En observant la course folle de l’Europe pour garantir son accès à diverses sources d’énergie, il est facile d’oublier, il y a tout juste deux ans, que le Conseil européen a rehaussé ses cibles de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES) pour les porter à 55 % d’ici 2030. Alors, le continent européen peut-il concilier ses besoins immédiats en énergie et ses ambitieuses cibles climatiques – qui exigeront de renoncer progressivement aux combustibles fossiles?
Avant la guerre en Ukraine, l’Europe importait chaque jour de la Russie 2,2 millions de barils de pétrole (soit plus du quart de ses importations pétrolières) et 430 millions de mètres cubes de gaz naturel (c’est-à-dire environ 40 % de sa consommation totale). En riposte aux sanctions de l’Europe et à son soutien à l’Ukraine, la Russie a considérablement réduit la quantité de gaz acheminée par gazoduc à cette région. Par ailleurs, dans le but d’empêcher la Russie de profiter de recettes énergétiques essentielles à ses efforts de guerre, les capitales européennes ont déployé d’immenses efforts pour diversifier leurs importations gazières et interdire l’importation de pétrole brut sous-marin de Russie à la fin de l’an dernier.
La pénurie soudaine d'énergie a déclenché, à l’ensemble du continent, un branle-bas pour trouver d'autres sources d'énergie pouvant répondre aux besoins des consommateurs et des entreprises. Plusieurs centrales au charbon mis hors service en Europe ont récemment été réévaluées et, selon l’Agence internationale de l'énergie (AIE), la consommation de charbon de l'Union européenne (UE) a bondi de 10 % durant la première moitié de 2022. Et l’arrivée de l'hiver annonce probablement une augmentation encore plus marquée au cours des prochains mois.
Les fournisseurs d’énergie européens, en quête de solutions, parcourent la planète pour signer des contrats avec des pays producteurs de gaz naturel liquéfié (GNL). C’est le cas de l’Allemagne qui a récemment signé un accord de 15 ans avec le Qatar pour l’achat chaque année d’environ deux millions de tonnes de gaz naturel. Certains pays européens auraient même accru l’importation de gaz russe sous forme liquide. Rappelons que la production et le transport de cette forme de gaz génèrent dix fois plus d’émissions que le gaz naturel transporté par gazoduc.
Ce contexte soulève d’emblée une interrogation : l’UE est-elle en train de renoncer à son rôle de porte-étendard mondial de la transition vers la carboneutralité? Un autre élément est à considérer : l’UE étant le troisième plus important émetteur de GES, on redoute que son échec à atteindre ses cibles climatiques mine la détermination des pays du globe à opérer le virage énergétique nécessaire pour réaliser les objectifs de l’Accord de Paris.
Les décideurs européens sont résolus à ne pas « gaspiller une bonne crise » et ne reculent pas face à leurs engagements de carboneutralité; au contraire, ils mettent les bouchées doubles, même si cela signifie utiliser davantage de combustibles fossiles dans l’intervalle. La nouvelle cible à l’horizon 2030 est donc encore plus ambitieuse : une réduction des émissions de GES de 57 %. Ce changement semble minimal, mais il a valeur de symbole : il exprime l’intention de l’UE de réaffirmer son engagement à élargir ses objectifs en matière de climat, et ce, malgré les défis à court terme pour sa sécurité énergétique.
Les investissements massifs dans les énergies renouvelables constituent la solution la plus durable pour mettre fin à la dépendance de l’Europe envers les combustibles fossiles russes, tout en soutenant l’atteinte des cibles climatiques du continent. Dans cette optique, la Commission européenne a proposé de réviser à la hausse les cibles de génération d’énergies renouvelables de l’UE pour 2030, en les faisant passer de 32 % en 2018 à 45 % en 2022. Ces cibles aideraient l’Europe à graduellement éliminer les combustibles fossiles et à accélérer la mise en œuvre de sa politique climatique; de plus, ces cibles contribueraient à donner une belle impulsion au secteur des technologies propres de la région et à créer des débouchés pour les entreprises partenaires partageant des vues similaires.
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Les histoires d’acheteurs européens remuant ciel et terre pour se procurer du GNL sur le marché au comptant font souvent les grands titres, mais il est ici important de démêler le vrai du faux. Par exemple, il a fallu aux services publics allemands neuf mois après le début de la guerre pour signer des contrats à long terme représentant seulement 3 % de la consommation totale du pays. Cette situation montre l’hésitation de l’Allemagne à s’engager dans des contrats de GNL de longue durée, le pays tentant de diversifier ses sources d’énergie. Les décideurs européens maintiennent que la hausse progressive de 2022 et de 2023 constitue une étape provisoire et que le continent européen ne se détourne pas de ses priorités en matière de climat.
L’Europe voit le choc énergétique actuel comme un catalyseur pouvant accélérer sa transition énergétique. Pour preuve : en octobre, l’UE a conclu un accord visant à interdire la vente de voitures équipées d’un moteur à combustion d’ici 2035. L’abandon du projet pipelinier Midi-Catalogne (MidCat), qui devait acheminer du gaz naturel à travers les Pyrénées, en faveur du projet de pipeline d’hydrogène H2Med souligne cette détermination.
Conclusion?
La guerre entre la Russie et l’Ukraine perturbe l’approvisionnement énergétique et, par le fait même, met à l’épreuve la volonté de l’Europe d’atteindre ses objectifs en matière de climat. Toutefois, pour avoir l’heure juste sur la politique climatique, il est primordial de repérer les signaux au milieu des turbulences. Malgré les défis à venir, il y a une certitude : l’Europe met le cap sur l’électrification et sur un avenir sobre en carbone. La décision de la Russie de se servir du marché gazier comme d’une arme a renforcé – et non affaibli – la détermination de l’UE sur le front du climat.
Nos sincères remerciements à Sanjam Suri, analyste des risques-pays au Centre d’information économique et politique des Services économiques d’EDC, pour sa contribution à la présente édition.
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