Pour les femmes autochtones, avoir une entreprise ne se résume pas à générer des profits. Selon Jennifer Cooke, responsable du programme Femmes en commerce d’EDC, « elles cherchent aussi à soutenir financièrement leur famille, à créer des emplois dans leur communauté et à donner à d’autres les moyens de réussir. C’est une grande partie de ce qui les incite à continuer. »

En collaboration avec Todd Evans, responsable national des exportateurs autochtones à EDC, Mme Cooke travaille au déploiement d’une stratégie pour forger des partenariats solides avec des entreprises autochtones du Canada. Elle explique que l’un des grands défis rencontrés par les entrepreneures autochtones est l’accès difficile au soutien et aux conseils dont elles ont besoin pour propulser leur entreprise, surtout en ce qui concerne le savoir financier. 

Plus de 50 % des PME autochtones sont détenues en tout ou en partie par des femmes. Toutefois, plusieurs obstacles se posent pour bon nombre d’entre elles, notamment le manque de capitaux, l’accès difficile à des ressources de soutien aux entreprises et la méconnaissance des subventions et des programmes gouvernementaux dont peuvent se prévaloir les femmes d’affaires autochtones.

Le fait d’habiter dans des collectivités éloignées ne fait qu’ajouter à leurs difficultés, car les frais d’expédition sont élevés et il est coûteux pour elles de participer à des salons commerciaux pour faire connaître leur marque et établir des liens avec leurs fournisseurs et leurs clients. Autre obstacle : l’instabilité de la connexion Internet, surtout pour les entreprises qui vendent en ligne.

Des problèmes socioéconomiques se posent également, notamment d’importants problèmes de violence conjugale, de toxicomanie et liés au sentiment d’isolement. De plus, c’est traditionnellement la matriarche de la famille qui s’occupe des enfants et des aînés.

« Tous ces problèmes sous-jacents rendent la création et le développement d’une entreprise difficile pour les femmes autochtones, mais il y a de très belles réussites qui témoignent de la manière dont elles misent sur l’entraide, la persévérance et la résilience pour atteindre leurs objectifs », affirme Jennifer Cooke.

Nous avons parlé avec trois clientes d’EDC pour en savoir plus sur leur parcours d’exportatrices et sur ce qui les a poussées à partir à la conquête des marchés, et découvrir les conseils qu’elles ont à donner aux entrepreneures.

Jenn Harper, propriétaire de Cheekbone Beauty, la première entreprise de cosmétiques détenue par une Autochtone au Canada.

Cheekbone Beauty

Jenn Harper a fondé la première entreprise autochtone de cosmétiques au Canada en 2016, car « il n’existait pas de marque de produits de beauté fabriqués au Canada, non testés sur les animaux et profitant à la communauté des Premières nations. Puisque ça n’existait pas, je l’ai créée! »

Le catalyseur de son entreprise en ligne a été la Commission de vérité et réconciliation du Canada qui, en 2015, a présenté 94 recommandations visant à apaiser la douleur et les souffrances causées par le système des pensionnats autochtones du Canada. La grand-mère de Mme Harper a vécu dans un pensionnat dès l’âge de 6 ans et jusqu’à l’âge de 16 ans.

« Je n’avais plus à avoir honte de mon identité et de mes racines », explique cette mère de deux enfants, qui a été séparée de son père et de sa famille autochtones pendant une grande partie de sa vie. Élevée par une mère blanche, elle s’est posé des questions sur son identité pendant des années, et n’hésite pas aujourd’hui à parler du combat qu’elle a remporté contre l’alcoolisme.

Elle a créé Cheekbone Beauty pour rendre hommage à ses racines anishinaabees, fournir aux peuples autochtones de précieux modèles à suivre, et leur faire une place à leur image dans l’industrie des cosmétiques.

Rouges à lèvres Cheekbone Beauty


Sa collection de rouges et de brillants à lèvres Warrior Women emprunte les noms de femmes autochtones inspirantes, comme Bethany Yellowtail, une créatrice de mode des tribus des Cheyennes du Nord et des Crows, et Buffy Sainte-Marie, une chanteuse et auteure-compositrice crie de renom. Les bénéfices tirés de ces ventes servent au financement des études de jeunes autochtones.

Le siège social de l’entreprise se trouve chez elle, à St. Catharines, en Ontario. Cela étant dit, grâce à ses ventes en ligne en plein essor, elle compte des clients partout dans le monde, des États-Unis à la Nouvelle-Zélande.

Principaux défis

Lancer une petite entreprise dans une industrie aussi vaste que les cosmétiques était risqué, d’autant plus que Jenn Harper y a investi ses propres économies.

En 2019, elle a participé à l’émission Dragons’ Den, présentée sur la chaîne CBC dans l’espoir de trouver un investisseur. Cette émission lui a donné de la visibilité dans les médias et a retenu l’intérêt d’un investisseur, mais elle a refusé son offre somme toute raisonnable, car elle n’était pas prête à céder 50 % des parts de Cheekbone Beauty.

« Notre plus grand défi à l’heure actuelle consiste à trouver le moyen de démontrer notre pertinence à l’industrie des cosmétiques », souligne l’entrepreneure, qui figure parmi les femmes de l’année 2019 du magazine Châtelaine en raison de la confiance dont elle sait fait preuve – tant en ce qui concerne ses capacités que sa marque de produits de beauté d’avant-garde. 

« Les membres de notre communauté (autochtone) ne cachent pas la valeur que nous avons à leurs yeux. Cependant, l’industrie ne comprend pas encore qu’il est important de se sentir représenté », regrette-t elle.

Ses conseils aux autres entrepreneures

  1. Prenez le temps de planifier. « Si vous avez une idée, mais ne savez pas comment la concrétiser, prenez le temps de faire les recherches nécessaires pour bien définir la nature de votre entreprise. » 
  2. N’abandonnez pas. « Faites-en un peu chaque jour. Le travail soutenu mène au succès. »
  3. Dotez-vous d’une forte présence en ligne. Les médias sociaux permettent de « véritablement consolider vos liens avec vos clients, de faire connaître votre entreprise à votre façon et d’exercer un contrôle sur ce qui est vendu ».

The Yukon Soaps Company

Joella Hogan ne savait rien de la fabrication du savon lorsqu’elle a acheté The Yukon Soaps Company en 2012. Comme beaucoup d’habitants du Nord canadien, elle a simplement toujours été une grande adepte de cette marque bien connue.

Cette membre de la Première nation des Nacho Nyak Dun admet qu’elle n’est pas devenue propriétaire de cette entreprise à domicile, située dans le village de Mayo, seulement pour fabriquer des savons parfumés, mais aussi et surtout pour renouer avec la terre. 

Dotés de noms accrocheurs tels que Yukon Gin and Tonic (« gin-tonic du Yukon »), Romancing the Soap (« savon de la romance ») et Spice Boy (« fougue masculine »), ses savons artisanaux sont faits d’huiles essentielles et d’ingrédients naturels dont des bourgeons d’épinette, des baies de genévrier et des fleurs sauvages, tous cueillis dans une forêt voisine.

Savons de Yukon Soaps


Comme elle l’explique sur son site Web : « Les savons sont faits maison, comme des biscuits de grand-mères. Ils sont tous uniques, authentiques et faits à la main… L’ingrédient principal, c’est le Yukon. »

Déterminée à préserver la culture et les terres des Tutchones du Nord, l’entrepreneure, qui a de l’expérience en aménagement environnemental et en développement culturel, souhaite notamment contribuer à la croissance économique du Yukon en mettant en valeur les talents d’autres fabricants et artisans autochtones.

Principaux défis

« Lorsqu’on habite dans une petite collectivité éloignée du Nord, les frais d’expédition sont élevés, l’accès aux produits est limité et les commerces de détail sont très loin », a-t-elle expliqué dans une entrevue récente. « Je me suis bien souvent retrouvée dans une situation où il me manquait un ingrédient clé, une étiquette, ou une autre composante! Il m’est arrivé de manquer de cynorhodon en plein cœur de l’hiver, et de soude caustique en plein milieu d’un processus de fabrication en série. »

« J’ai mis beaucoup de temps à comprendre que je devais me constituer des stocks et organiser mon calendrier de production. »

Les médias − notamment des médias grand public comme The Huffington Post, Flare et Elle) – ont fait très bonne presse à cette ardente défenseure de la place des femmes dans le monde du commerce et qui connaît bien la valeur d’un solide plan d’exportation. Cet automne, elle participera au Programme pour l’accélération du commerce international, un atelier de quatre jours conçu pour aider les PME à enrichir leur savoir-faire commercial, à tisser des liens et à favoriser leur réussite sur la scène mondiale. 

Ses conseils aux autres entrepreneures

  1. Créez un solide réseau de soutien. « Il n’y a aucune raison de travailler en vase clos. Vous n’avez pas à travailler toute seule », affirme Mme Hogan, dont l’entreprise s’est vue décerner le prix de l’entreprise yukonnaise de l’année en 2019. « Les réseaux de soutien ne manquent pas. »
  2. Ne restez pas dans l’ombre. « Les gens veulent connaître les artisans. Les jours où nous travaillions en coulisses sont révolus, souligne cette femme d’affaires dynamique. Prenez les devants, racontez votre histoire et apprenez à connaître votre public cible. »
  3. Restez fidèle à vos valeurs. Ne laissez pas les autres vous influencer. Il s’agit de votre entreprise, ne l’oubliez pas.
Coffret d’abonnement Raven Reads Books, contenant un livre écrit par un auteur autochtone

Raven Reads Books

Nicole McLaren croit fermement que la guérison commence par l’éducation. C’est ainsi qu’elle a fondé, en 2017, un service de coffrets par abonnement visant à mieux faire connaître la communauté autochtone du Canada.

Plusieurs fois par année, des coffrets spéciaux contenant un livre d’un auteur autochtone ainsi que des bijoux, des œuvres d’art et des cosmétiques, tous fabriqués par des artisans autochtones, sont expédiés à des clients partout au Canada, aux États-Unis et en Europe.

« J’ai toujours eu à cœur de trouver des manières de mobiliser, d’inspirer et de motiver les gens autour de moi. Mes origines mixtes et mes racines autochtones m’ont amené à créer mon entreprise », affirme Nicole McLaren, qui appuie fermement la démarche de réconciliation du Canada.

Grâce à l’art et à la littérature, elle espère mieux faire connaître l’histoire, la culture et les points de vue des populations autochtones.

Nicole McLaren, propriétaire de Raven Reads Books


« La réconciliation ne veut pas dire la même chose pour tout le monde. Mais pour beaucoup, la réconciliation passe par l’établissement et le maintien de relations mutuellement respectueuses entre les Autochtones et les non-Autochtones du pays », explique Mme McLaren, lauréate du prix annuel de l’entrepreneuriat de Startup Canada en 2018.

« Pour y arriver, il nous faut être pleinement conscients de notre passé commun et prendre des mesures pour faire évoluer  les comportements », précise-t-elle.

Principaux défis

Le plus grand obstacle qu’a rencontré Nicole McLaren, en tant que directrice d’une petite entreprise en ligne dans une région rurale de la Colombie-Britannique, a été de composer avec les limites de la technologie du commerce électronique pour bien gérer ses frais d’expédition et ses abonnements. 

« Initialement, j’avais opté pour un modèle d’abonnement trimestriel plutôt que mensuel pour gérer ma capacité interne et pour éviter d’épuiser mes stocks », raconte Mme McLaren, également fondatrice du réseau Indigenous Women’s Business Network, qui offre des conseils gratuits aux entrepreneures en région rurale.

« Ce que j’ignorais à l’époque, c’était que les plateformes de commerce électronique ont leurs limites, et qu’elles ne me permettaient pas d’adopter un modèle d’abonnement trimestriel et de facturer correctement aux clients le bon nombre d’intervalles pour les expéditions. Par exemple, prépayer pour deux coffrets et facturer deux fois les frais d’expédition. »

Ses conseils aux autres entrepreneures

  1. Effectuez des recherches afin d’éviter les dépenses imprévues. Mme McLaren admet que sa mauvaise connaissance de la plateforme de commerce électronique lui a fait perdre de l’argent les deux premières années en raison d’erreurs de facturation touchant les frais d’expédition et de coûts d’expédition hors de contrôle.
  2. Demandez conseil à vos concurrents. N’ayez pas peur de communiquer avec des propriétaires d’autres entreprises pour connaître leurs défis. « Cela pourrait vous épargner des milliers de dollars et bien des problèmes. »
  3. Embauchez un professionnel pour contrôler vos dépenses. « Si j’avais embauché quelqu’un pour faire un suivi des frais d’expédition facturés et de mes coûts connexes, j’aurais évité de perdre beaucoup d’argent.

Pour connaître les mesures d’aide aux entreprises autochtones offertes par le gouvernement du Canada durant la pandémie de COVID-19, cliquez ici.