Les indices des marchés boursiers sont en hausse. Les cours des produits de base grimpent, du moins par rapport aux creux de l’an dernier. Même le marché obligataire fait récemment des gains. Ce mouvement suit le virage opéré depuis près d’une décennie vers les instruments financiers – un refuge sûr ou d’autres sources offrant un rendement relativement supérieur. Dans le même temps, les entreprises se sont éloignées des investissements matériels – notamment dans les installations commerciales et l’équipement pour les faire fonctionner – et ces investissements se trouvent à un niveau extrêmement bas depuis très longtemps. De toute évidence, le rendement réel ou perçu de ce type d’investissement n’est pas jugé aussi attractif. Alors, les entreprises recommencent-elles à mettre leurs « œufs » (leurs ressources financières) dans ce panier?

Si c’est le cas, on ne peut assez souligner à quel point cette évolution est capitale. Comment je l’ai indiqué dans un Propos plus tôt cette année, il y a une myriade de raisons sous-tendant la décision des entreprises de réprimer leurs investissements dans les actifs matériels après la récession. La raison la plus déterminante à ce stade-ci est probablement l’inertie. Cet état perdure depuis si longtemps et pour tant de monde qu’elle est devenue normale – en fait, la seule qu’ils aient connue pendant leur vie professionnelle. Pour ceux qui ont une longue feuille de route, cette situation n’a rien d’ordinaire, mais elle dure depuis si longtemps qu’ils concluent qu’il s’agit là de la nouvelle normalité. Si ces deux groupes, ainsi que les communautés de spécialistes et de responsables des politiques, s’entendent là-dessus, alors le comportement des entreprises risque de moduler les activités et de faire en sorte que le paradigme s’accomplit de lui-même.

Ce pourrait bien être le cas, mais il subsiste un problème de taille pour les entreprises : la capacité. L’accélération de la croissance économique exerce dans plusieurs pays des pressions accrues sur les capacités excédentaires dans des secteurs clés, ce qui entrave la capacité de nombre d’entreprises à exécuter à court terme des commandes en augmentation. La situation n’est pas hors de contrôle, loin de là, mais cela pourrait changer. Les acheteurs – source des intrants de la production – disent tous que le monde connaîtra au cours des six prochains mois une intensification de l’activité manufacturière, une proposition qui fait des adeptes seulement ces dernières semaines. Or, ce genre de situation incite habituellement les décideurs à accroître leurs capacités. Entendent-ils le message?

Il semble que oui. Aux États-Unis, au deuxième trimestre, la croissance des investissements dans les structures non résidentielles, exprimée en glissement annuel, a bondi de 7,7 %, en termes rajustés en fonction de l’inflation. L’investissement dans l’équipement a réalisé des gains plus modestes de 3 %. Toutefois, en faisant abstraction du repli des dépenses dans l’équipement de transport, les dépenses dans les équipements de traitement de l’information ont augmenté de 7,4 % et celles dans l’équipement industriel de 6,7 %. Ces taux ne sont pas historiques, mais ils sont bien supérieurs à la croissance globale du PIB, et comptent parmi les taux les plus élevés du long intervalle ayant suivi l’injection massive de fonds de relance publics après la récession.

Cette évolution se limite-t-elle au marché américain? Loin de là. Les mêmes tendances se dessinent dans certains grands pays européens. En Allemagne, l’investissement dans l’équipement présente une forte croissance tendancielle et avoisine des pics inédits. Par rapport aux niveaux de l’an dernier, le bond est encore plus marqué (+4,8 %) dans la construction non résidentielle. En France, l’investissement total des sociétés financières et non financières suit une remarquable progression et a atteint de nouveaux sommets. Par contre, au Royaume-Uni, l’investissement semble être à l’arrêt, sans doute perturbé par le dossier du Brexit.

La tendance générale cadre avec le séquençage actuel de la croissance mondiale. D’autres pays sont encore en mode rattrapage. En l’absence d’un resserrement de la capacité, le mouvement touchant l’investissement au Japon est plus tempéré. Résultat : le pays du Soleil-Levant pourrait prendre plus de temps avant d’emboîter le pas. En Chine, on note depuis 2011 un ralentissement de la croissance de l’investissement dans le secteur manufacturier, mais celle-ci est repartie à la hausse depuis la mi-2016. On est loin des taux dans les deux chiffres, l’excédent de capacités étant encore problématique, mais la croissance mondiale contribuera à bonifier la demande à court terme.

Au Canada, les chiffres de l’investissement ont souffert du plongeon des cours des produits de base qui est survenu au milieu de 2014. Plus récemment, la montée des dépenses dans la machinerie et l’équipement nous donne l’espoir que cet épisode est chose du passé. Compte tenu des nouvelles contraintes de capacité, tout porte à croire que nous assisterons bientôt à de nouveaux investissements dans certains secteurs clés.

Conclusion?

Nous avons observé des épisodes naissants et des relances de faible ampleur de l’investissement des entreprises dans les usines et l’équipement. Ces épisodes ont cependant été passagers. Cette fois-ci, il semble que les décideurs mettent des œufs dans ce panier avec plus d’aisance. Si les tendances économiques actuelles se maintiennent, ils ajouteront bientôt d’autres œufs à ce panier.