Les dernières années ont changé la façon dont les entreprises et les gouvernements conçoivent le commerce. L'époque du libre marché, marqué par la libéralisation du commerce et incarné par des institutions comme l'Organisation mondiale du commerce (OMC) et le Forum économique mondial (FEM), se fondait sur la libre circulation des biens et des services entre pays. Selon ce principe fondamental, les économies d'échelle tirées des avantages comparatifs allaient préparer la voie non seulement à une période de prospérité pour tous, mais aussi à une plus grande harmonie à l'échelle de la planète.

Puis, d'autres réalités se sont imposées : les confinements de la pandémie; le rebond de l’activité lors de la réouverture des économies qui a mis à l'épreuve la logistique des chaînes d'approvisionnement; et, enfin, l’accroissement des divisions géopolitiques associées à l'émergence d'un nouvel ordre mondial. Nous avons alors pris conscience que les systèmes de production complexes dont nous sommes de plus en plus dépendants pouvaient être perturbés par les guerres, les maladies, des événements météo extrêmes et d'autres urgences. Et comme ce fut le cas pendant d'autres crises à l'échelle mondiale, les pays ont érigé des obstacles au commerce, accordé des subventions et relancé d'anciennes industries sur le marché intérieur (ou en ont créé de nouvelles) : l'épitaphe de la mondialisation était écrite. 

Toutefois, la relocalisation des activités – qui va dans le sens contraire de la mondialisation  –est une solution imparfaite et pas forcément la meilleure qui soit. À ce sujet, une analyse du Fonds monétaire international (FMI) révèle qu’un choc typique secouant la politique commerciale mondiale, comme celui de l’escalade des tensions entre les États-Unis et la Chine en 2018, aurait plusieurs conséquences : chute de 3,5 % de l’investissement après deux ans, baisse de 0,4 % du produit intérieur brut (PIB) et hausse de 1 point de pourcentage du chômage. 

Une fragmentation totale des blocs commerciaux entraînerait des pertes annuelles mondiales équivalant à 1,5 % du PIB et aurait de graves conséquences pour les marchés émergents. La réorientation du mouvement des capitaux qui s’opérerait alors aurait pour effet d’accentuer le stress financier à un moment où le système financier mondial était déjà confronté aux effets du retrait d’une politique monétaire non conventionnelle en place depuis une décennie. 


Alors, la mondialisation se trouve-t-elle à un tournant décisif? Pas d’après les données disponibles. Malgré des variations cycliques inévitables, le commerce mondial en part du PIB est passé de tout juste 25 % en 1970 à 57 % en 2021. Et cette progression est observable dans presque toutes les économies avancées et émergentes. Au Canada, le ratio commerce-croissance du PIB, qui était de 42 % en 1970, a culminé à 83 % en 2000. Depuis, même si plusieurs chocs ont ébranlé la demande mondiale et ramené ce taux dans la fourchette de 60 à 70 %, il est demeuré remarquablement stable en dépit des turbulences de la dernière décennie. Parallèlement, la croissance du commerce des services a plus que doublé par rapport à celle du commerce des biens, et la circulation des données entre pays n'a jamais été aussi élevée. 

Il y a aussi la question de la relocalisation de la production dans des pays alliés (le friend-shoring). Ce terme à la mode renvoie à la notion d’une politisation des liens économiques et de leur segmentation en blocs dont les politiques sont alignées. À ce sujet, le FMI a récemment fait remarquer que les flux d’investissement direct à l’étranger s’organisent de plus en plus en fonction de clivages idéologiques. Par ailleurs, concernant le bilan financier du commerce international, nous notons que l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), chapeautée par les États-Unis, affiche un déficit commercial de plus en plus grand ces dernières années; celui de 2021 atteint 348 milliards de dollars. Or, la présence de lourds déficits dans certains pays suppose, dans d’autres, la présence d’importants excédents. 

Où exactement? La plupart se trouvent dans des pays dirigés (vous l’avez sûrement deviné) par des gouvernements autocratiques. Ce constat met en évidence la réalité suivante : nos économies sous leur forme actuelle sont devenues mutuellement dépendantes. À tel point qu’aucune région ni groupe idéologique ne peut aspirer à une autosuffisance totale. Dans ce contexte, on peut s’attendre à des périodes d’ajustements. Chose certaine, il ne sera pas facile de faire marche arrière et d’aller à contre-courant de cette évolution.

Conclusion?

Depuis les origines du commerce international, soit quand la Route de la soie reliait l’Asie, le Moyen-Orient, l'Afrique et l'Europe, le chemin vers la mondialisation a connu ses hauts et ses bas. Pourtant, au fil du temps, son élan s'est maintenu en raison des retombées économiques qu’il procure. 

Auparavant, la gestion des chaînes d'approvisionnement avait pour unique objectif de réduire les coûts. Aujourd'hui, les entreprises cherchent aussi à concilier d'autres demandes de premier plan : améliorer leur résilience et réduire leurs émissions carbone. En fait, plutôt que de se démondialiser, les entreprises s'emploient à diminuer les risques. Elles sont nombreuses à normaliser leurs produits et leurs installations de fabrication afin que leur production ne soit plus limitée à un pays en particulier. D'autres adoptent de nouvelles pratiques de gestion des risques, et misent de plus en plus sur les « stocks-juste-au-cas-où » et de moins en moins sur la « livraison juste-à-temps »; elles explorent aussi la possibilité d’opter pour des solutions combinant ces deux modèles. En terminant, j’aimerais paraphraser une célèbre citation de Winston Churchill : « La mondialisation est peut-être le pire paradigme économique, mais il est certainement meilleur que tous les autres ».

Nos sincères remerciements à Richard Schuster, économiste principal au Centre d’information économique et politique d’EDC, pour sa contribution à la présente édition. 

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