De quels risques les entreprises doivent-elles se méfier le plus lorsqu’elles font des affaires à l’étranger? Deux experts d’EDC – Ian Tobman, analyste des risques-pays, et Andrea Gardella, économiste – parlent des trois principaux risques et de leurs conséquences possibles sur les exportations canadiennes et l’économie mondiale.

Risques économiques

Brexit et effondrement de l’UE

Même les plus fervents partisans du Brexit (la sortie du Royaume-Uni de l’UE) ne s’attendaient visiblement pas à remporter le referendum et ne s’étaient pas préparés à cette éventualité. Il s’agit d’ailleurs d’un parfait exemple d’événement inattendu dont les conséquences économiques sont impossibles à prévoir.

Si le Brexit n’a pas été pour l’économie britannique, européenne et mondiale le désastre immédiat annoncé par certains (pour le moment), ses contre-chocs pourraient tout de même laisser une empreinte profonde. Les négociations des modalités de sortie du Royaume-Uni sont à peine amorcées, et nul ne sait si le divorce sera houleux ou à l’amiable. « Toutefois, indique Ian Tobman, l’incertitude que le vote en faveur du Brexit a causée vient jeter une ombre de plus sur les perspectives macroéconomiques, déjà peu reluisantes. L’après-Brexit, qui a déjà des répercussions sur les projets des investisseurs, devrait retrancher jusqu’à 8 % aux exportations canadiennes vers le Royaume-Uni en 2017. »

La décision du Royaume-Uni de quitter l’Union européenne montre à quel point la vision d’une Europe unifiée avec des frontières nationales poreuses est en train de s’estomper. Ce pessimisme pourrait compromettre la ratification, l’expansion et la création d’accords commerciaux multilatéraux entre le Canada et l’UE, comme l’Accord économique et commercial global (AECG), qui devrait (ou aurait dû) ouvrir de nouvelles portes aux exportateurs canadiens. Et si le Royaume-Uni ne fait plus partie de l’UE, le Canada aura vraisemblablement à négocier un accord distinct pour que les exportateurs canadiens aient un accès plus libre au marché britannique.

Dans le pire des scénarios, d’autres pays suivraient les traces du Royaume-Uni. Un éclatement de l’Union européenne aurait des conséquences impondérables sur les exportations canadiennes vers l’Europe, sans parler de ses effets sur l’ensemble de l’économie mondiale.

Banques italiennes et zone euro

Une épée de Damoclès pend au-dessus de la zone euro (l’ensemble des pays qui ont adopté l’euro comme monnaie commune) : la crise bancaire italienne. « Le FMI estime que les créances irrécouvrables des banques italiennes s’élèvent à 360 milliards d’euros, soit environ le tiers du total de la zone euro, indique M. Tobman. Pour restaurer la confiance des investisseurs, les banques italiennes auraient besoin d’injections de capitaux immédiates, mais la réglementation bancaire européenne actuelle ne permet pas l’aide directe de l’État. Trouver un remède est devenu indispensable : il en va non seulement de la survie des banques italiennes mal en point, mais aussi de l’avenir de la zone euro. À vrai dire, ce risque pourrait être plus ravageur que le Brexit. »

Andrea Gardella abonde dans le même sens. « La menace de l’effondrement de l’UE et la crise bancaire italienne sont des risques économiques majeurs. Tous deux ont le potentiel de plomber l’économie mondiale, ce qui réduirait la demande globale de produits canadiens. Sans compter que l’effondrement de l’UE toucherait aussi l’investissement direct canadien en Europe. »

Crise économique en Chine

Le risque d’une crise économique en Chine est loin d’être écarté, même si les chiffres publiés par Beijing sont un peu moins alarmants. « Nous pensons qu’il s’agit encore d’un des risques les plus élevés, souligne M. Tobman. Le gouvernement chinois essaie d’équilibrer croissance à court terme et transformation de l’économie à moyen et long terme; or les catalyseurs budgétaires et monétaires auxquels il a recours pour soutenir la croissance exacerbent les risques dans le secteur financier. »

Si une crise survenait en Chine, les conséquences sur l’économie et les exportations du Canada seraient considérables. Elle ferait chuter non seulement le volume des exportations directes vers la Chine, qui représentent aujourd’hui environ 20 milliards de dollars annuellement, mais aussi par ricochet les exportations vers les pays qui vendent à la Chine des marchandises produites à partir de biens canadiens.

Risques liés à la réglementation

Resserrement de la réglementation et repli protectionniste aux États-Unis

« Il y a des relents évidents de resserrement de la réglementation et de protectionnisme au sud de la frontière, note M. Tobman, et l’élection présidentielle imminente en fait un risque notoire. S’il est probable que le Congrès fasse bloc contre les promesses les plus radicales sur l’économie et le commerce, le fait demeure que les États-Unis s’enfoncent dans l’isolationnisme. »

Les exportateurs canadiens devront probablement composer avec une réponse plus agressive sur les déséquilibres commerciaux que les États-Unis estiment injustes, comme le sempiternel différend sur le bois d’œuvre. Mais il est plus difficile de prévoir si le nouveau gouvernement, quel que soit le parti, s’engagera résolument dans la voie du protectionnisme (possiblement par une renégociation de l’ALENA).

« Si c’est ce que le gouvernement décidait, explique Mme Gardella, nous pourrions voir une réorientation des politiques et de la réglementation des États-Unis en matière de commerce et d’investissement, qui serait sans doute préjudiciable aux entreprises canadiennes. Le contexte commercial serait moins prévisible, et de nouvelles lois protectionnistes comme le Buy America Act pourraient être promulguées – mesures qui compromettraient sérieusement la capacité concurrentielle des entreprises canadiennes sur le marché américain. »

Effondrement de l’UE

L’effondrement de l’Union européenne et de la zone euro, sous l’effet du Brexit ou de quelque autre événement déclencheur, aurait de graves conséquences économiques, certes, mais aussi réglementaires et politiques. Les exportateurs canadiens devraient trouver comment s’orienter dans le dédale des structures nationales qui remplaceraient celles, unifiées, de l’Union européenne. Plus cher, plus compliqué et plus lent qu’aujourd’hui, le commerce sur les marchés du Vieux Continent deviendrait hors de portée pour de nombreuses entreprises canadiennes.

Risques financiers

Bombe à retardement de la dette japonaise

La « bombe de la dette » japonaise

L’économie japonaise, bien que classée au troisième rang mondial, présente une faiblesse à risque élevé associée à une dette publique impitoyablement croissante. La démographie du pays est au cœur du problème, ses faibles taux de natalité et d’immigration faisant diminuer la population en âge de travailler à un rythme inquiétant. En même temps, le nombre des retraités ne travaillant plus se multiplie à mesure que la population vieillit. Ce groupe absorbe des services importants, dont les pensions et les soins de santé, qui sont financés par une dette de l’État/publique qui augmente constamment. On s’inquiète de ce que, un moment donné, le pays ne soit plus en mesure de servir cette dette et que le Japon soit confronté à une crise financière.

« De fait, souligne M. Tobman, il est évident depuis un bon moment que la dette publique japonaise, qui dépasse maintenant 250 % du PIB, n’est pas viable. Si la perception mondiale de ce risque évoluait à moyen terme, cela pourrait avoir de profondes conséquences sur les besoins en financement du Japon, et la crise financière japonaise serait ressentie à l’échelle du globe. Comme aucune nouvelle mesure probante n’est attendue dans un avenir prévisible, la probabilité que ce risque se réalise continuera d’augmenter. »

Deux façons de maîtriser les risques

  • Intégrer la gestion des risques aux activités opérationnelles
    Généralement, les entreprises qui savent bien gérer le risque intègrent à leurs activités un certain degré d’évaluation qu’elles actualisent régulièrement. Toutefois, aussi petite soit-elle, une entreprise peut désigner un cadre supérieur pour mettre sur pied un processus d’identification des principaux risques et établir des moyens de les maîtriser. Selon l’ampleur de la tâche, cette personne doit pouvoir recevoir l’aide d’autres membres du personnel et recourir à un expert indépendant au besoin. Quand vous aurez établi votre processus de gestion des risques à l’interne, intégrez-le à vos activités courantes.
  • Faire la distinction entre risque à court terme et risque à long terme
    « En outre, dit Mme Gardella, il est très important de différencier les effets d’un risque à court terme des impacts potentiels d’un risque à long terme. Prenons la situation en Europe, par exemple, dans le contexte du Brexit. À court terme, il existe des risques économiques, comme une diminution de la demande britannique, qui finissent par se répercuter sur les exportateurs canadiens. Or, quand vous considérez votre exposition aux risques à plus long terme en Grande-Bretagne et en Europe, vous devez examiner les forces structurelles de votre secteur particulier sur ces marchés et déterminer si – et comment – votre secteur peut rester viable sur une plus longue période. Donc, je crois qu’il est vital d’examiner séparément les catégories de risque à court terme et à long terme, puis de peser les dangers qui se posent à court terme par rapport aux occasions qui se présentent à moyen et à long termes. »