, nous contribuons à la marque canadienne du positivisme, de l’inclusion et de la gentillesse. »
Dernièrement, M. Melo a été invité au Brésil pour participer à une table ronde sur l’importance de la diversité et discuter de leur expérience, à M. Hawkin et à lui, en tant qu’entreprise détenant une certification de diversité. « J’étais inquiet parce qu’au Brésil, il y a beaucoup de discrimination envers les personnes homosexuelles, et c’était la première fois qu’on annonçait publiquement notre certification de diversité. Mais les commentaires étaient extraordinaires. Parfois, plus on parle de la diversité et plus on la voit, plus ça permet aux gens de la comprendre. »
M. Melo conclut en disant qu’offrir un climat de soutien au travail rend les gens plus productifs. « Je suis heureux que mon entreprise soit un endroit où les gens sont à l’aise avec qui ils sont, qu’ils soient noirs, blancs, métissés, homosexuels ou hétérosexuels. Les membres de notre équipe viennent de partout dans le monde et ont des perspectives différentes, mais ils réussissent à collaborer. Une fois qu’ils savent qu’ils sont acceptés, ils sont heureux de venir travailler et sont bien plus productifs. »
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