Les enjeux sont de taille. Pour certains, ils n’ont jamais été aussi importants. Devant la fermeté de l’administration américaine, les exportateurs canadiens redoutent que s’ils ne relocalisent pas leurs activités aux États-Unis, ils perdent leurs ventes sur ce marché. Ces inquiétudes sont légitimes, et réelles. Elles sont validées par des acheteurs américains ayant adhéré à l’idéologie du slogan « L’Amérique d’abord ». Toute l’année, les exportateurs m’ont demandé ce qu’ils devraient faire à ce sujet. La situation de chaque entreprise est différente, et mes réponses dépendaient justement des particularités de chaque situation. Pourtant, y a-t-il une réponse commune, un ensemble de directives que toute entreprise ressentant des pressions pourrait envisager de suivre?

Avant de répondre à cette question, examinons le contexte : les États-Unis demeurent largement le premier marché du Canada et ils sont de loin la principale destination de l’investissement direct canadien à l’étranger (ou IDE). Si certains voient l’IDE comme une mauvaise chose pour l’économie canadienne et que d’autres estiment que cet argent pourrait être mieux investi au pays, les Services économiques d’EDC considèrent ce type d’investissement comme un élément nécessaire au commerce d’intégration – une expansion commerciale efficiente d’ampleur mondiale des chaînes d’approvisionnement permettant à nos entreprises de gagner en efficience sur la scène internationale. Sans l’IDE, on assisterait tout au moins à une diminution des ventes et, dans le pire des cas, à leur disparition.

Cette pratique n’a pas affaibli l’économie locale : en fait, elle a accompagné une diversification spectaculaire des ventes canadiennes partout sur le globe. En misant sur l’IDE, plusieurs industries canadiennes ont atteint un niveau d’activité et de spécialisation qui aurait été très improbable si elles s’étaient confinées à nos frontières. Si les entreprises prospères sont libres de prendre des décisions fructueuses au sujet de leurs activités mondiales, elles prendront assurément les bonnes décisions.

Lorsqu’on prend en compte les pressions politiques, la dynamique change considérablement. Dans le cas présent, il ne s’agit plus de faire valoir le mérite des investissements étrangers, mais de forcer des activités en brandissant la menace de mettre fin à la relation d’affaires – peu importe les conséquences financières. De prime abord, les entreprises ne semblent pas avoir d’autre choix. Aucune ne veut renoncer à des contrats durement acquis, et la solution à court terme semble la capitulation. Voilà la réaction de nombre de personnes avec qui je me suis entretenu depuis le début de l’année, et certaines d’entre elles m’ont dit que leurs acheteurs américains animés par un « sentiment patriotique » sont prêts à en payer le prix. Ces réactions sont-elles logiques ou bien pouvons-nous voir tout cela sous une perspective différente?

Les entreprises songeant à se relocaliser pour des motifs politiques doivent en déterminer les avantages et les inconvénients. Le premier élément à considérer est le resserrement de la capacité sur le marché américain. Dans certaines industries, comme l’automobile, les produits du bois, l’ameublement, la production de papiers et certains segments du secteur de la transformation alimentaire, les niveaux d’utilisation de la capacité dépassent ceux atteints lors de l’épisode de croissance débridée ayant précédé la grande récession. Ainsi, en s’implantant aux États-Unis, une proposition déjà coûteuse, l’entreprise serait en concurrence pour accéder à une capacité limitée, et à une capacité limitée pour créer de nouvelles capacités. Si l’entreprise va de l’avant, elle doit se préparer à composer avec ce genre de situation.

Il y a un deuxième facteur : le marché du travail. Même si l’entreprise réussit à se tailler une place sur le marché américain, elle pourrait ne pas parvenir à recruter assez de travailleurs, le taux de chômage aux États-Unis s’établissant à 4,4 % et suivant une trajectoire descendante. Un taux aussi faible est rarissime. Il est vrai qu’un grand nombre de travailleurs déplacés cherchent à réintégrer le marché du travail, mais nombre d’entre eux doivent suivre une formation ou se recycler, ce qui peut se révéler une proposition coûteuse.

Disons que ces deux premiers facteurs sont bien en place. Il y en a tout de même un troisième : les coûts de cette nouvelle opération seront en dollars américains. En clair, effectuer ce processus sur le marché américain se traduira par une augmentation d’environ 30 % sur tout. Si vous vous faites payer en dollars américains, ce sont vos marges qui seront directement touchées. Et si vous vous faites payer en dollars canadiens, le coup sera encore plus dur.

Voici deux autres éléments à prendre en compte : si toutes les entreprises du monde s’empressent à mettre le cap vers le marché américain pour les mêmes raisons d’ordre politique et rivalisent pour accéder à la même capacité limitée, imaginez les tensions supplémentaires sur les coûts – et les hausses des taux d’intérêt en découlant. Finalement, si vos acheteurs sont disposés, par « patriotisme » ou pour d’autres motifs à payer une partie importante des coûts plus élevés – comme tous les autres acteurs de la chaîne d’approvisionnement –, leur viabilité à moyen et à long termes sur un marché mondial concurrentiel serait-elle alors une source d’inquiétude?

Conclusion?

Lorsque votre modèle d’affaires se retrouve dans la ligne de mire d’un chef d’État, cela donne lieu à une situation insolite – surtout quand vos principaux acheteurs sont séduits par cette rhétorique. Malgré tout, votre entreprise doit assurer sa rentabilité. Une action précipitée dans le but de vous protéger pourrait être aussi coûteuse qu’un geste de défense. Comme toujours, il vaut mieux effectuer une vérification diligente et prendre une décision avisée.

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