En 2009, les clauses d’achat aux États-Unis (Buy American) ont causé à IPEX Inc., fabricant mondial de tuyaux thermoplastiques établi à Oakville, des centaines de pertes d’emploi et un an de soucis financiers. Aujourd’hui, malgré cette malheureuse expérience et l’incertitude actuelle quant aux effets du protectionnisme américain sur les entreprises canadiennes, IPEX aborde de manière positive les débouchés au sud de la frontière.

« Nous prévoyons des ventes plus élevées sur ce marché », affirme Veso Sobot, directeur des affaires générales à IPEX. « Et si une politique favorisant les achats aux États-Unis devait être de nouveau mise en place, nous serons prêts. Nous ne serons pas pris par surprise comme en 2009. »

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Sobot voit les choses sous un éclairage unique. C’est lui qui a mené les milieux d’affaires dans leur combat contre les clauses Buy American introduites en 2009 dans l’American Recovery and Reinvestment Act (ARRA), une mesure du gouvernement Obama qui injectait 787 milliards de dollars pour faire redémarrer l’économie américaine. Pour de nombreuses entreprises canadiennes, cette manne annonçait de nouveaux débouchés au sud de la frontière. Mais du jour au lendemain, ils s’envolaient en fumée.

Les clauses Buy America et Buy American dictent les exigences quant à la teneur en éléments d’origine nationale pour certains projets d’infrastructures financés par le gouvernement fédéral.

IPEX a subi directement les conséquences de ces clauses lorsqu’un inspecteur a remarqué la mention « Fait au Canada » sur son produit, qui était utilisé dans un projet financé par Washington visant à moderniser Camp Pendleton, dans le sud de la Californie. L’inspecteur a ordonné que les tuyaux d’IPEX soient enlevés et remplacés par un produit américain.

La perception et la réalité

« En 2009, les entreprises devaient adopter davantage une approche au cas par cas. Maintenant, celle-ci est plus stratégique, et les deux parties ont agi intelligemment, affirme M. Sobot. J’ai confiance que le Canada et les États-Unis concluront un accord dans l’intérêt supérieur des deux pays. »

J’ai confiance que le Canada et les États-Unis concluront un accord dans l’intérêt supérieur des deux pays.

Veso Sobot  —  IPEX Inc.

Mais pour M. Sobot, cela ne veut pas dire que le risque est inexistant. D’ailleurs, en 2009, IPEX avait bel et bien le droit, en vertu de l’ALENA, de vendre les tuyaux qui ont été retirés. « Mais la perception, c’était que nous n’étions pas conformes; c’est ce qui a entraîné tous ces coûts et ces ennuis. »

Trump et Buy American 2.0

Dans son discours inaugural devant le Congrès, le président Trump a mis de l’avant l’idée de privilégier les achats aux États-Unis et l’embauche d’Américains en parlant du projet de loi visant à injecter 1 000 milliards de dollars dans les infrastructures.

Pour Jayson Myers, économiste chevronné et spécialiste en commerce qui a mené des efforts de lobbying contre les clauses Buy American en 2009, il ne s’agit pas de savoir « si » les entreprises canadiennes en subiront les conséquences, mais bien « quand ».

« Cette fois, c’est différent, note M. Myers. En 2009, les clauses Buy American n’étaient pas essentielles pour le gouvernement Obama, mais maintenant, c’est clairement une priorité pour le gouvernement Trump. »

Le Centre canadien de politiques alternatives (CCPA), un important groupe de réflexion canadien, va dans le même sens.

« C’est presque certain que le Canada devra composer avec des dispositions favorisant les achats aux États-Unis pour les dépenses d’infrastructure », déclarait en janvier le directeur du CCPA, Scott Sinclair, dans le magazine Maclean’s.

Ne pas attendre que l’histoire se répète

Bonne nouvelle cependant : la Maison-Blanche a annoncé que l’oléoduc Keystone de TransCanada ne serait pas assujetti au décret présidentiel ordonnant que l’acier utilisé dans les projets d’infrastructures provienne des États-Unis.

« Étant donné que le processus de construction de l’oléoduc Keystone XL est déjà entamé, ce projet n’est pas considéré comme nouveau, ou comme un projet de modernisation, de réparation ou d’expansion d’un oléoduc existant », a affirmé une porte-parole de la Maison-Blanche au moment de faire l’annonce.

Un avertissement pour les entreprises canadiennes

Birgit Matthiesen, directrice des affaires liées au commerce transfrontalier pour le cabinet d’avocats Arent Fox de Washington, affirme que les entreprises canadiennes doivent bien étudier le dossier pour s’y retrouver dans ces questions complexes.

« Il s’agit d’abord de savoir ce qui est touché par la politique d’achat aux États-Unis, et ce qui ne l’est pas », souligne-t-elle.

Les entreprises doivent vérifier qui achète leur produit et pourquoi. Si c’est pour certains projets d’infrastructures financés par le gouvernement fédéral, alors elles doivent se renseigner sur les critères d’évaluation de la teneur en éléments d’origine nationale.

Birgit Matthiesen  —  Arent Fox

Par exemple, à l’heure actuelle, les projets financés par le secteur privé ne sont pas soumis à ces mesures fédérales; les sources de financement pourraient donc être de bons indicateurs de ce qui est touché ou pas.

« Les entreprises doivent vérifier qui achète leur produit et pourquoi. Si c’est pour certains projets d’infrastructures financés par le gouvernement fédéral, alors elles doivent se renseigner sur les critères d’évaluation de la teneur en éléments d’origine nationale. Il faut aussi s’informer sur d’éventuelles clauses de dérogation ou d’exemption en vertu des clauses Buy American; habituellement, il y en a. » Elle précise : « Un seul dollar de financement provenant d’un organisme fédéral pourrait entraîner une exigence quant à la teneur en éléments d’origine nationale. La plupart des règles concernent l’utilisation de fer ou d’acier américain, mais d’autres prévoient aussi des exigences pour les biens fabriqués avec du fer ou de l’acier. Et pour compliquer les choses, chaque organisme fédéral responsable de l’application de ces règles a ses propres critères concernant les biens “fabriqués” ou  “finaux” ou la  “teneur en éléments d’origine nationale”. Il faut avoir l’estomac solide pour digérer toutes ces règles provenant d’une multitude d’organismes. »

Mme Matthiesen indique aussi qu’il sera possible d’anticiper les nouvelles exigences relatives à la politique d’achat aux États-Unis au cours des prochains mois, autant à l’échelon fédéral qu’à celui des États.

Ainsi, une profonde compréhension de cette politique aidera les entreprises à adopter une approche proactive, un plan de marketing élaboré et une stratégie de conformité juridique.

« Une stratégie de conformité bien conçue permettra à votre entreprise d’avoir confiance que ses produits respectent les exigences d’un projet, souligne Mme Matthiesen. Les entreprises d’ailleurs font face aux mêmes obstacles et devront faire ce même type d’analyse interne et de démarches de représentation auprès de leur clientèle. Cet effort supplémentaire en vaut la peine; les entreprises doivent simplement mettre la main à la pâte et plonger. Et c’est à ce moment que nous pouvons les aider. »

Cependant, jusqu’à ce qu’on ait un meilleur portrait général des conséquences de la politique d’achat aux États-Unis, Jayson Myers recommande aux entreprises canadiennes d’envisager une stratégie de diversification.

« C’est possiblement un signal pour que les entreprises canadiennes explorent d’autres marchés afin d’accroître  leurs ventes aux États-Unis. À mon avis, une stratégie de diversification n’est plus facultative, mais bien essentielle », ajoute-t-il.

Selon M. Myers, les entreprises ont trois options :

  1. Garder le cap et maintenir le statu quo.
  2. Envisager de s’installer sur un autre marché en ouvrant un bureau ou une usine, en s’associant avec une entreprise locale, ou même en faisant une acquisition.
  3. Créer une stratégie de diversification; par exemple, profiter des débouchés en Europe dans la foulée de la ratification de l’AECG.