Les risques pays font un retour très remarqué. Alors même que la monnaie plonge sur plusieurs marchés émergents clés, les investisseurs et les exportateurs tentent de déterminer la prochaine victime potentielle et si les craintes d’une contagion sont justifiées. La Turquie, l’Argentine, l’Afrique du Sud et l’Indonésie sont les exemples les plus manifestes de marchés qui subissent les terribles contrecoups des dépréciations rapides de leur monnaie à mesure que la confiance sur les marchés s’effrite. Que penser de la vague de dégagements (sell-offs) qui déferle sur les marchés émergents? Et quels indicateurs peuvent nous aider à repérer les marchés les plus vulnérables aux variations de l’appétit des investisseurs sur la scène mondiale et aux renversements des capitaux étrangers?

Le maintien prolongé de faibles taux d’intérêt et la mise en œuvre d’une politique d’assouplissement quantitatif par les principales banques centrales ont créé les conditions permettant aux investisseurs d’acheminer des fonds substantiels sur plusieurs marchés émergents. À l’évidence, la conjoncture a changé : la vigueur du dollar américain, des taux d’intérêt élevés et le retrait progressif de la politique d’assouplissement quantitatif font craindre qu’un point d’inflexion ait été atteint et que le mouvement de dégagements sur les marchés émergents se poursuive.

Par ailleurs, il est important de noter que les marchés émergents augmentent leurs niveaux de dette souveraine à un rythme soutenu depuis la crise financière mondiale de 2008, à la faveur de faibles taux d’intérêt et des liquidités excédentaires ayant inondé les marchés émergents. Selon l’Institut de la finance internationale (IFI), la dette des marchés émergents est passée de 21 billions de dollars à l’incroyable chiffre de 63 billions en 2017! Dans le contexte actuel caractérisé par des tensions commerciales entre des acteurs de premier plan et la montée des taux d’intérêt, plusieurs marchés émergents ressentent les effets du fardeau d’une dette qui s’accroît, d’une confiance des marchés qui s’émousse et du risque posé par un renversement des flux des capitaux.

Malgré ce brouhaha, il est capital de faire la part des choses : certains marchés sont vulnérables, tandis que d’autres demeurent résilients. En considérant des ratios clés – que je vais décrire dans un moment – et l’expertise de nos analystes des risques pays, voici quelques indicateurs de vulnérabilité qui ont retenu notre attention.

La croissance réelle du crédit, qui mesure la croissance du crédit bancaire au secteur privé, nous aide à mieux déceler les marchés où la croissance du crédit pourrait trop s’emballer, une situation susceptible d’engendrer des déséquilibres dans le secteur bancaire et de perturber le bilan des entreprises du secteur privé, ce qui soulève le risque d’un renversement des flux de capitaux. De la même manière, les passifs d’investissements de portefeuille nous aident à comprendre les flux de capitaux fébriles dans le système financier.

On trouve une indication des vulnérabilités extérieures d’un marché en examinant son ratio du déficit du compte courant au PIB. En effet, ce ratio peut aggraver la dépréciation de la monnaie et entraîner des problèmes de financement. La couverture des importations est aussi une donnée de première importance puisqu’elle nous renseigne sur le nombre de mois d’importations couverts par les réserves en devises.

Il existe deux autres ratios dont le rôle est essentiel : le premier est la part de la dette extérieure à court terme par rapport aux réserves en devises – ce ratio est important étant donné qu'une croissance excessive du crédit, alimentée par les flux de capitaux fébriles, peut produire des déséquilibres du bilan en ce qui a trait à la part des devises dans la composition de la dette; le second ratio d’intérêt se présente sous la forme des besoins bruts de financement extérieur (en pourcentage du PIB) – ce ratio prend en compte le déficit du compte courant, l’amortissement de la dette extérieure totale à moyen et à long termes ainsi que la dette extérieure totale à court terme.

Alors, en se fondant sur ces ratios et notre expertise dans le domaine, quels sont les cinq marchés à surveiller en priorité?

  1. La Turquie : elle figurait en tête de notre liste bien avant les événements actuels en raison de l’ampleur du déficit de son compte courant ainsi que des emprunts massifs en dollar américain et en euro contractés par des banques et des entreprises turques
  2. L’Argentine : les politiques budgétaires et l’avancement possible des versements du FMI ont stabilisé la monnaie, qui demeure cependant sous tension dans un contexte de forte inflation
  3. L’Afrique du Sud : le pays est confronté à un ratio élevé de la dette à court terme par rapport aux réserves en devises, et il a vu sa monnaie chuter dans la foulée de la dégringolade de la livre turque et de l'aversion croissante du risque à l’endroit des marchés émergents
  4. Le Pakistan : il doit composer avec un ratio élevé de la dette extérieure à court terme par rapport aux réserves en devises, la dépréciation continue de sa monnaie et l’incertitude politique
  5. L’Égypte : le pays est vulnérable, vu son ratio élevé des intérêts aux recettes et sa dépendance au programme du FMI, lequel prendra fin en 2019

Conclusion?

À mesure que les marchés réévaluent les risques posés par l’inflation et les taux d’intérêt, il y a fort à parier qu’on observera un regain de volatilité sur les marchés émergents, compte tenu des vulnérabilités que nous venons de citer. En connaissant mieux les marchés les plus exposés à ces types de risque, il est plus facile de communiquer aux investisseurs et aux exportateurs l’information leur permettant non seulement de faire une analyse éclairée des risques, mais aussi de déterminer les marchés à privilégier et le meilleur moment pour y exercer des activités. Pour en savoir plus et pour être au fait de la conjoncture sur plus d’une centaine de marchés, ne manquez pas de lire notre Analyse trimestrielle des risques pays.

 

Le présent propos est uniquement présenté à titre d’information. Il ne se veut pas une déclaration générale ou détaillée sur un sujet particulier et aucune déclaration ni confirmation, expresse ou implicite, n’est faite à l’égard de son exactitude, de son opportunité ou de son intégralité. Ce propos ne vise pas à fournir de conseils de nature financière, juridique, comptable ou fiscale et ne devrait pas servir à cette fin. EDC et l’auteur se dégagent de toute responsabilité à l’égard des pertes ou des dommages attribuables à l’utilisation des renseignements qui y sont énoncés ou encore à leur inexactitude ou aux erreurs ou aux omissions qu’ils peuvent contenir.