Il y a un an, la pandémie a infligé à l’économie une terrible « morsure », qui a instantanément paralysé la plupart des secteurs d’activité. D’ordinaire, les marchés de l’emploi réagissent à des chocs de ce genre avec un certain décalage, étant donné que le « venin » prend plus de temps à toucher ce pan de l’économie. Pas cette fois. Le marché de l’emploi a ralenti la cadence au même rythme que l’élan économique, et il est resté engourdi beaucoup plus longtemps. Février à apporter de bonnes nouvelles en effaçant deux mois de repli du côté de la main-d’œuvre grâce à un bond de 259 000 emplois. Cette embellie est-elle une anomalie passagère ou annonce-t-elle une reprise plus convaincante?
Avant la pandémie, des secteurs déploraient la pénurie de main-d’œuvre au Canada – et pas seulement de la main-d’œuvre qualifiée, mais aussi de la main-d’œuvre en général. Le chômage était faible à 5,6 % en janvier 2020. Ce taux n’avait pas été observé depuis le début des années 1970, si on fait abstraction d’un bref recul du même genre en 2008.
D’habitude, dans un marché de l’emploi serré, les entreprises ne sont pas enclines à licencier. Après tout, elles ont déployé beaucoup d’efforts pour recruter leurs employés, et il subsiste le risque qu’ils se retrouvent chez un concurrent. Pas cette fois. La pandémie n’a pas donné beaucoup de choix aux entreprises qui ont dû se départir d’une partie de leur effectif.
Naturellement, les personnes occupant un emploi à temps partiel ont le plus souffert, en termes relatifs. Les rangs ont diminué de près de 30 % chez les travailleurs à temps partiel et de 12 % chez les travailleurs à temps plein. Cependant, en termes de pertes absolues, au plus fort de la crise, la chute avait atteint 1,9 million du côté des travailleurs à temps plein et 1 million chez les travailleurs à temps partiel.
Le nombre total d’heures travaillées brosse un tableau plus morose. Au pire de la crise, le nombre d’heures travaillées dans l’économie avait diminué de 28 %. Par chance, le nombre total d’heures travaillées a fait un remarquable retour en force : il est actuellement à 97 % par rapport aux niveaux d’avant la pandémie.
Ce n’est pas le cas pour tous les secteurs. Si pour les secteurs de la fabrication, la construction, la finance, le commerce de gros et le commerce de détail, le nombre d’heures travaillées s’approche ou dépasse cette moyenne, les secteurs les plus éprouvés par la pandémie sont bien en deçà de ce niveau. Ainsi, le manque à gagner est de 28 % pour les secteurs de l’hôtellerie et de la restauration, et de 12 % pour les industries de l’information et culturelle. Malgré la reprise des expéditions de marchandises, le secteur des transports se trouve à 11 % du précédent pic.
Les répercussions sur le marché de l’emploi sont encore plus dévastatrices. Le nombre de travailleurs au chômage sur une courte durée a grimpé, mais il est rapidement redescendu à des niveaux plus acceptables. La situation s’est toutefois plus fortement dégradée pour les personnes en chômage depuis plus longtemps – 27 semaines et davantage –, et la proportion de ces chômeurs a atteint un niveau pas observé depuis environ 25 ans avec, pour l’heure, aucune perspective d’amélioration en vue.
Sans surprise, les jeunes travailleurs sont les plus affectés. Ils subissent généralement un chômage plus élevé, et la crise n’a fait qu’empirer les choses. Chez le groupe des 15 à 24 ans, le taux de chômage a culminé à 31,4 %; il a donc plus que doublé, ce qui s’apparente à des niveaux observés durant une récession.
Les chiffres du marché de l’emploi pour février témoignent de façon convaincante de la capacité de l’économie à rebondir. Pour ce qui est du nombre d’heures travaillées, le secteur des services s’est hissé en tête : c’est là un changement majeur et résolument positif. Même les secteurs hôtelier et de la restauration ont affiché une nette amélioration de leurs résultats d’affaires. Les travailleurs à temps partiel comme à temps plein ont grandement contribué aux bons chiffres de l’emploi.
La manière dont s’opérera le retour de la main-d’œuvre influera beaucoup sur le caractère harmonieux de la transition vers la normalité. Sur ce front, plusieurs facteurs doivent être considérés. Le marché de l’emploi pourrait redevenir serré, pratiquement du jour au lendemain. Des secteurs, notamment la fabrication, sont d’ailleurs déjà confrontés à des contraintes liées à la main-d’œuvre. Les offres d’emplois sont bien en hausse, mais dans un contexte de pandémie les travailleurs pourraient se montrer réticents à retourner dans des installations ou des bureaux lorsque le télétravail n’est pas une option. De plus, les frustrations engendrées par la crise actuelle pourraient accroître le roulement du personnel, qui serait alors encouragé par la quête de talents des entreprises. Enfin, si les secteurs malmenés reprennent rapidement de la vigueur, les tensions déjà attendues sur le marché de l’emploi s’en trouveraient exacerbées.
Conclusion?
Un seul mois d’intense activité ne saurait constituer une tendance. Chose certaine, les excellents chiffres de février montrent toute la résilience du marché de l’emploi au Canada. Nombre de secteurs sont à l’évidence toujours en quête de talents, et cette réalité nous permet de croire qu’à la fin de cet épisode difficile, le marché sera robuste et prêt à reprendre du service. Le jour n’est sans doute plus très loin où les entreprises canadiennes devront sérieusement envisager – si ce n’est pas déjà fait – les options de recrutement qui s’offrent à elles.
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