S’il y a longtemps que le Canada fait très bonne figure sur la scène musicale internationale — pensons à Neil Young, Bryan Adams et Michael Bublé —, ce sont en fait quatre Canadiennes qui détiennent les records historiques de ventes de musique canadienne, tant au pays qu’à l’international.

Fait remarquable : ces femmes — Céline Dion, Shania Twain, Alanis Morissette et Sarah McLachlan — ont toutes « connu la gloire en l’espace de cinq ans, soit entre 1993 et 1997 », écrit Andrea Warner dans son livre publié en 2015, We Oughta Know: How Four Women Ruled the ’90s and Changed Canadian Music.

Seules quelques vedettes internationales ont égalé leur volume de ventes, majoritairement des exportations. Au Canada, les albums canadiens les plus vendus sont de ces quatre artistes, tandis que les cinq albums canadiens les plus vendus dans le monde sont Come On Over et The Woman in Me de Shania (plus de 59 millions d’exemplaires en tout), Jagged Little Pill d’Alanis (33 millions), et Falling Into You et Let’s Talk About Love de Céline (plus de 63 millions en tout). Rappelons que ces statistiques, bien qu’hallucinantes, excluent les écoutes numériques en diffusion en continu, dont la part du chiffre d’affaires total augmente chaque année.

« On ne se rend pas souvent compte qu’économiquement parlant, ces quatre femmes ont provoqué ce vif engouement culturel et commercial au Canada », explique Mme Warner en entrevue. « Chacune d’elles a vendu plus d’albums au Canada que les Beatles. Chacune! C’est impressionnant. »

Pourquoi ce phénomène? Pourquoi dans les années 1990? Cela a-t-il modifié le statut du Canada sur les marchés d’exportation?

« Mme après avoir écrit ce livre, je ne peux expliquer pourquoi. Le seul véritable dénominateur commun entre les quatre est qu’elles sont toutes canadiennes. » (Dans son livre, Mme Warner écrit : « Que trouve-t-on au centre d’un diagramme de Venn comprenant la grande dame des ballades, la reine de la country pop, une rockeuse alternative insurgée et une chanteuse folk angélique? »)

Quant à la décennie, Mme Warner explique que le Canada travaillait depuis quelque temps à se tailler une place sur les marchés d’exportation. Chez les femmes, Anne Murray fut la première Canadienne à atteindre le sommet du palmarès américain (avec « Snowbird », en 1970). Dans l’ensemble, le Canada « s’est en quelque sorte épanoui dans les années 1980 », notamment grâce à Rush et à Bryan Adams, qui ont suscité l’intérêt étranger pour les artistes canadiens – surtout les hommes.

« Tout à coup, poursuit-elle, ces quatre artistes féminines ont émergé, prenant d’assaut divers genres. C’était une invasion assez intense. »

L’arrivée de ces futures vedettes dans les années 1990 coïncide avec celle du nouveau système SoundScan, qui permet de calculer plus précisément les ventes par région. Les artistes et les maisons de disque peuvent donc améliorer leur méthode de marketing au Canada et ailleurs, explique le président de Warner Music Canada, Steve Kane, qui a autrefois travaillé sur le succès planétaire « Come on Over » de Shania, chez Polygram.

SoundScan annonçait des changements encore plus importants. Quelques années après, la diffusion en continu offrait aux spécialistes de l’exportation des données complexes sur la répartition géographique des écoutes. Ces statistiques, combinées à l’accès immédiat et à l’apparente intimité entre fans et vedettes sur les médias sociaux, expliquent le succès des grands noms internationaux de la musique d’aujourd’hui… dont beaucoup sont d’ailleurs Canadiens : Drake, Justin Bieber, The Weeknd, Arcade Fire et Alessia Cara.

L’ascension simultanée de Céline Dion, Shania Twain, Alanis Morissette et Sarah McLachlan « a eu des répercussions énormes, explique M. Kane, et on revoit ce phénomène aujourd’hui » avec la dernière fournée de vedettes canadiennes.

« Tous les vingt ans, le Canada se retrouve à l’avant-scène. Cela faisait longtemps que nous n’avions pas été autant sous les feux de la rampe, ajoute-t-il. Mais comment exploiter cela au maximum et éviter que ce soit éphémère? »

Mme Warner, qui écrit actuellement la biographie autorisée de Buffy Sainte-Marie, une autre Canadienne de renommée internationale, affirme n’avoir trouvé qu’un seul point commun, outre leur nationalité, à nos quatre chanteuses des années 1990.

« Leur incroyable détermination. Toutes quatre étaient très motivées et avaient une éthique de travail impressionnante. Elles étaient ambitieuses et prêtes à repousser leurs limites au-delà de l’imagination. »

Voilà qui explique comment elles ont « dominé » les années 1990 et changé la donne pour les artistes canadiens, tant ici qu’à l’étranger.

« Cette curieuse démonstration de force du Canada, cet étalage unique et sans précédent, a marqué le début d’une nouvelle ère musicale », écrit Mme Warner.