La croissance s’accélère. Après des années décevantes, pendant lesquelles les prévisionnistes ont fait une habitude d’abaisser leurs prévisions, voilà qu’ils font volte-face et relèvent régulièrement à la hausse leurs projections, à commencer par celles dans le monde développé. Après les multiples louanges adressées aux marchés émergents quelques années à peine après la récession, il semble que ces marchés se retrouvent un peu au second plan dans les discussions portant sur l’économie. Est-ce que le monde émergent augmente lui aussi la cadence, et si tel est le cas, quels pays sont en tête?
Pour répondre à cette question, il faut d’abord un peu de contexte. Dans la foulée de la grande récession, les principaux marchés émergents ont joint – et certains même dirigé – le mouvement mondial visant à déployer d’ambitieux programmes de relance publics pour sauver la planète de l’effondrement économique. Par rapport au monde développé, ces marchés avaient sans doute un besoin plus marqué de maintenir la stabilité que dans le monde développé, sans compter que leurs systèmes étaient calibrés dans l’attente d’une croissance très vive. Une interruption soudaine de cette dynamique aurait été trop risquée sur le plan politique et aurait eu un effet trop perturbateur sur la population et l’activité des entreprises destinée à répondre aux besoins de cette population. C’est ce qui explique que, dans bien des cas sur les marchés émergents, les programmes de relance en part du PIB étaient bien supérieurs à celle du monde développé. Les gouvernements qui ne pouvaient ou ne voulaient pas lancer de tels programmes en ont payé le prix, certains en perdant les élections.
Pour les pays qui ont décidé de délier les cordons de leur bourse, les programmes ont fonctionné – peut-être même trop bien. Le grand problème à résoudre est alors devenu quand mettre fin à ces injections de fonds. Certains marchés clés, notamment la Chine, s’affairent toujours à cette tâche. De toute évidence, pour bon nombre d’économies émergentes, la croissance supérieure affichée après la récession était un peu comme un mirage, qui cède maintenant la place à une croissance durable grâce au redémarrage de l’activité mondiale. Mais qui sont les meneurs de cette nouvelle course à la croissance?
Les récents chiffres du PIB semblent mettre l’Inde en tête du peloton. Le succès au chapitre des réformes a ralenti temporairement la croissance en 2017, l’économie absorbant l’impact ponctuel de ces initiatives, mais la plupart des analystes tablent sur une croissance annuelle de plus de 7 %. La croissance de la Chine, qui s’emploie à retirer ses mesures de relance, surpasse également les attentes. La croissance au premier trimestre a agréablement surpris avec un taux annualisé de 6,8 %, ce qui a incité nombre d’analystes à réviser à la hausse les prévisions pour l’année. L’économie du Vietnam reste en effervescence grâce à une croissance se situant dans la fourchette supérieure de 6 %, tout comme les Philippines. Les autres tigres asiatiques se portent bien, même si leur croissance n’est pas aussi éclatante. Les taux de croissance des économies industrialisées d’Asie s’apparentent à ceux des économies les plus développées.
Collectivement, les économies d’Europe orientale semblent avoir connu une excellente année en 2017, après avoir dégagé une croissance léthargique dans les années ayant suivi la récession. La récente remontée est sans doute attribuable à la relance de la croissance en 2017 en Europe occidentale. Comme cette région continuera sur sa lancée en 2018, les économies d’Europe orientale devraient à nouveau profiter de cet essor, mais leur croissance sera loin de celle observée dans les zones de vive croissance en Asie.
Pour sa part, l’Amérique latine est à la traîne probablement à cause des difficultés économiques et politiques du Brésil et de la situation au Venezuela. Malgré tout, certaines régions d’Amérique centrale tirent leur épingle du jeu, et le Pérou maintient une croissance impressionnante, bien au-dessus de la croissance régionale. Pour ce qui est du Moyen-Orient et de l’Afrique, leur croissance est généralement modérée, même si une poignée d’économies sont à l’occasion très dynamiques.
La performance récente des marchés émergents incite à l’optimisme. En effet, l’indice des directeurs des achats à l’ensemble des marchés émergents révèle une amélioration de la perception à l’égard des conditions du marché au cours des six prochains mois. Cet indice accuse un certain retard par rapport à l’évolution positive constatée dans le monde développé, mais il progresse dans la bonne direction.
À Singapour, qui fait figure de baromètre dans la région, la confiance des acheteurs envers l’économie globale est en forte hausse en raison de l’augmentation la plus importante et la plus soutenue des commandes depuis sept ans. On observe également une amélioration notable de la confiance en Chine.
Ces prochains mois, les indicateurs du commerce feront sans doute étant d’une amélioration des statistiques. Ce sont les flux commerciaux, portés par le dynamisme du monde développé, qui stimulent dernièrement l’activité sur les marchés émergents. Les économies agissant comme des locomotives de la croissance remplissent leur rôle, mais deux facteurs pourraient jouer les trouble-fête : tout d’abord, l’incertitude entourant la montée du protectionniste, qui se trouve maintenant renforcée par des politiques défavorables au commerce; ensuite, le resserrement des liquidités, qui commence à affecter la stabilité des marchés financiers dans les économies émergentes plus exposées. Nous surveillerons de très près ces économies pendant les prochaines semaines et les prochains mois.
La croissance des marchés émergents suit la voie de celle du monde développé. À mesure que la relance de la croissance gagne du terrain, il souffle un vent d’optimisme qu’on n’avait pas vu depuis des années. Étant donné qu’il existe une demande comprimée considérable dans les nations de l’OCDE, l’embellie de la croissance sur les marchés émergents devrait sans doute persister pendant un moment.