Aujourd’hui, l’intérêt pour la conjoncture en Europe semble éclipsé par les dossiers chauds qui monopolisent l’attention aux États-Unis. Parler de l’Europe dans une simple conversation suffit à évoquer des images de finances publiques désordonnées, de banques en difficulté, d’une arène politique divisée et d’une croissance poussive. Depuis longtemps, les pessimistes considèrent l’Europe comme un frein à la progression de l’économie mondiale – l’économie européenne étant promise dans le meilleur des cas à une croissance terne –, et cette région est généralement emblématique de la performance décevante des pays les plus riches de la planète. Alors, les pessimistes ont-ils raison ou bien la situation a-t-elle changé?

La réponse à cette question revêt beaucoup d’importance. L’apport de l’Europe à l’économie mondiale est substantiel. La croissance potentielle à long terme de l’Europe – qui, d’après les estimations de certains, pourrait glisser jusqu’à 1,1 % – contribue toujours à 22 % du PIB mondial, soit seulement 2 % de moins que l’économie américaine. Si l’élan de l’économie européenne venait à se briser, de vastes pans de l’économie mondiale vacilleraient. Les difficultés de l’Europe à relancer sa croissance ne sont pas passées inaperçues. Les économies asiatiques ont d’ailleurs souvent cité la mollesse de la demande européenne comme l’une de leurs principales préoccupations. La situation est toutefois sur le point de changer. Depuis déjà un moment, l’économie américaine tourne et tire les autres économies du globe. Le moteur numéro deux de l’économie mondiale se réchauffe à son tour, et entraînera bientôt d’autres économies dans son sillage. Qu’est-ce qui nous permet de l’affirmer?

De plus en plus, les principaux indicateurs européens impressionnent les observateurs de l’économie. C’est notamment le cas dans la sphère commerciale. En excluant le secteur de la construction, la production industrielle en août a été portée à son niveau le plus élevé depuis une décennie, et la tendance observée pendant l’année écoulée est plus rapide qu’à n’importe quel moment immédiatement après la récession. La performance est encore meilleure si on considère uniquement le secteur manufacturier. Le niveau d’activité en août a quasiment atteint le pic d’avant la récession, après avoir progressé à une cadence effrénée pendant une année.

Le dynamisme est aussi visible ailleurs. En octobre, les directeurs des achats au sein des entreprises européennes se sont déclarés de plus en plus optimistes au sujet de leurs perspectives actuelles et à court terme. L’indice des directeurs des achats pour le secteur manufacturier publié par Markit a grimpé à 58,6 – bien avant que ne soit atteint le seuil de croissance ou de déclin. L’indicateur correspondant du secteur des services a continué d’avoisiner un sommet cyclique en octobre, ce qui est le signe d’une stabilisation de l’économie. Sans surprise, la confiance des entreprises est solide. L’indice de confiance industrielle publié par la Commission européenne a atteint un nouveau sommet pour la série, ce qui est remarquable si on pense au long parcours de cet indicateur. La hausse du volume de commandes a été particulièrement forte depuis 18 mois.

L’évolution sans doute la plus encourageante est l’augmentation de la confiance dans la construction – une confiance qui d’ordinaire prend plus de temps à s’améliorer étant donné qu’une activité plus intense puise d’abord dans les capacités excédentaires existantes avant d’en mobiliser de nouvelles. Nous disons depuis longtemps qu’il y a une vive demande comprimée dans le segment de la construction de nouvelles installations de production en Europe, mais ce n’est que maintenant que cette demande se traduit par des gestes. En fait, depuis deux ans, on observe une remarquable poussée de la confiance dans le secteur européen de la construction – et cette confiance continue de s’améliorer. Cette amélioration est une réaction aux conditions liées à la capacité, qui se resserre rapidement et qui a atteint un nouveau sommet depuis la fin des programmes de relance.

Voilà donc pour la sphère commerciale. Qu’en est-il du volet plus substantiel de la consommation? L’activité d’embauche a été assez robuste pour ramener le taux de chômage dans la zone euro près des creux cycliques. Il n’y est pas encore, mais sa descente rapide soulève de nouvelles inquiétudes d’une pénurie de main-d’œuvre et d’une montée des salaires – un beau problème à résoudre si on pense aux soucis plus graves avec lesquels l’Europe a dû composer ces derniers temps. Les Européens semblent avoir à nouveau le goût de dépenser. Selon l’estimation rapide la plus récente, la confiance des consommateurs s’est envolée à un sommet depuis la fin de la récession, ce qui est, espérons-le, le signe que le citoyen moyen fait un retour en tant qu’acteur dynamique dans l’économie. Voilà qui est de bon augure pour la croissance à court terme.

Les prévisionnistes sont attentifs à la situation. La croissance européenne dépasse de loin les attentes cette année, et il y a de fortes chances que ce scénario se répète en 2018. Les grandes institutions – notamment le FMI et l’OCDE – révisent leurs prévisions à la hausse, une volte-face rarissime dans l’histoire récente. Compte tenu de la mise en place du nouvel accord commercial entre le Canada et l’Europe (l’AECG), cette évolution ne pourrait survenir à un meilleur moment pour les exportateurs canadiens. Ces circonstances posent des questions essentielles au sujet de la pertinence de la politique de la BCE – ce qui représente, pour changer, un beau problème à résoudre.

Conclusion?

L’Europe – le moteur numéro deux de l’économie mondiale – tourne enfin, ce qui constitue sans doute l’une des nouvelles les plus encourageantes pour l’économie mondiale depuis très longtemps. Les économies de partout ailleurs dans le monde bénéficieront bientôt des retombées positives de ce regain d’activité.