Les changements de cap ne sont pas les options préférées des banques centrales – que ce soit au printemps, en été ou à un autre moment. Une fois qu’elles ont décidé de la direction de la politique monétaire, les banques centrales la maintiennent; et si les circonstances exigent un changement, beaucoup d’efforts doivent généralement être déployés pour corriger le tir. Pour les économies de plus faible envergure à la merci des forces extérieures, ce genre de revirement de situation n’est pas facile à éviter. Toutefois, pour les grandes économies davantage intégrées aux marchés, la volte-face est plus difficile à accepter. Alors, dans ce contexte, que doit-on penser de la supposée correction de mi-parcours du Conseil de la Réserve fédérale?

La Fed resserre ses taux d’intérêt depuis la fin 2015. Relever les taux – après ce qui a semblé une période interminable de très faibles taux – n’a pas été une décision aisée. La Fed a commencé à préparer le terrain en mai 2013 lorsque son président de l’époque, Ben Bernanke, a indiqué qu’il envisageait le retrait progressif du programme d’assouplissement quantitatif – un retrait qui s’est effectivement amorcé un an plus tard.

Par la suite, les hausses de taux se sont succédé, mais de façon très graduelle. Après une première hausse de 25 points, la Fed a attendu une année avant de relever à nouveau les taux. Au début de 2017, la Fed a majoré les taux à deux reprises de 25 points de base, puis a fait une pause de cinq mois avant de procéder à cinq hausses d’un quart de point, soit jusqu’en décembre 2018. Pour les marchés, il ne faisait aucun doute que les États-Unis étaient le fer de lance de ce mouvement de normalisation des taux, qualifiés de « taux neutres », et dont le niveau actuel soulève d’intenses débats. Les craintes d’un ralentissement mondial ont mené à des discussions sur la suspension de ces hausses, si bien que le président actuel de la Fed, Jerome H. Powell, parle ouvertement d’une baisse imminente des taux. Voilà assurément une période mouvementée pour la banque centrale.

Les allusions d’un changement de position se sont multipliées en début d’année, le repli mondial de l’activité ayant entraîné des déclarations empreintes de « prudence ». Voilà qui tranchait avec le ton plus ferme du président actuel de la Fed, ce qui a immédiatement capté l’attention des marchés. Depuis, le ton est plus conciliant, et même nettement accommodant, et les plus récentes déclarations font référence à une baisse imminente.

Voici donc le dilemme de la Fed : ses déclarations soulignent constamment la solidité des fondamentaux qui stimulent la croissance et la création d’emplois actuelles dans un marché de l’emploi très serré. Dans le même temps, la Fed est sensible aux « contre-courants » à l’échelle internationale, à la baisse d’optimisme des entreprises et aux indices d’une contraction de l’investissement commercial. Ces déclarations corroborent notre constat : les bouleversements touchant la politique commerciale ont fait naître une « hésitation à investir » qui pèse non seulement sur la croissance actuelle, mais aussi sur la capacité de l’économie mondiale à accueillir plus de croissance dans un horizon à court terme. 

Par chance, en dépit de ces réalités conflictuelles, l’inflation a jusqu’ici maintenu sa trajectoire et avoisine toujours la cible de 2 %. Voilà une excellente nouvelle, mais ce qui importe vraiment ce n’est pas tant l’évolution des prix aujourd’hui, mais plutôt au cours des 12 à 18 prochains mois. Le fléchissement de l’activité mondiale pourrait tempérer les prix; cependant, un revirement positif pourrait mettre le marché dans une situation peu commode. La Fed reconnaît que le citoyen moyen bénéficie finalement des retombées d’une croissance économique continue, et prévient que des pressions sur les salaires pourraient faire surface. De plus, la résolution de grands enjeux commerciaux, en particulier la querelle entre les États-Unis et la Chine, pourrait libérer l’investissement comprimé et rapidement accentuer les tensions sur des ressources limitées. 

Par ailleurs, les baisses de taux pourraient briser l’espoir qu’une normalisation puisse être opérée avant le prochain recul de l’économie mondiale. À ce titre, les États-Unis sont la seule économie où cela pourrait se produire. De fait, la BCE repousse sans cesse la date du resserrement de ses taux, tandis que le Japon semble privilégier en permanence un « taux zéro ». À ce stade-ci, la volte-face de la Fed ne ferait qu’accroître le doute entourant la capacité de la politique monétaire à venir en aide à la croissance, dans l’éventualité où une récession se pointe dans un avenir rapproché. 

Et les commentaires intermittents du président américain et ses menaces explicites contre la Fed n’ont rien fait pour dissiper la confusion. Le président Trump a clairement indiqué la direction que devraient prendre les taux et a même récemment menacé de remplacer le président actuel de la Fed par une personne partageant ses vues.

Conclusion?

L’économie mondiale est entravée inutilement par une incertitude fabriquée, et pourrait bien se passer d’autres perturbations du même genre. Pourtant, le ton plus accommodant de la Fed, en réaction à cette incertitude, ne fait que l’alimenter. Voilà un cercle vicieux, qui peut uniquement être brisé par ceux qui en sont à l’origine. Il reste à espérer, une fois sorti des impasses sur la scène mondiale, qu'il ne soit pas trop tard.

 

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