C’est le retour des perturbations des chaînes d’approvisionnement. L’économie mondiale se remettant à peine de la pandémie, plus de 30 navires ont été attaqués en mer Rouge par des rebelles Houthis, soutenus par l’Iran. Environ 15 % du commerce maritime mondial transite par cette importante voie maritime, dont 8 % du commerce des céréales, 12 % du pétrole brut et 8 % du gaz naturel liquéfié.

Les grandes compagnies maritimes font désormais passer leurs navires par le cap de Bonne-Espérance, augmentant ainsi coûts et délais. Selon l’Institut de Kiel pour l’économie mondiale, la capacité de fret en mer Rouge a chuté de 63 % entre la mi-octobre et le début de l’année.

Les piétinements qui s’en suivent ne sont pas sans conséquence : les retards dans les ports s’accumulent tandis que la disponibilité des navires se fait plus difficilement prévisible. La durée du trajet, qui peut désormais prendre entre dix jours et deux semaines de plus, se répercute sur les coûts liés au carburant et aux salaires. Les primes d’assurance pour certains navires prennent aussi l’ascenseur dans la région. Les tarifs de transport sur la route Shanghai-Rotterdam ont ainsi augmenté de 153 %, des coûts qui se répercuteront à terme sur les prix à la consommation et contribueront à l’inflation, alors que le travail des banques centrales à cet égard semblait enfin porter ses fruits.

On peut ainsi se demander si les problèmes en mer Rouge auront des retombées sur le Canada. Il semble pour l’instant que les conséquences économiques du conflit en Moyen-Orient soient largement maîtrisées, les marchés de l’énergie restant étonnamment stables (sujet qui sera peut-être traité dans un prochain article). Cela ne signifie pas pour autant que le prix du pétrole brut ne pourrait pas s’envoler si le conflit prenait de l’ampleur. De plus, l’accroissement des tensions géopolitiques va de pair avec celui du sentiment de risque sur le marché mondial, ce qui pourrait entraîner un élargissement des écarts et un resserrement accru des conditions de financement à l’échelle mondiale. Une guerre totale toucherait en outre la confiance de manière plus générale, induisant ainsi une baisse de la demande mondiale.


Il est bon de garder à l’esprit que nos propres chaînes d’approvisionnement ne sont pas à l’abri de tout risque. L’année passée, le Canada a subi des perturbations à court terme lorsque les opérations des ports de Colombie-Britannique, qui gèrent environ 25 % du total des échanges du Canada, ont été compromises par des conflits de travail. Nous avons révélé dans une enquête plus approfondie de notre édition 2023 de Secteurs en vedette que la valeur des marchandises touchées par la grève de 13 jours s’élevait à 8,6 milliards de dollars, et que l’économie canadienne avait subi une perte de 113 millions de dollars.

Le trafic maritime est également ralenti par une autre voie maritime importante. En raison de la sécheresse due aux changements climatiques, le canal de Panama, par lequel transite d’habitude environ 8 % du commerce maritime mondial et 40 % du trafic de conteneurs américain, ne peut fonctionner qu’à 55 % de sa capacité habituelle. Le nombre de navires empruntant le canal a diminué de 10 % en 2023; les autorités ont récemment réduit le nombre de navires autorisés à passer quotidiennement de 36 à 24. Le transit sera limité à 18 navires par jour en février.

L’ampleur des retombées sur la chaîne d’approvisionnement mondiale et sur l’inflation dépendra de la durée des congestions et de l’apparition, ou non, d’autres ralentissements. Si le Global Supply Chain Pressure Index de la Banque fédérale de réserve de New York est bien inférieur à son point culminant de 2021, il montre toutefois quelques mouvements vers le haut.

Certaines entreprises ont déjà mis sur pied des stratégies pour combattre les perturbations liées à la pandémie : investissement dans de nouvelles usines et de nouveaux centres de distribution, réforme des installations existantes et utilisation de technologies intelligentes pour renforcer la résilience des chaînes d’approvisionnement. De nombreuses entreprises ont standardisé leurs produits et processus pour éviter que la production ne puisse se faire que dans un seul pays et pour favoriser la multifonctionnalité de leurs usines. D’autres ont adopté de nouvelles pratiques en matière de gestion des risques des chaînes d’approvisionnement, passant du modèle de livraison « juste-à-temps » à celui des « stocks-juste-au-cas-où ».

Les autorités, elles aussi, ont un rôle à jouer en investissant dans la résilience des corridors commerciaux essentiels, notamment l’ambitieux corridor interocéanique du Mexique. L’initiative de l’isthme de Tehuantepec, d’une valeur de 2,8 milliards de dollars, qui vise à relier le golfe du Mexique à la côte pacifique, fait ressortir l’occasion d’investissement dans les infrastructures ferroviaires et portuaires pour renforcer la chaîne d’approvisionnement nord-américaine.

Conclusion?

Ces quatre années de difficultés régulières sur les chaînes d’approvisionnement permettent de mettre en évidence la vulnérabilité de notre infrastructure commerciale face aux retombées liées aux questions géopolitiques, aux changements climatiques et aux erreurs humaines. Selon notre dernier indice de confiance commerciale, 40 % des répondants considèrent que les problèmes de chaîne d’approvisionnement constituent un risque pour leurs affaires.

Pendant que les perturbations actuelles vont et viennent, cet impératif de résilience sera au cœur du commerce mondial et des flux financiers, non seulement cette année, mais possiblement dans les décennies à venir. Les exportateurs canadiens doivent être à l’affût, rester vigilants et prévoir des stratégies logistiques en vue des périodes de difficultés.

Cette semaine, nous tenons à remercier chaleureusement Ryan Fung, associé débutant aux Services économiques d’EDC.

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