Dès leur création en 1957, la fondatrice, Ludmilla Chiriaeff, avait déjà une vision claire ; de créer l’entreprise des Grands ballets en plus d’une école pour assurer un volet de formation. L’intégration de ces deux volets illustre la volonté qu’avait Mme Chiriaeff de non seulement développer un marché pour le ballet, mais d’assurer également une relève pour les danseurs.
Les Grands Ballets Canadiens de Montréal ont su innover au fil des ans, tant dans la création artistique de leurs spectacles que dans leur modèle d’affaires, afin de devenir une entreprise culturelle reconnue internationalement.
Le succès et la renommée des Grands Ballets se sont bâtis très rapidement, notamment grâce à un contrat de diffusion à la télévision publique de Radio-Canada peu après leur création, ainsi qu’une première tournée hors Canada, aux États-Unis, dès 1958. Aujourd’hui, alors que les Grands Ballets célèbrent leurs 60 ans, leur réputation à l’international est bien établie, avec en moyenne deux tournées internationales par année, faisant voyager la compagnie partout à travers le monde.
Les marchés de prédilection sont actuellement l’Europe et l’Amérique du Nord, en plus des marchés émergents en Amérique Centrale et du Sud, de même que dans certains pays du monde arabe. Les Grands Ballets ont notamment été invités à se produire au Caire en 2008, où leur performance leur a ensuite permis d’être invités dans le cadre de la première saison du Royal Opera House Muscat à Oman, en 2012.
Comme le précise M. Dancyger, directeur général des Grands Ballets depuis 1996 : « La culture est l’un des meilleurs outils de développement commercial sur la scène internationale. » Des ententes de réciprocité ont ainsi été signées avec plusieurs pays, dont la Chine plus récemment. Des ententes qui ont été très avantageuses, car les Grands Ballets Canadiens de Montréal font maintenant partie intégrante du développement des relations politiques et commerciales entre le Canada et la Chine.
Dans cette même lignée, l’entreprise a développé un savoir-faire dans l’organisation de grands évènements sur un modèle « clé en main » dans les différents pays où elle se produit, lors desquels elle invite des personnalités politiques et des dirigeants d’entreprise. Ces évènements sont de belles occasions de réseautage, et servent de surcroît à réaffirmer la notoriété des Grands Ballets et de ses partenariats à l’étranger. Une approche holistique, donc, qui touche à différentes sphères, soit culturelle, économique et politique, afin de réaffirmer l’impact laissé par le passage des Grands Ballets dans les différents pays où il se produit et d’augmenter les opportunités d’affaires.
En 1997, les Grands Ballets adoptent un modèle d’affaires très novateur en prenant la décision de devenir diffuseur, en plus d’être producteur. À l’époque, l’entreprise voulait non seulement pouvoir diffuser des spectacles provenant de l’étranger en plus de ses propres spectacles, mais également pouvoir se spécialiser dans le ballet contemporain, tout en continuant à offrir un volet plus classique à sa clientèle en invitant les meilleurs ballets du monde.
Cette approche a été grandement favorable sur le plan marketing, en plus de réaffirmer leur notoriété et leurs partenariats sur les marchés internationaux. D’un point de vue stratégique, cela permettait aussi de consolider leur place sur le marché du ballet à Montréal et les Grands Ballets sont maintenant une référence et une véritable porte d’entrée pour les ballets internationaux qui souhaitent se produire dans la métropole.
Se mettre sur le devant de la scène internationale en exportant des produits culturels
Alain Dancyger, directeur général des Grands Ballets Canadiens de Montréal, nous en dit davantage sur les éléments qui ont permis à l’entreprise de réussir son pari d’exporter le ballet canadien et de faire sa renommée internationale.
Quelle est la différence dans le modèle d’affaires lorsque l’on exporte des produits culturels ?
Il n’y a pas de différence. Les Grands Ballets fonctionnent comme dans tous les autres types de marchés et doivent être en mesure d’offrir un produit répondant à la demande avec une image de marque intéressante pour établir des partenariats avec des diffuseurs à travers le monde. De là l’importance pour l’entreprise de développer un produit de création, c’est-à-dire un produit unique. Cela comporte toutefois un niveau de risque, qui demande que des investissements soient faits sans avoir nécessairement une garantie sur le produit final. Ce mode de production se compare un peu à un département de recherche et développement dans une entreprise standard. Il faut que ce soit un véritable creuset de création.
Toutefois, dans le domaine de la culture, le fait de pouvoir intégrer certains marchés particuliers peut être redevable à des considérations hors de notre contrôle : le contexte politique à un moment donné dans l’histoire, de même que la présence de structures d’accueil stables permettent d’établir des ententes avec des partenaires. Bref, une certaine maturité des marchés est un prérequis.
Par exemple, les Grands Ballets ne se sont jamais produits en Russie, un pays pourtant doté d’une riche tradition de ballet et où nous aimerions présenter un de nos spectacles dans un proche avenir. La culture est toujours liée à des enjeux politiques !
Devez-vous adapter vos produits en fonction des différents marchés que vous ciblez ?
Sur les marchés qui sont considérés comme plus conservateurs en matière de musique classique et de danse, comme le monde arabe et la Chine par exemple, les produits de création classiques sont effectivement plus appropriés. De là l’importance d’adopter une approche de marketing mixte afin de s’adapter aux différents marchés.
Avoir une compagnie qui est internationale en matière de diversité du personnel et des modes de pensée qu’on y retrouve est également très utile à ce niveau.
Quelle est la plus grande qualité que doit détenir une entreprise d’exportation ?
La résilience est la plus grande qualité des entreprises culturelles. La capacité à pouvoir travailler avec peu de ressources, dans un environnement très complexe, à la fois pour créer un nouveau produit culturel et faire en sorte qu’il soit présenté à travers le monde. On est loin de la chaîne de montage automobile où l’on sait exactement quel sera le produit qui sortira en bout de ligne.
Un produit de création, par définition, doit sans cesse être refait à partir de zéro. Ce qui pousse à inscrire dans le modèle d’affaires la flexibilité et le risque comme des valeurs positives. Ce que l’on cherche à éviter, c’est le statisme. L’évolution est conçue comme étant naturelle et organique à l’entreprise, alors que d’autres grandes organisations ont plutôt tendance à faire le contraire, c’est-à-dire à s’ancrer dans des processus et des modes de pensée rigides.
Que connaissez-vous aujourd’hui de l’exportation que vous auriez aimé savoir à vos débuts ?
Une chose à laquelle je suis plus sensible aujourd’hui et qui a pris davantage de place dans mon travail est l’importance à accorder aux différences culturelles, de bien en comprendre la nature et l’impact sur les façons de faire de notre organisation. Certaines habitudes que nous avons ici ne font pas nécessairement partie des méthodes de travail ailleurs.
Il est également important de bien comprendre son marché et sa valeur ajoutée, de savoir anticiper autant que possible puisque les marchés évoluent de plus en plus vite.
Par ailleurs, un des facteurs clés de succès d’une entreprise sont les partenariats stratégiques. Dans le monde dans lequel on vit, très peu de choses seront accomplies en étant seules. D’où l’importance, lorsqu’on se lance en exportation, de trouver des partenariats stratégiques gagnants avec lesquels on bâtit des relations pérennes.
Quelle est la plus grande différence entre la vente au Canada et ailleurs dans le monde ?
Nous rencontrons parfois plus de difficultés à vendre nos spectacles au Canada qu’à l’étranger, notamment pour une raison de structure, puisqu’il y a très peu de diffuseurs au Canada, ce qui représente une contrainte incontournable. Par ailleurs, nul n’est prophète en son pays et certains diffuseurs voient plus de prestige à présenter des spectacles provenant de l’étranger que ceux en provenance du Canada.