Cet article fait partie d’une série d’Exportateurs avertis visant à aider les petites et moyennes entreprises (PME) avec le côté « pratico-pratique » de l’exportation. Pour en savoir plus, lisez nos autres articles en vedette sur l’authentification des documents et les opérations bancaires à l’étranger.
La propriété intellectuelle (PI) est bien souvent ce que les PME ont de plus précieux. C’est pourquoi les entreprises qui songent à exporter ont tout intérêt à élaborer une stratégie de PI mondiale qui s’imbrique dans leur stratégie d’affaires.
Selon Stephen Beney, président de l’Institut de la propriété intellectuelle du Canada (IPIC) et associé du cabinet Bereskin & Parr S.E.N.C.R.L., s.r.l., les PME doivent comprendre que les droits de propriété intellectuelle, comme les brevets et les marques de commerce, ne sont opposables que dans le territoire où ils sont octroyés. Par exemple, un brevet délivré par l’Office de la propriété intellectuelle du Canada (OPIC) n’a aucune valeur hors du Canada.
Comme l’explique M. Beney, l’entreprise qui veut protéger ses droits de propriété intellectuelle à l’étranger doit déposer une demande dans chaque pays. Le brevet lui donnera le droit d’interdire à quiconque de fabriquer, d’utiliser et de commercialiser son invention sur le territoire de délivrance.
« Le brevet peut conférer au titulaire l’exclusivité sur un marché, et donc faire obstacle aux rivaux potentiels. Utilisé comme barrière à l’entrée, il procure un atout de taille en empêchant l’émergence d’une concurrence forte, ce qui permet à son titulaire d’avoir la mainmise sur le territoire. »
« Veillez à ce que vos droits de propriété intellectuelle vous appartiennent. Faites le nécessaire pour les protéger, mais attention de ne pas empiéter sur ceux d’autrui », conseille Mark D. Penner, associé du cabinet Fasken Martineau DuMoulin S.E.N.C.R.L., s.r.l. spécialisé dans la valorisation stratégique des actifs de propriété intellectuelle, au Canada et dans le monde.
Il prévient que l’enregistrement des droits de propriété, quoique judicieux, peut coûter cher.
« Si vous souhaitez conquérir le monde et faire enregistrer vos droits partout, vous devrez débourser beaucoup, beaucoup de sous. Partant de l’idée que le temps et l’argent sont des ressources limitées, il faut se montrer stratégique dans sa sélection. »
Il conseille aux exportatrices en herbe de d’abord définir leur stratégie mondiale, avec une stratégie de PI qui va de pair avec leur plan d’affaires internationales.
« Demandez-vous quelle stratégie de PI serait la plus rentable à long terme. »
Pour la plupart des entreprises canadiennes, le marché numéro un est celui des États-Unis, où le régime de PI est sensiblement le même qu’au Canada.
« Mais à beaucoup d’autres endroits, comme en Europe, en Chine ou au Japon, le système peut être complètement différent. Si vous oubliez de faire certaines choses au départ, revenir en arrière peut vous coûter cher en temps et en argent – possiblement plus que si vous étiez allé chercher un avis professionnel avant d’exporter dans un pays où vos droits ne sont pas enregistrés », prévient M. Penner, coauteur du rapport du sondage de 2016 de Fasken Martineau sur la propriété intellectuelle : Un bilan de santé.
« Les demandes de brevets et d’enregistrement de dessins industriels sont traitées selon le principe du premier déposant; c’est donc une vraie course au bureau des brevets. Dans un tel système, si quelqu’un vous dame le pion, c’en est terminé. Les demandes déposées par quelqu’un d’autre que l’inventeur sont d’ailleurs fréquemment source de litige », indique M. Beney.
Il relate l’exemple d’une entreprise ayant permis à un inventeur de dévoiler son invention lors d’un salon professionnel, sans l’avoir fait breveter au préalable. Au Canada et aux États-Unis, les inventeurs disposent d’un délai de grâce de 12 mois pour faire breveter leur invention après l’avoir révélée au public, mais ce n’est pas le cas partout. C’est pourquoi le dévoilement public a privé l’entreprise citée en exemple de la protection d’un brevet sur plusieurs marchés étrangers stratégiques.
Le principe du premier déposant peut aussi s’appliquer aux marques de commerce.
« S’il s’avère que votre marque a déjà été déposée par quelqu’un d’autre, vous pourriez être dans l’incapacité d’enregistrer votre propre nom commercial. Pire encore : son détenteur pourrait avoir de l’emprise sur votre capacité à fabriquer et à vendre votre produit au pays », explique M. Beney, qualifiant ces pratiques de « dépôt abusif » ou « de mauvaise foi ».
« La procédure pour faire annuler un enregistrement fait de mauvaise foi peut être complexe, longue et coûteuse », ajoute-t-il.
M. Penner rappelle ce simple conseil : « réfléchir d’abord à l’objectif final, car faire enregistrer sa marque en Chine avant d’y développer ses exportations coûte nettement moins cher que de bâtir sa marque pour découvrir plus tard qu’elle a déjà été déposée par un contrefacteur. »
Selon M. Beney, les entreprises oublient souvent à quel point il peut être coûteux de défendre ses droits de propriété intellectuelle sur un marché étranger. Il souligne que les PME exportatrices se doivent de mettre en place une stratégie de PI qui tient compte non seulement de la valeur des droits de PI sur leurs marchés d’exportation, mais aussi de ce qu’il en coûte pour les défendre.
En plus de surveiller leur propre PI, les entreprises doivent être attentives aux conflits potentiels avec des droits déjà enregistrés dans les pays où elles songent à exporter.
Selon M. Beney, la recherche de droits antérieurs devrait toujours être effectuée aux premières étapes de planification.
« Si vous découvrez un conflit avec les droits d’autrui après être débarqué sur un nouveau marché, la totalité du temps, de l’argent et des autres ressources investis dans la conception et la fabrication de vos emballages, supports publicitaires et autres articles promotionnels pourrait être gaspillée », dit-il, mettant en garde qu’une violation des brevets de tiers peut conduire à une injonction d’interdiction de vente sur l’ensemble du territoire.