L’incertitude créée par la renégociation de l’ALENA en période de croissance

Après des années de stagnation, l’économie mondiale est enfin en croissance. Il faut bien sûr s’en réjouir. Nous devrions faire tout ce qui est en notre pouvoir pour célébrer et structurer cette période de croissance si longtemps attendue. Mais nous passons plutôt notre temps à débattre de l’avenir de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA).

Les accords de libre-échange ont à maintes reprises démontré qu’ils constituent un levier de croissance dans une économie mondialisée. L’intégration des marchés et l’interconnectivité qu’entraînent les technologies et la mondialisation nous rendent résilients. Mais le fait de ne pas savoir s’il y aura un ALENA 2.0 crée une réelle appréhension. Les discussions sur l’ALENA entraînent une incertitude politique.

Nous le constatons avec le Brexit et les prochaines élections au Mexique.

Elles créent aussi une incertitude sur le plan commercial.
Après avoir réduit leurs investissements pendant des années, les entreprises sont enfin prêtes à ouvrir leurs coffres. Mais les difficiles négociations de l’ALENA les font hésiter. Notre sondage de l’automne auprès des exportateurs a confirmé que nombre d’entreprises retardent leurs projets d’investissement.

Cela dit, à l’échelle mondiale, il y a des signes de croissance :

  • Le taux de personnes sans emploi en Europe de l’Ouest et en Amérique du Nord n’a jamais été aussi bas.
  • Les dépenses de consommateurs sont en croissance.
  • Les dépenses en nouvelles constructions et infrastructures sont à la hausse.
  • Chaque année, des dizaines de millions de personnes rejoignent la classe moyenne dans des pays comme la Chine, l’Inde, le Brésil et d’autres pays auparavant sous-développés.
  • Le commerce est en croissance et le Canada a conclu des accords de libre-échange avec plusieurs nouveaux partenaires qui nous ouvriront leurs frontières, ce qui stimulera la croissance.

Tout marche sur des roulettes et les entreprises devraient donc avoir confiance, mais chez nous, nous sommes hantés par la plus grande menace existentielle qui soit, la renégociation de l’ALENA. Cela nous touche déjà. Non seulement les entreprises retardent-elles leurs investissements en capitaux, nous subissons aussi les conséquences au Canada même de diverses autres façons en raison des négociations de l’ALENA. On estime que la fin de l’ALENA entraînerait une diminution de 1,2 % du PIB; certes, cela ne serait pas particulièrement agréable, mais on s’en remettrait. Mais nous subirions également une importante baisse de 4,5 % des investissements.

Alors que l’on devrait célébrer un regain de l’économie, planifier et stimuler la croissance économique, nous mettons les freins en raison de l’incertitude relative à l’ALENA.

La juxtaposition de ces deux éléments serait tragique. Mais les choses sont sur le point de changer.

Malgré la situation de l’ALENA, l’histoire est de notre côté. Nous sommes au début de la plus importante période de croissance depuis près d’une vingtaine d’années. Grâce à la mondialisation et aux accords multilatéraux de libre-échange, ceux qui étaient exclus de l’économie mondiale commencent maintenant à s’y faire une place. Et avec la demande latente importante qui surgit des pays développés, les marchés émergents peuvent maintenant aspirer à la croissance.

2018 : des perspectives économiques optimistes

Malgré l’incertitude, de nombreux économistes, et j’en suis, sont optimistes pour l’économie mondiale, tant à moyen terme et même au-delà. Pourquoi ? Nous élaborons les perspectives économiques en analysant en profondeur la situation passée comme la situation actuelle. On ne fait pas que des suppositions; nous examinons les indicateurs économiques et nous interrogeons le passé.

Trois indicateurs historiques qui montrent que l’économie est prête pour la croissance, peu importe ce qui arrivera avec l’ALENA

Certaines forces sous-jacentes laissent croire que les diverses économies ne font pas que rebondir, mais qu’elles sont plutôt sur le point de connaître un véritable boum. Des indicateurs clés, examinés dans une perspective historique, suggèrent que nous sommes au début d’une longue période de croissance qui pourrait être de trois ou même quatre ans.

Voici ce que nous enseigne l’histoire…

1. Nous savons que les accords de libre-échange sont bons pour l’économie.

L’intégration des économies était peu courante dans les années 1970 et 1980. Lorsqu’on a commencé à envisager les accords de libre-échange, de nombreuses personnes exprimaient des réserves. Cela entraînerait-il des pertes d’emplois? Qu’arriverait-il aux entreprises locales obligées de se battre contre une concurrence toujours plus forte ?

Mais lorsque le Canada et les États-Unis ont signé un premier accord de libre-échange en 1989, puis avec l’entrée en vigueur de l’ALENA en 1994, ce ne fut pas la fin du monde. En réalité l’intégration a été avantageuse pour tout le monde.

Durant les années qui ont suivi, tous les pays ont vu leur PIB connaître une croissance comme on n’en avait même jamais imaginée, L’intégration a permis de diminuer les taux de chômage à un point tel que nous, les économistes, avons affirmé que cela entraînerait une croissance des salaires dans les deux chiffres. Cela n’est pas arrivé à cause de deux facteurs convergents : la technologie et la mondialisation. Mais peut-être que ce phénomène n’a été que retardé. L’engagement du Canada dans de nouveaux accords de libre-échange constitue certainement un signe positif.

2. La mondialisation et les cycles économiques exagérés

Voilà un élément qui nous a peut-être échappé : depuis l’avènement de la mondialisation, les cycles économiques sont plus longs. Auparavant, on assistait à un cycle de croissance, suivi d’un cycle de récession, tous les huit ou neuf ans. C’était la durée d’un cycle commercial. Mais la mondialisation a fait en sorte que les cycles s’allongent et leur durée a doublé, étant maintenant de 16 ans.

La récession qui nous a frappés en 2008 arrivait au terme d’une période de croissance sans précédent et d’une durée exagérée. Bien des choses peuvent arriver en 16 ans, et cela représente une bonne partie de la carrière d’un travailleur, surtout si toute cette période en a été une de croissance continue.

Certains ont cru que la mondialisation entraînerait une croissance continue. « La croissance est permanente, se sont-ils dit. Peut-être que je n’ai pas à être si prudent. Je peux me le permettre? Alors, j’achète. » Tout le monde s’y est mis et la croissance continuait d’être au rendez-vous. Les banques se sentaient en sécurité en raison de cette croissance qui semblait sans fin. Mais il y a eu une fin. Et, comme on le sait trop bien, elle fut brutale.

Jamais n’avons-nous connu une compression de l’économie mondiale comme celle que nous avons vécue en 2008 et 2009. Au Canada, le commerce a connu une baisse de 25 %.

Cela a incité les gouvernements à mettre en œuvre une série de stimuli comme jamais le monde n’en avait connu. Le mouvement fut significatif, rapide et bien synchronisé. La reprise qui s’en est suivie a fait croire à de nombreuses personnes que l’économie était remise sur pied. Alors, tout le monde s’est dit : « Nous avons réussi. Passons enfin au prochain cycle de croissance. »

Ce qui nous a échappé, c’est que nous nous sommes fiés pendant longtemps à ces stimuli. Et cela a plombé la croissance pendant au moins sept ans. La croissance a été lente, les taux d’intérêt sont demeurés bas et notre paresse a fait en sorte que beaucoup de gens ont été exclus de l’économie. Cela explique aussi l’émergence du populisme dans de nombreuses parties du monde. Sur le plan politique, des pays comme les États-Unis et les pays européens se sont tournés vers le protectionnisme.

Il est difficile de comprendre pourquoi, depuis quelques années, les Américains se sont convaincus que libre-échange est synonyme de pertes d’emploi et que le protectionnisme représente la solution. Après tout, le taux de chômage est en baisse depuis quelques années et est actuellement à un creux historique. Alors pourquoi tant d’Américains sont-ils en colère ? Pourquoi accusent-ils les Mexicains de leur voler leurs emplois ? Pourquoi toute cette acrimonie et cette confusion ?

En réalité, en même temps que le taux de chômage baissait aux États-Unis, le taux de participation au marché du travail déclinait. Cela n’est pas normal. Cela indique qu’au cours de la dernière décennie, de nombreuses personnes se sont senties exclues de l’économie mondiale et que la croissance n’a pas été suffisante pour englober tout le monde.

Mais en même temps que les activistes populistes jouent à fond sur cette tendance, il y a des signes positifs : la participation au marché du travail est actuellement en hausse au moment même où le taux de chômage n’a jamais été aussi bas. Encore une fois, l’histoire est de notre côté.

3. La demande latente est la force vive qui soutient la croissance

La participation au marché du travail a recommencé à augmenter en réponse à un marché du travail qui se resserre. Nous avons eu des indices clairs que les jeunes adultes, qui ont longtemps et massivement été laissés à l’écart de l’économie mondiale en sont maintenant des participants actifs. Et ils y jouent un rôle déterminant.

On parle beaucoup de la gig economy, ou économie de la pige, et des préférences des milléniaux. Ils ne veulent pas acheter une propriété ni s’installer dans un emploi stable comme l’ont fait leurs parents. Mais la situation commence à changer. Selon une étude menée par HSBC, les milléniaux de partout dans le monde affirment maintenant qu’ils ont des aspirations sur le plan économique et souhaitent devenir propriétaires.

Encore une fois, l’histoire se répète. Pour la majeure partie des années 1990, les Canadiens de la Génération X avaient peu de perspectives d’emploi. Ils ont été frappés par d’importantes formes fiscales tant au niveau fédéral qu’au niveau provincial. Ce n’est pas qu’ils ne voulaient pas intégrer le marché du travail, mais plutôt qu’ils avaient perdu espoir, un peu comme ce fut le cas de nombreuses personnes après 2008. Lorsque la récession a pris fin, les perspectives d’emploi se sont améliorées pour la génération X, qui a commencé à acheter des maisons, des voitures et à consommer. Après avoir été tenue à l’écart pendant une longue période, cette génération a pu intégrer l’économie. Le même phénomène se produit actuellement. Aujourd’hui, ce sont les milléniaux qui stimulent la croissance.

De plus, malgré les sommes consenties par les gouvernements pour stimuler l’économie après 2008, la croissance des dépenses en infrastructures et des dépenses de consommation était faible. L’augmentation sensible des dépenses dans ces secteurs que l’on constate aujourd’hui indique clairement que les gens ne veulent plus être en attente; ils souhaitent participer à l’économie. Il y a donc une demande latente qui, ultimement, stimulera fortement l’économie dans les prochaines années.

La technologie, la diversification, la mondialisation, voilà autant de raisons de croire que l’ALENA survivra

Dans un précédent article, j’ai expliqué les sept raisons pour lesquelles l’ALENA ne peut avorter. Celle qui est la plus pertinente ici est que la technologie et la mondialisation auront raison des visées protectionnistes de l’Amérique. Ces deux éléments qui sont à la base de la croissance économique continueront d’exercer une réelle pression vers l’intégration, peu importe le résultat des négociations sur l’ALENA.

La technologie permet la mondialisation. Est-ce que déchirer l’ALENA signifie la fin des technologies ? Bien sûr que non et, franchement, s’isoler n’aura comme conséquence que d’empêcher de profiter des retombées d’un processus qui, de toute façon, surviendra naturellement.

L’échec des négociations de l’ALENA ne nous ralentira pas. Mais nous devrons alors élever notre regard et voir les occasions qui s’offrent à nous ailleurs. À Mexico, j’ai pu constater à quel point les économies mexicaine et canadienne sont intégrées et tout ce que nos deux pays ont pu accomplir ensemble. Et de nombreuses occasions s’offrent au Canada un peu partout dans le monde :

  • L’économie mondiale est en ébullition actuellement et il ne s’agit pas d’une croissance pré-récession, mais d’une croissance qui durera plus longtemps que ce à quoi nous sommes habitués.
  • Les classes moyennes se développent rapidement au Brésil, en Indonésie et en Chine, et dès lors, des millions de personnes stimulent la demande pour des biens de consommation de qualité.
  • Les occasions de diversification sont nombreuses avec l’entrée en vigueur d’accords de libre-échange comme l’AECG, l’accord de partenariat transpacifique global et progressiste (CPTPP) et l’Alliance du Pacifique.

Nous nous inquiétons du résultat des négociations sur l’AL.ENA et des conséquences que cela aura au pays. Mais malgré les inquiétudes des entreprises canadiennes relativement à l’ALENA, je parcours le pays en livrant un message d’optimisme. Je tente de convaincre les Canadiens et les entreprises canadiennes de regarder le monde. Si nous tournons notre attention vers le monde, l’avenir nous sourira, car nous profiterons de nombreuses occasions de croissance qui s’ouvrent à nous partout sur la planète.

Vu le brouhaha entourant un possible retrait des États-Unis de l’ALENA, notre prochain webinaire interactif, L’ALENA et l’indice de confiance commerciale du Canada est un incontournable pour les entreprises comme la vôtre.