J’ai participé la semaine dernière à un webinaire d’EDC qui avait comme objectif d’aider les petites et moyennes entreprises à se protéger contre les coûts de la corruption. Marc Tassé, du Centre canadien d’excellence contre la corruption de l’Université d’Ottawa, Mora Johnson, avocate spécialisée en politiques anticorruption et conformité et Justin Taylor, analyste associé, responsabilité des entreprises à EDC, étaient les autres panélistes invités. Ceux qui n’ont pu y assister en direct peuvent le visionner sur demande pour découvrir comment la corruption peut toucher leur entreprise connaître les lois qui régissent le crime financier au Canada et ailleurs dans le monde.

Les petites entreprises, des cibles idéales

La corruption existe. Malgré les meilleures intentions du monde, les dirigeants d’entreprise ne peuvent surveiller les comportements de tous leurs employés, d’autant plus qu’ils sont souvent représentés par des agents œuvrant à l’autre bout du monde. Mais se retrouver, même involontairement, complice de corruption n’est pas anodin et peut entraîner des conséquences sérieuses sur les plans légal, financier et de la réputation.

Les grandes compagnies ne sont pas les seules à être la cible de tentatives de corruption internationale. Des fonctionnaires peu scrupuleux peuvent exiger des pots-de-vin à des petites entreprises en se disant qu’elles sont vulnérables. Ces craintes peuvent être fondées, car les petites entreprises ne disposent pas nécessairement des ressources suffisantes pour avoir des employés à l’étranger et donc, elles se rabattent souvent sur des agents commerciaux indépendants.

Les lois canadiennes ne font pas de différence entre le comportement illégal d’un employé d’une entreprise et celui d’un tiers qui agit au nom de l’entreprise dans un autre pays. Si l’agent représentant une entreprise paye un pot-de-vin au nom de l’entreprise, les dirigeants de cette dernière en seront tenus responsables même s’ils ignoraient qu’il y ait eu corruption ou tentative de corruption. Légalement, il revient à l’entreprise de prendre les mesures nécessaires pour éviter toute activité de corruption. Ainsi, pour préserver sa réputation et protéger ses résultats financiers, l’entreprise doit absolument se doter de politiques anticorruption. Mais par où commencer ?

Un plan de conformité imparfait est mieux que pas de plan du tout

Au cours des deux dernières décennies, j’ai conseillé des entreprises de toutes tailles et de tous types sur les mesures anticorruption et de conformité. Le plus souvent, les dirigeants des petites compagnies hésitent à mettre en œuvre de telles mesures parce qu’ils craignent que cela n’exige des ressources humaines et financières trop importantes. Mais en réalité, un programme anticorruption efficace n’est pas nécessairement très coûteux.   

Il arrive parfois que les entreprises amorcent le processus, mais qu’elles hésitent à le mener à terme par crainte de mettre en œuvre une politique de conformité imparfaite. Mais cette indécision et ce délai font en sorte que l’entreprise reste vulnérable à la corruption. C’est un peu comme si on laissait la porte de la maison déverrouillée la nuit venue parce qu’on préfère attendre d’installer éventuellement le système de sécurité le plus sophistiqué au monde.

Mon conseil ? N’attendez pas et amorcez le processus! Après avoir établi les grandes lignes du projet et évalué les risques, il faut plonger. Au besoin, vous pourrez plus tard réévaluer le tout et ajuster vos politiques. C’est ce que conseillent d’ailleurs la plupart des organismes chargés de l’application des lois. Mettre en œuvre une solution imparfaite n’est pas un signe de faiblesse, mais confirme plutôt le désir d’aller de l’avant avec la ferme intention de faire évoluer les choses et d’en arriver à une solution efficace et sophistiquée.

Aucune évaluation des risques ni aucune vérification préalable ne peuvent être parfaites. Il est toujours préférable de mettre en œuvre un programme d’une efficacité raisonnable que d’être vulnérable en attendant le plan parfait… qui ne viendra jamais.

6 façons d’aller de l’avant

Les compagnies canadiennes ont accès à de nombreuses ressources pour les aider à mettre en œuvre un programme de conformité. Le Service des délégués commerciaux du Canada, Exportation et développement Canada, les Nations Unies, l’International Chamber of Commerce et TRACE International mettent à la disposition des entreprises du matériel et des outils qui s’avèrent fort utiles. Faites vos recherches, posez des questions, et faites-vous confiance! Commencez par les six mesures suivantes :

1. Élaborez une politique anticorruption

Faites savoir que votre entreprise a une politique de « tolérance zéro » en matière de corruption. Idéalement, cette politique devrait être annoncée par une lettre signée du chef de la direction mettant en évidence qu’il s’agit là d’une priorité absolue de l’entreprise.

2. Formez vos employés

Que ce soit par des activités en ligne ou en personne, amenez vos employés à s’intéresser aux enjeux de conformité. Vous devez établir clairement la différence entre ce qui est autorisé (par exemple un « cadeau » tout à fait légitime) et ce qui ne l’est pas (par exemple un pot-de-vin ou un paiement de facilitation).

3. Identifiez les marchés le plus à risques

En utilisant la matrice TRACE sur l’évaluation des risques de corruption, évaluez les risques de tentatives de corruption dans chaque pays ou marché où votre entreprise est présente ou envisage de l’être, puis adaptez votre stratégie d’exportation en conséquence.

4. Sensibilisez la firme responsable de votre vérification

Demandez aux vérificateurs de votre entreprise d’être attentifs aux signes qui pourraient laisser croire à des tentatives de corruption, de fraude financière ou de pratique comptable douteuse.

5. Vérifier la situation de vos agents commerciaux internationaux

Dressez la liste de tous les agents commerciaux avec lesquels vous travaillez et vérifiez s’ils sont inscrits au registre des intermédiaires de TRACE. S’il n’y figurent pas, invitez-les à amorcer le processus de diligence raisonnable afin de vous assurer qu’ils répondent aux exigences de conformité.

6. Mettez en œuvre un protocole de déclaration

Faites parvenir à tous vos employés un courriel leur expliquant comment ils peuvent faire part de leurs préoccupations en matière de corruption au sein de l’entreprise, et ce, en toute confidentialité et sans crainte de représailles.

Connaissez-vous vraiment vos agents commerciaux ?

Évaluer les agents commerciaux avec lesquels vous travaillez est un élément essentiel de toute politique de conformité. Vous devez vraiment savoir qui ils sont et idéalement, les rencontrer en personne. Visiter leurs bureaux peut vous confirmer qu’ils constituent une entité légitime et en règle. N’hésitez pas à pousser l’investigation plus loin en faisant des recherches publiques, dans les médias et en vérifiant s’ils figurent dans une liste de sanctions. Posez-leur des questions sur leurs activités commerciales. S’ils sont présents dans des marchés reconnus pour être perméables à la corruption, demandez-leur carrément ce qu’il en est. Soyez diplomate dans votre approche, mais rappelez-leur qu’aucun pays n’est à l’abri de la corruption, pas même le Canada. Écoutez attentivement ce qu’ils en disent et assurez-vous qu’ils sont conscients des risques à l’échelle locale et qu’ils sont en mesure de contrer ces risques.

La corruption sous toutes ses formes…

Si la corruption constitue un crime dans tous les pays, on ne la définit pas partout de la même manière. Un jour, alors que je discutais avec un agent commercial des risques de corruption dans son pays, il m’a affirmé qu’il connaissait parfaitement les lois anticorruption en vigueur. Mais du même coup, regrettait-il, il était obligé de payer des pots-de-vin, car c’est ainsi qu’on faisait des affaires dans son pays. Et il m’a assuré qu’il avait trouvé le moyen de ne pas se faire prendre : il camouflait les pots-de-vin en les attribuant à un poste budgétaire tout à fait légitime. De toute évidence, quand je lui parlais de « corruption sous toutes ses formes », il ne comprenait pas vraiment ce que je voulais dire…