Si les exportateurs ont bien des raisons de s’inquiéter ces jours-ci, les prix ne figurent pas à la liste. Les prix – ou l’inflation – et le taux de chômage constituent les éléments de « l’indice d’appauvrissement » (le misery index) inventé par l’économiste Arthur Okun. L’évolution récente de l’inflation (c’est-à-dire des dernières années) devrait nous réjouir. Naturellement, on se demande pourquoi les prix sont si modérés et si cette situation persistera.

Le parcours des prix est surprenant. De l’avis de nombreux analystes, l’inflation aurait déjà dû être problématique dans l’économie mondiale. Pourtant, ces attentes ont été à maintes reprises déjouées. La croissance annuelle moyenne des prix à la consommation dans la vaste majorité des économies développées s’est établie à 1,7 % de 2010 à 2016.

Comment expliquer la méprise des experts?

Les pessimistes ont cru avoir gain de cause lorsque les prix ont amorcé une envolée de plusieurs mois en 2016. Toutefois, ce mouvement a aussi pris fin rapidement et, malgré des craintes que la situation n’empire, les prix sont revenus à des taux de croissance se situant largement dans les niveaux cibles des banques centrales.

Les partisans de la morosité ont donné de multiples motifs expliquant l’envolée des prix. Les prophètes de malheur s’attendaient depuis longtemps à ce que le programme d’assouplissement quantitatif (ou AE) – selon eux, une planche à billets tournant sans fin – qui a été mis en œuvre pendant la période post-récessionniste entraînerait forcément une flambée de l’inflation. Après l’avoir maintenu pendant des années, la Fed procède maintenant à son retrait, sans évoquer les flambées des prix qui étaient prédites. Alors qu’en Europe le programme d’AE est progressivement enlevé, les anxieux du continent ont du mal à justifier leurs inquiétudes de la période post-récessionniste. De fait, la tenue des prix à l’ensemble de la zone euro a été remarquable. Même s’il faudra attendre quelques mois pour déclarer une victoire totale, il semble qu’à ce jour le programme d’AE ait permis d’adroitement éviter les impacts les plus redoutés par les experts. 

Les cours des produits de base

Les cours des produits de base ont été une autre bête noire de l’inflation. L’incroyable progression des cours avant la récession a nourri les craintes d’une pénurie généralisée : du pétrole et du gaz naturel en passant par les métaux de base et autres matières premières. Même après la grande récession, ces cours sont à nouveau revenus aux pics d’avant, propulsés par les mêmes craintes d’un resserrement de l’offre. Ce contexte a attiré des investissements – massifs – dans la sphère des produits de base, ce qui a créé un approvisionnement abondant qui durera des années. Les cours de ce groupe ne grimperont donc pas en flèche pendant un très long moment. 

Le Canada pouvait s’attendre à des prix plus élevés en raison des fluctuations du huard. Le repli des cours des produits de base en 2105 a fait chuter notre dollar, ce qui a fait augmenter les prix des importations. On a redouté que cela se propage au reste de l’économie, mais ces craintes ne sont pas concrétisées. Malgré cette conjoncture, la situation est encore au beau fixe.

Croissance de l’inflation en 2018?

D’autres préoccupations relatives à l’inflation sont plus urgentes et imminentes. Depuis des années, les entreprises dans plusieurs pays déplorent une pénurie de travailleurs qualifiés. Cette problématique est en partie attribuable à une population vieillissante, et se trouve désormais aggraver par le resserrement de l’offre de la main-d’œuvre en général. 

Aux États-Unis, le taux de chômage officiel s’élève à 4,1 %, soit un des plus bas qui soit. Au Canada, ce taux évolue de façon similaire et avoisine 5 %. De la même manière, l’Europe occidentale enregistre des creux cycliques. Malgré quelques signes d’une hausse des salaires, beaucoup redoute que l’inflation n’emboîte le pas. 

Dans le même temps, on assiste au resserrement des capacités industrielles. L’embellie récente des commandes a nourri les attentes de plus de croissance, exerçant du coup des tensions sur des capacités déjà limitées. Sur ces deux fronts clés, assistera-t-on à la première envolée des prix depuis plus d’une génération?

C’est possible, mais cela devrait déjà être apparent dans les statistiques actuelles sur la main-d’œuvre et la capacité industrielle. La véritable question à se poser est la suivante : pourquoi les prix sont-ils si modérés? La réponse simple, c’est qu’il y a toujours place à la croissance, en dépit des statistiques. Or, un second examen de ces statistiques révèle que les taux de chômage dans le monde développé sont artificiellement faibles; ces taux ne prennent pas en compte les travailleurs découragés et inactifs, mais toujours disponibles à réintégrer le marché du travail. La situation est semblable du côté de la capacité industrielle : devant la perspective d’une faible croissance, les entreprises ont sous-investi, et par le fait même elles ont augmenté leurs importantes réserves de liquidités. 

Le moment est enfin venu d’à nouveau investir dans les installations de production. Et devinez quoi : les entreprises disposent d’abondantes liquidités pour le faire. Bien entendu, en cours de route, les prix pourraient grimper, mais les contraintes seront gérables et temporaires. 

Conclusion? 

Les banques centrales signalent la présence d’une nouvelle préoccupation exerçant des pressions imminentes sur l’inflation, et de ce fait, elles haussent leurs taux d’intérêt déjà très bas. Cette mesure était attendue, mais les prix nous révèlent que l’économie peut encore faire une large place à la croissance.