Les exportateurs qui pâtissaient en écoutant un long discours sur l’état du commerce international sont soudainement sortis de leur léthargie à la mention du mot « logique ». Cela n’a pas manqué de faire sourire étant donné que cette logique semble absente. Pour preuve : l’intégration économique a été entravée par les discours isolationnistes; les négociations commerciales ont été perturbées par le nationalisme; et la volte-face à l’égard du commerce s’est exprimée par des messages incendiaires sur Twitter, des boutades et des propos provocateurs lors de débats politiques, et les réactions subséquentes sur les réseaux sociaux. Pour les gens d’affaires qui traversent la frontière, la situation est inquiétante et chaotique – et semble bien peu avoir avec la logique. 

Pourtant, cette absence de logique dans les conversations générales au sujet du commerce international n’est pas un fait nouveau. On la trouve dans pratiquement toutes les discussions et toutes les négociations en lien avec des accords de libre-échange : dans les propos des analystes de salon, des représentants des médias ou encore des personnes évoluant dans les sphères du pouvoir. Ce manque de cohérence atteint un sommet en temps de crise, soit quand les options en matière de politiques semblent très limitées. Et dans un contexte marqué par l’inquiétante vague du populisme, qui déferle depuis 10 ans, les politiciens y vont de déclarations fracassantes qui défient le bon sens commun. Loin d’être marginaux, ces mouvements commencent à être majoritaires. Comment expliquer la popularité de ce mouvement de « contestation »?

Selon toute vraisemblance, le système actuel met sur la touche des dizaines de millions de personnes sur les marchés développés et en développement. La croissance enregistrée après la récession a été insuffisante pour intégrer de vastes pans de la main-d’œuvre, du moins jusqu’à tout récemment. Désabusés, ces travailleurs laissés-pour-compte – ainsi que ceux qui les aiment et en prennent soin – ont de grandes interrogations au sujet de l’ordre économique et politique établi. À la limite, on pourrait dire qu’ils se méfient des partis politiques, des politiciens, des grandes sociétés, des fortunes formant le 1 %, et des institutions économiques et sociales de l’après-guerre, entre autres. Bien entendu, leur cible avouée est « l’ennemi à l’extérieur » : un pays que l’on accuse de voler nos emplois et nos technologies, pour ensuite nous les revendre à prix d’or.

Ces déclarations contiennent certainement un brin de vérité, mais elles donnent l’impression que le système est en si mauvais état qu’il faut le démanteler, et que nous devons retourner à des systèmes plus fermés qui nous rend moins vulnérables à des forces extérieures que nous ne contrôlons pas. Ces perceptions sont aujourd’hui utilisées pour déterminer les politiques à adopter. La hausse des droits de douane, le renforcement des barrières non tarifaires, l’annulation d’accords de libre-échange et la dissolution des systèmes d’intégration régionale semblent tous être des éléments de la « nouvelle » approche envers le dilemme de la croissance. Le Brexit, le différend tarifaire entre les États-Unis et la Chine, le retrait américain du PTPGP, les remises en question adressées à l’OMC et le mépris croissant envers les accords de libre-échange multilatéraux menacent les fondations actuelles du commerce moderne.

Établir ces fondations a nécessité beaucoup d’efforts. Les accords de libre-échange ont donné lieu à de vifs débats, mais une fois qu’ils ont été entérinés – et que leurs avantages sont devenus manifestes –, ils se sont multipliés. Il était alors facile de convaincre les gens ordinaires des gains tirés des échanges commerciaux, de l’avantage comparatif obtenu, des économies d’échelle et d’autres concepts économiques complexes. On les accepte sans difficulté lorsqu’ils produisent des résultats.

La question à laquelle il faut impérativement répondre est celle-ci : quelle est la stratégie à privilégier? Pour l’essentiel, l’acrimonie est alimentée par une croissance économique insuffisante. Si la stratégie prévoit un redémarrage ou une augmentation de la croissance, les responsables politiques ont intérêt à ne pas se tromper. Mettre à mal le système actuel et le remplacer par une version moins performante auraient des conséquences fatales. En toute logique, c’est ce qui se produirait si le mouvement de la mondialisation était ébranlé. Dans le cas du Brexit, les politiciens britanniques s’accordent sur une seule chose : il faut éviter un Brexit « sans accord ». Il semblerait qu’ils cherchent à enlever les éléments problématiques du présent accord. Il en va de même de l’ALENA : l’Accord Canada-États-Unis-Mexique (ACEUM) qui est un accord moderne. Pour ce qui est de la relation commerciale entre les États-Unis et la Chine, les droits de douane servent à faire valoir ses prérogatives commerciales : encore une fois, les échanges commerciaux s’en trouvent renforcés. 

Si tel est le cas, voilà une conclusion pour le moins radicale. Malgré la rhétorique antimondialisation utilisée pour gagner des votes, il ressort clairement des exemples que je viens de citer que l’objectif ultime des dirigeants est un renforcement de la mondialisation. Est-ce possible? Les autres scénarios ne sont pas réjouissants : un Brexit sans accord pourrait coûter au Royaume-Uni l’équivalent de 8 % de son PIB. L’imposition de tarifs américains à l’encontre de la Chine pourrait provoquer une récession. Enfin, l’annulation de l’ALENA mettrait en péril des millions d’emplois aux États-Unis, mais aussi au Canada et au Mexique. Ce n’est assurément pas le souhait des populistes, qui désirent un système qui fonctionne.

Conclusion?

Il y a une méthode dans la folie. Les décisions politiques actuelles sont motivées par la logique, même si elles sont présentées comme aberrantes. Espérons qu’il y aura un léger décalage entre la logique et la prise de mesures législatives. Dans le cas contraire, le fait d’opérer des changements de politiques aberrants nous réserverait à tous de mauvaises surprises.

 

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