Buy America. Buy American. America First. Deux lois, un slogan, mais surtout des termes qui portent souvent à confusion pour les entreprises canadiennes qui ont des intérêts aux États-Unis. Le président Trump a nourri les inquiétudes durant son discours d’investiture en affirmant : « Nous suivrons deux règles très simples : acheter américain et embaucher des Américains ».
Cela soulève une question : les compagnies canadiennes doivent-elles s’inquiéter ? La réponse courte est « oui ». La réponse longue, elle, est plus nuancée : « cela dépend ».
Le fait d’accorder un traitement préférentiel aux entreprises et aux produits locaux n’est pas nouveau. C’est une pratique en vigueur depuis longtemps, avant même la Deuxième Guerre mondiale. Cette situation a préoccupé les entreprises canadiennes dans le passé et continuera sans doute de les préoccuper dans l’avenir.
En cette période de transition, il est certes utile de faire un retour en arrière et de voir où ces trois termes trouvent leur origine, mais aussi ce qu’ils signifient dans le contexte actuel et dans une perspective d’avenir.
Le Buy American Act a été la première manifestation de cette tendance protectionniste. Il a été adopté par le Congrès en 1933 et signé par le président Hoover à son tout dernier jour en fonction. De façon générale, il s’appliquait aux achats du gouvernement américain. Il stipule que tout bien destiné à l’usage public doit être produit ou manufacturé aux États-Unis avec des matériaux américains. Par exemple, toute entreprise qui souhaite vendre du papier ou des fournitures de bureau au gouvernement américain, et qui ne respecterait pas les dispositions de la loi en matière de contenu américain, serait désavantagée. Cette loi est devenue très populaire dans les années 1950 et 1960 et elle est toujours en vigueur aujourd’hui.
Le Buy America Act a été adopté en 1982 sous l’administration Regan. En fait, il fait partie d’une loi plus générale, le U.S. Surface Transportation Assistance Act et il s’applique à la construction des infrastructures comme les autoroutes, les ponts, les aéroports et les tunnels. Des trois termes, le Buy America Act est celui dont on entend le plus souvent parler dans les médias et le milieu des affaires.
Avançons jusqu’à l’année 2009, quand la récession a frappé les États-Unis. Le président Obama a adopté un train de mesures pour relancer l’économie. Dès sa première semaine au pouvoir, il a signé une loi, l’American Recovery and Reinvestment Act (ARRA). Cette loi a stimulé l’économie grâce à l’investissement de milliards de dollars dans les infrastructures et à l’ajout de nouvelles exigences en matière d’achat local.
Ces nouvelles exigences ne concernaient toutefois que les projets financés en vertu du ARRA de 2009, et ne sont donc plus en vigueur. Cela dit, cette loi a laissé un héritage, les dispositions relatives à l’American Iron and Steel (AIS). Il s’agit d’une réplique à peu près conforme du Buy America Act, mais ne s’applique qu’à la Environmental Protection Agency. Elle stipule que le fer, l’acier et les biens manufacturés utilisés dans les projets liés à l’eau potable et au traitement des eaux usées financés par le gouvernement fédéral américain doivent être américains. L’achat local s’applique donc toujours aux projets liés à l’eau potable ou au traitement des eaux usées.
Ainsi, si vous êtes une entreprise canadienne qui fabrique au Canada des tuyaux ou canalisations en fer ou en acier, il est possible que votre produit ne puisse être utilisé dans un projet américain financé par une agence fédérale soumise à la loi qui concerne l’eau, une autoroute ou un pont. Votre entreprise est donc exclue d’importants secteurs d’investissements aux États-Unis.
Selon moi, America First est un slogan fourre-tout pour décrire l’approche globale de l’administration Trump pour relancer l’économie américaine. Il s’agit en quelque sorte d’une « cible mouvante » puisqu’on ne sait pas exactement en quoi ce terme consiste.
Concrètement, l’approche America First s’appuie sur le Buy America Act et les dispositions relatives à l’AIS, mais s’étendra probablement à différentes agences américaines. De plus, elle pourrait se manifester dans la réforme de l’impôt des entreprises. Cela aura certes un impact pour les entreprises canadiennes selon la place qu’elles occupent dans la chaîne économique transfrontalière.
Désormais, avant d’apposer votre signature à une entente, assurez-vous de bien savoir de quelle agence fédérale relève le projet dans lequel vous vous engagez. Si le président Trump va de l’avant avec son projet d’investissement dans de nouvelles infrastructures, cela représentera quelque mille milliards de dollars qui seront investis dans les infrastructures. Dans les projets financés par le gouvernement fédéral américain, les compagnies canadiennes devront bien vérifier quelles sont les exigences en matière de contenu américain. Vous devez donc vérifier à qui est destiné votre produit. En tant que compagnie canadienne, vous devrez peut-être garantir que votre produit respecte les dispositions du Buy America Act.
America First peut changer les choses très rapidement. Les agences américaines surveilleront le tout de très près. Le Congrès aussi d’ailleurs. Si les États-Unis sont votre marché cible, surveillez attentivement le moindre changement.
Originaire de Montréal, Birgit Matthiesen est Director of Canada-US Cross Border Business Affairs chez Arent Fox, LLP, à Washington, D.C. On peut la joindre à birgit.matthiesen@arentfox.com.