L’idée persistante d’une récession mondiale semble gagner du terrain. Pour certains, ça suffirait à nous faire basculer dans une récession. Les analystes de salon jettent un coup d’œil à leur calendrier et prennent note du fait qu’une décennie s’est écoulée depuis la dernière récession et s’empressent de conclure que la prochaine serait à nos portes. Bien qu’un facteur important, le passage du temps n’est pas en soi annonciateur d’un repli économique. Alors, doit-on souscrire à l’opinion populaire voulant qu’une récession soit imminente? Et si cette récession frappe, sera-t-elle sévère?

Les statistiques actuelles sont inquiétantes. Depuis des mois déjà, des indicateurs avancés fiables se détériorent. Les responsables des achats dans les entreprises aux quatre coins du globe – qui ont tout à gagner à miser juste sur l’évolution de la conjoncture – s’attendent à un déclin de l’activité économique dans les six prochains mois. Voilà un changement radical : il n’y a pas si longtemps, ces mêmes responsables des achats affichaient un optimisme certain à l’égard de la croissance à court terme. La courbe des rendements constitue un autre indicateur éprouvé. Par le passé, son inversion annonçait immanquablement une récession. Or, cette courbe s’est récemment brièvement inversée et depuis se maintient près de ce niveau. Les indicateurs avancés composés dans de multiples pays s’orientent également à la baisse depuis quelques mois.

 

Que nous disent les données actuelles? La production industrielle a été relancée de belle façon en 2016 et 2017, mais elle tourne désormais au ralenti. Les exportations mondiales ont récemment glissé en territoire récessionniste. Certes, elles ne représentent qu’un pan de l’économie. Que nous révèlent les chiffres généraux? Les chiffres du produit intérieur brut (PIB) annoncés par les grandes économies de la planète soulignent un virage déconcertant. En effet, l’investissement commercial semble en chute libre et les exportations vacillent. Parallèlement, la consommation – à l’origine de 60 % de l’activité dans la plupart des économies – poursuit sur sa lancée. Le contraste actuel, anodin aux yeux d’un dilettante, est aux antipodes de ce qui est attendu. La consommation est d’ordinaire le premier secteur touché par le recul économique, après la construction. Les échanges commerciaux internationaux diminuent et puis, parfois avec un décalage de plusieurs années, l’investissement commercial emboîte le pas. Aujourd’hui, c’est l’inverse qui se produit. Comment l’expliquer? Cette dynamique est sans doute l’un des signes les plus éloquents que le ralentissement mondial est causé par des politiques. L’incertitude générée par l’imposition ou la menace de tarifs douaniers, le torpillage d’accords de libre-échange, la construction de murs, l’imposition de taxes d’ajustement aux frontières et d’autres initiatives du genre ont entravé les flux commerciaux et refroidi l’enthousiasme des investisseurs, autant d’éléments qui ont paralysé la croissance mondiale. 

Cette fois, le temps joue contre nous. Plus les parties tardent à résoudre leurs différends, plus la probabilité d’une récession augmente. L’Allemagne est déjà en territoire récessionniste, le Royaume-Uni flirte avec la récession et le Mexique, l’une des grandes économies émergentes, est sur le point d’y plonger. La probabilité que nous traversions une récession est importante et s’accroît chaque jour où l’impasse persiste. Si nous connaissons une récession, à quoi ressemblera-t-elle?

Les pessimistes prédisent une grave récession en s’appuyant sur le fait que les gouvernements n’ont pas à disposition les mêmes options en matière de politiques qu’en 2008 : ils sont plus endettés et ont donc une marge de manœuvre plus limitée sur le plan budgétaire. De plus, les taux d’intérêt demeurent à niveaux incroyablement bas, une situation qui pèse sur la politique monétaire. Les institutions financières ont bien passé la dernière décennie à renforcer leur réserve de capital, mais la nouvelle réglementation financière n’a jamais été appliquée lors d’une récession. Il reste à déterminer si les acteurs du monde financier poursuivront leurs activités ou se retireront plus rapidement que par le passé. 

Ici, la récession n’est nullement une fatalité

Bien qu’on ne puisse nier cette réalité, nous croyons, comme nous l’avons indiqué dans le Guide des 10 principaux risques mondiaux récemment publié par Exportation et développement Canada (EDC), que cette récession serait légère. En effet, si la récession est effectivement induite par des politiques, une pression immense exercera sur les responsables afin qu’il remédie à la situation. Compte tenu de l’incroyable coût d’une récession, sur les plans politique et économique, les politiciens auraient tout intérêt à rapidement conclure une entente. Ce raisonnement s’applique aussi au différend entre les États-Unis et la Chine et celui entre le Royaume-Uni et l’Union européenne. La résolution de ces désaccords commerciaux inciterait les entreprises à reprendre leurs activités habituelles dans l’espoir d’une stabilisation du contexte des politiques.

Il y a aussi une autre réalité tout aussi percutante : ici, la récession n’est nullement une fatalité. Des contraintes liées à la main-d’œuvre sont observées un peu partout, mais le monde est tout juste arrivé à cette étape du parcours. Il existe toujours des solutions de remplacement novatrices aux problèmes localisés de pénurie de main-d’œuvre. Dans les autres régions, il y a d’importants pans de l’économie qui ne sont jamais remis en raison de la croissance timide pendant bon nombre des années qui ont suivi la grande récession. Ce faisant, les économies remplissant le rôle de locomotives de l’activité mondiale abriteraient une forte demande comprimée, ce qui est l'inverse de ce qui se produit avant une récession. En vérité, il y a encore place pour quelques années de croissance. 

Malgré tout, si une récession frappe, le Canada pâtirait davantage que d’autres nations. Contrairement à la plupart des pays du monde développé, notre économie ne peut miser sur la présence d’une demande comprimée. Au surplus, les ratios d’endettement du consommateur canadien sont plus élevés que ceux affichés par le consommateur américain en 2008. Et à la différence du marché américain, où il y a une vive demande du côté des nouvelles habitations, le secteur canadien de la construction résidentielle devance largement la demande démographique depuis quelques années déjà. Advenant un essoufflement de la demande mondiale, le Canada ne pourrait compter sur le dynamisme de son économie intérieure pour se tirer d’affaire.

La récession peut-elle être évitée? Cela ne fait aucun doute. Les cycles économiques comportent quatre étapes, et la récession est l’une d’elles. La question est de savoir si ce cycle est arrivé. Selon notre scénario de référence, nous prévoyons que le coût d’une récession serait si grand – sur les plans individuel et politique – qu’il inciterait les partis à résoudre les impasses dans les principaux différends commerciaux à la mi-2020, soit juste à temps pour sauver le monde d’une récession… mais juste à temps. Le contexte commercial moins incertain qui suivra devrait insuffler un nouvel élan à la demande jusqu’alors réprimé par les désaccords commerciaux – une demande qui n’avait pas été entièrement comblée pendant la décennie ayant suivi la grande récession. Voilà assurément une partie aux enjeux de taille.